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Au début il y a avait: le monopole... La première loi luxembourgeoise sur le service téléphonique date du 20 février 1884. Elle englobe encore le service télégraphique et laisse à l'Etat la possibilité de donner une concession à un tiers pour l'exploitation. La question monopole ou non faisait l'objet de nombreux débats à la chambre des députés. Parmi les adversaires d'une exploitation privée nous trouvons l'inspecteur de l'Administration des télégraphes. «C'est là une disposition d'une utilité évidente et qui confère à l'Etat le moyen précieux de pouvoir, en temps de troubles intérieurs ou de guerre à nos frontières, s'emparer temporairement de ces moyens de correspondance pour les contrôler, pour empêcher qu'on n'en abuse et pour éviter de cette manière de voir compromise par des menées coupables, la paix à l'intérieur ou d'être entraîné par un fait analogue dans une complication à l'extérieur.» (Trouvé dans EIS POST, Luxembourg, 1992, p.121f).

Ce passage nous semble assez intéressant car, un siècle plus tard nous lisons dans le texte de la loi du 21 mars 1997 sur les télécommunications: -Art. 5. Lorsque la sécurité publique ou la défense du Grand-Duché l'exige, le Gouvernement peut, pour une période limitée, réquisitionner tous les réseaux de télécommunications établis sur le territoire du Grand-Duché, ainsi que les équipements y connectés, et / ou interdire en tout ou en partie la fourniture d'un service de télécommunications. Cette réquisition et / ou cette interdiction ne donneront lieu à aucun dédommagement de la part de l'Etat.»

...Bruxelles vit que ce n'était pas bon et décréta la libéralisation

Avec l'arrivée du deuxième opérateur mobile le consommateur avait été renforcé dans son idée toute faite d'un monde, du moins d'une Europe libéralisée. Le slogan «téléphoner deviendra moins cher» faisait la ronde et effectivement la guerre des prix (qui selon Jean-Claude Bintz, à l'époque directeur général chez Tango, n'aurait jamais dû avoir lieu) a abouti à une chute faramineuse des prix des communications, dans le mobile bien entendu. La libéralisation européenne prend ses origines en 1987; le 30 juin de cette année paraît le livre vert européen sur le développement du marché commun des services et équipements de télécoms. Une première directive parlant de «concurrence» paraîtra 3 ans plus tard en 1990 mais il faudra encore attendre 7 ans avant que la première ébauche de concurrence ne se dessine sur le marché luxembourgeois, plus précisément dans le mobile. Ce n'est finalement que le 25 mai 1998 que «Tango» perturbera le rythme de valse lente du monopoliste étatique, la Poste.

Tango utilise à merveille ce dont la Poste - qui en 1992 change de statut et devient l'Entreprise des Postes et Télécommunications - n'a jamais dû faire usage: le marketing. Celui qui avant 1998 voulait téléphoner tombait sur l'EPT; idem pour envoyer des fax ou se connecter à Internet, il passait par l'EPT. Le réseau Luxgsm avait bel et bien été développé depuis 1993, mais sans que les décideurs politiques croient et investissent vraiment en conséquence dans la radiotéléphonie digitale, évolution conséquente des réseaux analogiques en service.

Du fait, le réseau Luxgsm ne pouvait pas vraiment briller à l'arrivée du nouveau, du premier concurrent. De l'autre côté, le groupe suédois déployait des efforts énormes pour construire en un temps record l'un des meilleurs réseaux GSM d'Europe. L'exploit technique fût épaulé par un stratagème génial, les premières cartes SIM étaient distribuées gratuitement, l'abonnement ne coûtait rien non plus au début alors que la communication ne coûtait presque rien dans la phase d'introduction. (L'on pourrait d'ailleurs se demander pourquoi la même procédure «Friendly-users» n'avait pas couronné le démarrage du réseau Luxgsm du même succès fou.) Un examen de près révèle que, toutes dimensions gardées, il l'aura peut-être été sans que pour autant les conséquences aient été tirées, en effet le chiffre d'abonnés prévisionnel a été multiplié par sept. L'attaque de ce monopole aurait pu être qualifiée de parfaite si Tango n'avait pas connu la débâcle de la facturation. Du coup les service providers de l'EPT ont réagi. Surtout Mobilux qui s'est montré très innovateur dans le nouveau secteur concurrencé, CMD et la Poste suivaient et le consommateur en profitait. 

