Le holding LSK laisse 100 millions d'euros de créances et 72.000 euros d'arriérés d'impôts. (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Le holding LSK laisse 100 millions d'euros de créances et 72.000 euros d'arriérés d'impôts. (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Appelée à plaidoirie ce mercredi, l’affaire Dominique Strauss-Kahn c/ Administration des contributions directes (ACD) se poursuit pour l’heure par écrit. Me André Lutgen, avocat de l’ancien directeur général du FMI, a en effet soumis au tribunal administratif une question préjudicielle de constitutionnalité.

Il s’agit en l’espèce d’une question concernant le paragraphe 109 de la loi générale des impôts, qui a, selon la défense, «pour effet une rupture d’égalité devant la loi au sens de l’article 10bis de la Constitution, alors qu’il permet à l’Administration des contributions directes d’exercer une action ut singuli en cas de faillite pour récupérer une créance d’impôts, alors qu’une telle action ut singuli est interdite à l’ensemble des autres créanciers d’une faillite en vertu du principe d’ordre public international de suspension des poursuites».

Cette question s’avère cruciale dans le litige qui oppose Dominique Strauss-Kahn (DSK) et l’ACD. Retour en novembre 2014: deux semaines après la faillite du holding financier Leyne Strauss-Kahn (LSK), présidé jusqu’au 20 octobre précédent par DSK, elle envoie aux administrateurs et ex-administrateurs de LSK un bulletin d’appel en garantie pour leur demander de payer solidairement les arriérés d’impôts pour 2014.

Une «faute grave» que l’ACD ne veut pas oublier

L’administration fiscale réclame ainsi 74.792,40 euros – une poussière par rapport aux 100 millions d’euros de créances accumulées par LSK qui devait accueillir la création d’une banque d’affaires au Luxembourg. Cette somme correspond aux retenues sur les traitements et salaires qui auraient dû faire l’objet d’une retenue automatique à la source.

Les administrateurs avaient opposé une fin de non-recevoir au bulletin d’appel en garantie de l’ACD, considérant qu’ils n’avaient pas la gestion courante des affaires – elle revenait à Thierry Leyne en sa qualité d’administrateur délégué. Or ce dernier s’est suicidé le 20 octobre 2014. Leur réclamation du 10 février 2015 auprès du directeur de l’Administration des contributions directes, Guy Heintz, a essuyé un refus net: l’omission de verser les sommes retenues «serait à considérer comme une faute grave» et «un comportement fautif», indique la décision de Guy Heintz, et les membres du conseil d’administration de LSK, selon Guy Heintz, ne peuvent pas «s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers», à savoir Thierry Leyne, qui n’est plus là pour se défendre.   

C’est précisément cette décision de l’ACD que Dominique Strauss-Kahn a attaquée devant le tribunal administratif en juin 2015.

Un privilège indu, selon DSK

Dans le courrier que Me Lutgen a adressé au tribunal administratif, que Paperjam.lu s’est procuré, l’avocat invoque le fait que «l’Administration des contributions directes a un privilège dans la faillite sur les retenues d’impôts sur salaires, mais elle n’est pas la seule à avoir ce privilège», citant l’Administration de l’enregistrement dans sa perception de la TVA ou encore les organismes de Sécurité sociale et de retraite.

Confirmer la légalité de la décision de l’ACD constituerait, au sens de la défense, une «véritable rupture d’égalité entre créanciers privilégiés dans la faillite». Surtout qu’«il est d’ordre public international que tous les créanciers du failli doivent se soumettre au principe de suspension des poursuites individuelles», un principe en vertu duquel «il est interdit aux créanciers du failli, pendant la durée des opérations de la faillite, de produire toute action pour des dommages résultant de l’aggravation du passif ou la diminution de l’actif de la faillite, celles-ci étant réservées au curateur de la faillite qui agit au nom de la masse, même pour les créanciers privilégiés, qui ne disposent d’aucune action particulière».

Contacté par Paperjam.lu, Me Lutgen dénonce une «rupture d’égalité» et une «différence de traitement qui n’est pas raisonnablement justifiée, adéquate et proportionnée à son but». L’ACD s’appuie, ajoute l’avocat, sur une loi générale sur les impôts, initialement intitulée «Abgabenordnung» puisque importée d’Allemagne et provisoirement prolongée depuis 1944, qui «ne cadre pas dans le système légal» du Grand-Duché.

Le tribunal administratif a accédé à la demande de Me Lutgen et autorisé un échange de mémoires afin de permettre aux deux parties de prendre position. Les plaidoiries devraient se tenir à l’automne.