Deux ans se sont écoulés depuis la faillite du holding financier Leyne Strauss-Kahn, mais les plaidoiries continuent. (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Deux ans se sont écoulés depuis la faillite du holding financier Leyne Strauss-Kahn, mais les plaidoiries continuent. (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Prévues en juin dernier, les plaidoiries ont finalement été prononcées mercredi matin devant la troisième chambre au Kirchberg. Me André Lutgen, défenseur de Dominique Strauss-Kahn, avait en effet sollicité un report d’audience afin de soumettre une question de constitutionnalité au tribunal.

Retour en novembre 2014: deux semaines après la faillite du holding financier Leyne Strauss-Kahn (LSK), présidé jusqu’au 20 octobre précédent par DSK, elle envoie aux administrateurs et ex-administrateurs de LSK un bulletin d’appel en garantie pour leur demander de payer solidairement les arriérés d’impôts pour 2014.

L’administration fiscale réclame ainsi 74.792,40 euros – une poussière par rapport au 100 millions d’euros de créances accumulées par LSK qui devait accueillir la création d’une banque d’affaires au Luxembourg. Cette somme correspond aux retenues sur les traitements et salaires qui auraient dû faire l’objet d’une retenue automatique à la source.

Les administrateurs avaient opposé une fin de non-recevoir au bulletin d’appel en garantie de l’ACD, considérant qu’ils n’avaient pas la gestion courante des affaires – elle revenait à Thierry Leyne en sa qualité d’administrateur délégué. Or ce dernier s’est suicidé le 23 octobre 2014. Leur réclamation du 10 février 2015 auprès du directeur de l’Administration des contributions, Guy Heintz, a essuyé un refus net: l’omission de verser les sommes retenues «serait à considérer comme une faute grave» et «un comportement fautif», indique la décision de Guy Heintz, et les membres du conseil d’administration de LSK, selon Guy Heintz, ne peuvent pas «s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers», à savoir Thierry Leyne, qui n’est plus là pour se défendre.   

C’est précisément cette décision de l’ACD que Dominique Strauss-Kahn a attaquée devant le tribunal administratif en juin 2015.

Monsieur Strauss-Kahn n’a jamais été directeur effectif ou exercé de rôle de direction effective.

Me André Lutgen, défenseur de Dominique Strauss-Kahn

La procédure touche à sa fin avec les plaidoiries prononcées mercredi par les deux parties. Pour Me Lutgen, son mandant ne peut être tenu responsable des arriérés d’impôts sur le revenu accumulés par la société. «M. Strauss-Kahn n’a jamais été directeur effectif ou exercé de rôle de direction effective», souligne-t-il, rappelant qu’au Luxembourg le président du conseil d’administration n’est qu’un «primus inter pares qui ne peut engager seul la société». C’est à l’administrateur délégué qu’il revient de veiller de plus près à la gestion journalière de la société, explique-t-il.

«Où en est l’action pénale pour abus de confiance et escroquerie dont M. Strauss-Kahn fait l’objet en France?», s’enquiert le président du tribunal. «Il n’a pas encore été entendu par le juge d’instruction (…), mais cette plainte n’ira nulle part», répond l’avocat. «DSK est un nom qui attire, c’est vendeur. C’est sa chance et son malheur aussi. Beaucoup de gens essaient d’obtenir de l’argent.»

Me Lutgen revient encore sur cette responsabilité des administrateurs brandie par l’Administration des contributions directes. «N’aurait-elle pas l’obligation de mettre les administrateurs en demeure si elle voit un retard» de versement de l’impôt sur les salaires «au lieu de faire une décision exécutoire 15 jours après la faillite?», raille le défenseur.

Des questions de constitutionnalité

L’avocat souligne surtout le «privilège» dont veut s’arroger l’ACD par rapport aux autres créanciers pour récupérer son dû avant la liquidation définitive de la société. «Voilà une institution étatique qui se veut au-dessus de la mêlée par rapport aux autres logées à la même enseigne», comme la Caisse de santé ou celle des pensions. C’est l’objet de la première question de constitutionnalité soulevée par Me Lutgen: la loi sur l’impôt sur le revenu à laquelle se réfère l’ACD pour revendiquer ce privilège est-elle conforme ou non au principe d’égalité?

Deuxième question de constitutionnalité: n’y a-t-il pas conflit de juridictions, puisque Dominique Strauss-Kahn et les autres administrateurs de LSK se voient reconnaître une responsabilité à titre personnel par l’ACD, qu’ils contestent devant la justice administrative, alors que leur responsabilité civile est engagée devant la justice commerciale par la Bâloise? Laquelle des deux juridictions prévaut sur l’autre?

De son côté, le représentant de l’État évoque une «affaire banale d’appel en garantie», dans laquelle «il est classique que les administrateurs se déchargent sur l’administrateur délégué». Mais persiste à considérer que l’ACD ne produit pas sa créance «dans la masse» des autres créanciers, selon l’expression consacrée, puisqu’il ne s’agit pas d’une dette de la société, mais finalement de celle des employés.

Me Lutgen s’engouffre dans la brèche. «S’il s’agit de la dette des employés et non de la société, alors l’ACD, qui a l’obligation de collecter l’impôt, devrait aller trouver chaque salarié pour récupérer l’impôt perçu par l’entreprise, mais non continué par l’entreprise à l’ACD?» Le président du tribunal sourit: «Cela va provoquer des mouvements sociaux…»

La décision du tribunal a été placée en délibéré.