Mais il n'était pas le seul à en profiter. Tout d'abord la qualité des deux réseaux GSM au Luxembourg ne cessait de s'améliorer. Tango avait bien sûr l'avantage de pouvoir planifier le réseau de A-Z alors qu'au tout début l'EPT avait du implanter leurs sites là où l'Etat possédait du terrain, et non forcément à des endroits stratégiques. Avec la concurrence, l'EPT était obligée de réagir, ne voulant pas perdre ses clients et rater l'occasion d'en acquérir de nouveaux. 

En fin de compte les deux protagonistes reconnaissent que cette situation  était favorable à tout le monde. Avec un taux de pénétration de quelques 75% le Luxembourg est en tête du peloton de la révolution mobile. Le consommateur, lui, aura vu les prix baisser de 30 à 5 Luf / minute en pas même 3 ans. En plus, le Luxembourg possède à l'heure actuelle deux réseaux GSM dont les pays avoisinants ne peuvent que rêver.

L'Entreprise des Postes et Télécommunications de son côté débutait dans le domaine du marketing; certes les premiers pas furent difficiles et l'apprentissage n'est toujours pas achevé. De l'autre côté la concurrence aura connu quelques «pannes de communication», tous les produits n'ayant pas connu le même succès que le lancement du nouveau réseau. A l'état actuel les deux concurrents (nous parlons toujours du segment «mass market»), connaissent les mêmes difficultés. Des technologies qui sont plus succulentes dans la publicité qu'à l'emploi et une production qui n'arrive pas à suivre la demande engendrée par la publicité.

Néanmoins ce qui avait commencé de manière fulgurante, s'est très vite endormi - les prix étaient certes plus bas mais l'on a depuis un certain temps l'impression qu'il n'y plus grand-chose qui bouge côté innovations, services ou prix. Pour en revenir à la comparaison martiale: on est maintenant dans une guerre de tranchées où les positions sont tellement fortifiées que les mouvements ne sont plus visibles à l'oeil nu.

Le Ministre délégué aux communications, M. François Biltgen, pense lui aussi que la situation concurrentielle a certes porté ses fruits mais ne se trouve plus vraiment dans un secteur évolutif. Dans cette optique le gouvernement a décidé d'attribuer 4 licences UMTS (sur 5 possibles) à l'issu d'un «beauty contest» dont les règles devraient être connues d'ici à la fin des vacances. 

Côté mobile nous pouvons donc tirer un résumé positif: les prix sont tombés, les services sont arrivés et laissent encore de la marge pour agir.

Liaison fixe

Assez paradoxalement, la Poste avait déjà de la concurrence dans le fixe avant que la concurrence ne devienne ? de jure ? monnaie courante. M. Edmond Toussing, directeur général de l'Entreprise des Postes et Télécommunications, l'avait annoncé lors de la conférence de presse sur la hausse des prix en septembre 1997. Pour lui les grands «T» étaient déjà présents sur le marché. «AT, BT, DT et FT et tous les autres T qui existent viennent sur notre marché pour partir à la pêche aux gros poissons» caricaturait le directeur général. En effet depuis un certain temps et avec l'arrivée de nouvelles technologies, démarcher les grandes entreprises à trafic international élevé était devenu lucratif. De cet intérêt unique pour les grands l'EPT concluait que le marché résidentiel ne serait pas trop intéressant pour la concurrence. Nonobstant cette annonce tout était mis en oeuvre pour obtenir chaque report possible de la date à laquelle le monopole était susceptible de tomber.

Bruxelles était clair sur le sujet, alors qu'au Luxembourg lors des différentes conférences de presse la réponse était vague. Côté EPT les responsables insistaient sur le fait qu'il n'y avait point d'irrégularités, côté concurrence l'on se plaignait que les choses n'allaient pas assez vite. L'ILT nouvellement créé se cachait derrière son ministre de tutelle, ce dernier finalement ne se fatiguait pas de prêcher que l'avance des pays voisins n'était qu'apparente et qu'il fallait attendre que le marché se développe de façon durable. (Un terme qui décidément depuis peu fait la une de la communication publique).

