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Convaincue. Intimement convaincue d’aller dans la bonne direction. Gila Paris ne doute pas de la réussite de son plan d’affaires basé sur la vente en ligne d’œuvres d’art dénichées via un réseau d’artistes au développement exponentiel: «On a nos idées, on y croit. On a eu trop de feedbacks positifs pour y renoncer.»
La détermination de l’entrepreneuse lui ferait presque oublier un contexte peu propice à la vente d’art, aussi accessible soit-il. L’art proposé sur le site ne relève pas de l’art placement des hedge funds ou autres banques privées, mais celui que l’amateur, sur un coup de cœur, pourrait s’offrir moyennant des montants s’échelonnant entre 50 et 5.000 euros. Mais cet art «abordable», distribué par Culture Inside via sa plateforme en ligne, évolue en eaux troubles, de l’aveu même de Dominique Paris, mari de Gila et accessoirement directeur technique de la société: «Il ne faudrait pas que les effets de la crise se fassent sentir trop longtemps.»
Ils pensent néanmoins et très sincèrement avoir affronté le pire. Après avoir élaboré un business plan, ils ne sont pas parvenus à réunir les 125.000 euros nécessaires pour réaliser le projet tel que planifié. Par conséquent, ils ont revu leurs ambitions à la baisse et engagé leurs propres capitaux, se retrouvant «self funded jusqu’à la fin du premier trimestre 2009».
En plus de subir l’extrême prudence des potentiels investisseurs «vis-à-vis de l’Internet», probable réminiscence de l’éclatement de la bulle, les Paris regrettent qu’il soit si difficile à Luxembourg de lever un capital d’amorçage: «Il y a un support à la création, à la préparation, jusqu’à ce que l’entreprise soit prête à démarrer. Mais au niveau des premiers financements, il n’y a rien ni personne.» Heureusement, ils ont pu compter sur les fidèles partenaires des start-up luxembourgeoises, 1,2,3 Go et Luxinnovation, pour les accompagner dans la parties marketing et stratégie, apportant «toujours la confirmation que le chemin choisi est le bon».

Des débuts difficiles

Ce chemin, Gila Paris l’a trouvé en 2008, à son retour des Etats-Unis. Elle constate «le manque patent de visibilité sur le web pour les artistes européens». L’idée de combler ce vide a donc germé. Répondant au précepte caractéristique de l’esprit d’entreprise américain, «do it», elle s’est entourée d’une communauté d’artistes de la Grande Région. Pour eux et avec eux, elle crée en 2008, et grâce à la précieuse aide technique de son mari, un e-space leur garantissant un support de «communication, de vente et de connexion». Ce réseau se développe très rapidement. Entre mars et novembre 2009, le nombre de ses membres passe de 1.000 à 6.000.
Mais l’entreprise ne génère que peu de profits et les coûts restent drastiquement contrôlés. Les deux personnes employées à plein temps, M. et Mme Paris, collaborent avec les autres membres du «network depuis leur domicile via Skype», et notamment avec Frank Shifreen, leur collaborateur à New York. Tout passe par Internet, sauf évidemment les expositions organisées sporadiquement afin de mettre à contribution les membres, moyennant frais d’entrée. C’est d’ailleurs par ce procédé que rentrent les premiers revenus de la société. Car la difficulté réside dans la génération de bénéfices, et ce malgré la définition de plusieurs lignes de revenu.
D’abord, Culture Inside se constitue en intermédiaire de confiance pour la vente d’œuvres originales et d’éditions limitées. Une part fixe du produit de la vente est dégagée et prétendue «inférieure à ce qui se fait en galerie». Le deuxième flux de revenu, régulier lui, provient des services professionnels aux artistes. Les intéressés peuvent bénéficier de l’accès à la plateforme mais aussi de promotion sur d’autres réseaux sociaux tels que Facebook, Flickr ou Youtube.
Pas moins de 180 artistes, sur les 3.200 membres, soit 5,6%, ont souscrit à ces services. La direction de la société vise 10% de taux d’adhésion pour la fin 2011. Elle compte aujourd’hui 8.000 membres dont 4.800 non-artistes. Enfin, le fine art printing porte les plus grands espoirs des Paris dans la quête du profit. Par des partenariats avec des imprimeurs spécialisés, la société propose des impressions d’œuvres «haute qualité». Les prix varient entre 100 et 600 euros et les entrepreneurs insistent: «Il ne s’agit pas d’affiches bon marché.»

Un nouvel investisseur

Bénéficiant de la loi sur l’e-commerce et pariant sur une normalisation de ce type de vente, Gila Paris assure participer au processus de démocratisation de l’art en ouvrant le marché à une «population d’acheteurs potentiellement énorme»; d’autant que le site se décline en anglais, français et allemand. Le russe et l’espagnol apparaîtront à moyen terme, laissant augurer les ambitions du couple qui s’approprierait bien la maxime, «c’est au commerce de s’adapter à l’art et non à l’art de s’adapter au commerce».
L’accueil des internautes se traduit par des statistiques évocatrices. De 17.000 visiteurs en janvier 2009, le site en comptait 63.000 le même mois en 2010. Mais ces chiffres, s’ils illustrent un intérêt manifeste, ne reflètent aucune valeur de vente. A Mme Paris de concéder ne pas avoir assez de recul pour estimer la réelle valeur de leur société: «Pour 2010, c’est trop tôt. 2011 sera l’année durant laquelle on deviendra une vraie société dotée d’un chiffre d’affaires signifiant.»
L’entreprise présente en fait quelques limites dont les entrepreneurs ont bien conscience, mais manque pour l’instant de moyens pour y remédier. La complexité de l’interface nuit aux ventes: «Artistes et acheteurs sont encore mélangés.» De même, certains pays et certains types d’art sont surreprésentés.
Pour toutes ces raisons, Culture Inside ouvre son capital à un investisseur. Voilà donc les motifs de ses certitudes affichées! Le site fera peau neuve à la fin de l’année pour offrir davantage d’ergonomie. La société étendra son réseau de distribution aux Etats-Unis, mais aussi en Russie.
Enfin, des investissements dans le marketing seront engagés, notamment dans les publications spécialisées. Ainsi Culture Inside franchit-elle certainement un palier décisif dans son évolution. Dans quelques mois, lorsqu’elle bouclera sa comptabilité, Gila Paris pensera certainement à ces mots prononcés par Andy Warhol: «Gagner de l’argent est un art, travailler est un art et faire de bonnes affaires est le plus bel art qui soit.»