Jean-Claude Bintz, n'avait pas fait secret des ambitions du groupe derrière lui. Les Suédois étaient venus pour la «totale» et le marché grand public. A côté du mobile, ils visaient le réseau fixe et l'UMTS.

Le client résidentiel a du attendre le 1er septembre 1999 avant de pouvoir tirer profit pour une toute première fois et dans une toute petite partie du monde télécoms de la libéralisation. A cette date Tele 2 introduisait son offre «Call by Call». A l'aide d'un code d'accès le client pouvait faire passer son trafic par le réseau de l'opérateur alternatif. Assez paradoxalement des offres similaires existaient déjà bien avant pour les pme / pmi qui téléphonent beaucoup. A l'heure actuelle, Tele 2 reste le seul qui propose des offres commerciales au client résidentiel. Dans les coulisses d'autres acteurs sont annoncés, mais rien de concret à l'heure actuelle.

Savoir maintenant, si les différents retards sont uniquement fonction de la résistance de l'opérateur historique ou encore causés par des délais dans le déploiement de la concurrence, relève de l'hypothèse.

L'Institut Luxembourgeois de Régulation «Gardien de la Libéralisation», un bilan intermédiaire

L'institut Luxembourgeois des Télécommunications attendait principalement les échéances. Aucun pas proactif en faveur de la libéralisation n'était visible. Ainsi la directive UE 98/61/CE prévoyait en effet l'introduction de la présélection de l'opérateur et la portabilité du numéro pour le 1er janvier 2000. Le Luxembourg jouissait, une fois de plus, d'un délai de 6 mois qui fût scrupuleusement exploité. 

L'on constate que si souvent les lettres de la libéralisation sont acceptées, son esprit ne l'est pas. 

En terme de libéralisation au Luxembourg il faudra retenir la date du 27 juin 2001. Ce jour, l'ILR (qui depuis sa création avait hérité des compétences dans le domaine de l'énergie et de la poste et changé d'ILTélécommunications en ILRégulation) se prononçait pour la première fois sur l'état de la libéralisation. La directrice de l'ILR avait pris la parole dans le cadre d'une conférence de presse à l'issu du conseil des ministres européens des télécommunications. Jusqu'à cette intervention de Madame Odette Wagener, nous avions toujours vainement essayé d'avoir une prise de position de la part de l'institut. Celui-ci nous avait toujours renvoyé vers son ministre de tutelle.

Mais la politique semble avoir changé au sein de l'ILR qui planifie même une conférence de presse pour la rentrée. Ce changement est articulé par la portée de l'intervention. Ce que nombre d'entre-nous pensaient (sans le dire trop haut pour certains) s'est vu transformé en fait. Odette Wagener résumait le rôle de l'ILR en concluant sur un aveu: «L'ILR doit veiller à ce qu'une concurrence loyale soit possible et durable. La concurrence nous a réussi dans le mobile avec une pénétration inattendue du GSM, elle nous a réussi dans le fixe avec les tarifs internationaux. Mais vous avez raison de dire que la concurrence ne nous a pas encore réussi dans le fixe avec les communications nationales.» Il n'y a pas de concurrence au plan national, pas encore car Madame Wagener continuait. «Cette concurrence viendra sûrement avec le dégroupage de la boucle locale, demain nous allons prendre une décision quant à la dernière Version de la RUO (Reference Unbundling Offer) présentée par l'Entreprise des Postes et télécommunications.» 

Un jour plus tard l'ILR a publié ses décisions par rapport à la RUO en demandant à l'EPT de publier le document finalisé et rectifié pour le 13 juillet au plus tard. Les opérateurs alternatifs sont donc dès à présent sollicités pour présenter leur réponse à l'appel.

Sans vouloir anticiper le marché le constat est vite fait. Les deux grands EPT et Tele 2 ont une avance sensible quant à la pénétration sur le marché. Quelques 20.000 abonnés se sont rajoutés sur la liste de l'EPT durant l'exercice 2000 portant le nombre d'abonnements à un total de 330.988 unités. Environ 11.000 d'entre eux ont opté pour la présélection avec Tele 2. Néanmoins ils restent abonnés chez l'EPT et par conséquent continuent à contribuer aux recettes de l'entreprise. Sur le point de l'abonnement il y a de la place pour l'interprétation. Est-ce que cet abonnement est du par l'opérateur alternatif? «Oui» répond Tele 2 «nous payons pour chaque client» argumente leur directeur général Pascal Koster, «le client ne devrait donc plus payer». Les opposants à cette interprétation avancent le dégroupage.

Pour eux, seuls les clients dégroupés ne sont plus redevables, donc ceux où l'EPT a cédé ? par le biais de la location ? la connexion physique. Toujours, d'après eux, il n'y aurait sinon pas de différence entre le dégroupage et la présélection. «Faux» réplique encore Pascal Koster, «le dégroupage est tout à fait autre chose, dans ce cas nous louons la connexion physique, le trafic est uniquement facturé par nous. Avec la présélection nous revendons des minutes achetées auprès de l'EPT, le trafic entrant est toujours pour le compte de l'EPT».

Un appel - deux factures: Incoming Trafic / Outgoing Trafic

Chaque appel téléphonique est établi au moment où un appelant compose le numéro de son correspondant. Dans le cas où les deux sont connectés au même réseau il n'y a pas lieu de disséquer l'appel. Or, l'appelé ne se trouve pas forcément dans le même réseau que l'appelant. Dans ce cas l'appel est divisé en appel sortant (Outgoing Trafic ? du côté de l'appelant) et en appel entrant (Incoming Trafic ? du côté de l'appelé). L'argent pour l'appel sortant aboutira directement dans la poche de l'opérateur auquel est relié l'appelant. L'opérateur du réseau auquel est raccordé l'appelé facturera l'appel entrant à l'opérateur de l'appelant. Celui-ci devra donc partager ses recettes totales. L'ampleur de ce calcul devient visible en jetant un ?il sur le rapport 2000 de l'EPT. 326 millions de minutes internationales sortantes font face à 271 millions de minutes internationales entrantes. Sur le plan national l'EPT enregistre plus de 2 milliards de minutes sur l'année. Les recettes sont donc visiblement générées sur la masse.

Internet - Shooting star de la libéralisation

Alors que les concurrents se font difficiles sur le marché résidentiel, le marché d'Internet fait bande à part. En effet, déjà très tôt, nombre d'opérateurs Internet (ISP, Internet Service Providers) ont concurrencé le monopoliste. En 1997, l'EPT annonçait ne pas vouloir brader son accès: «Nous ne voulons pas être les moins chers mais les meilleurs». Ce qui pour le client professionnel constitue un atout représente une barrière pour le client résidentiel qui ne veut pas investir dans un abonnement pour un médium jeune et à la renommée douteuse. Parmi les concurrents les plus innovateurs, Visual Online qui a pu faire la différence grâce à un service compétent à des prix abordables. VO s'est vu racheté à hauteur de 51% par l'EPT, la libéralisation boufferait-elle ses enfants?

Arrivent alors ceux qui cherchent à avoir le plus grand nombre de clients. L'Internet «gratuit» commercialisé par l'EPT depuis 1995 sous le nom «d'accès kiosque» est réinventé et présenté au client lors de la «Bureautec» en 1999. Trois ISP s'étaient arrangés avec Global One (NLDR: deven Equant depuis cette date) pour cette offre. Du coup le client ne doit plus que payer les frais de connexion pour aller surfer sur Internet. Le nombre de cybernautes explose au Luxembourg. Une fois de plus l'EPT profite de la concurrence. En effet les discounter d'accès ne sont pas à même d'offrir des vitesses d'accès suffisantes pour satisfaire tous les clients. Un certain nombre d'entre eux se souviennent que «la Poste» avait un jour proclamé vouloir offrir le meilleur service et retournent vers le monopoliste. En trois ans, les minutes Internet acheminées par le réseau de l'EPT sont montées de 26 millions en 1997 à 364 millions en 2000.

Alors que l'EPT travaille bel et bien sur différents projets il est très difficile de connaître le dénominateur commun de tous leurs efforts déployés. En effet l'EPT est la seule entreprise regroupant sous un même toit tous les métiers indispensables pour l'e-commerce, à savoir communication, logistique et paiement. Interrogé sur le fait que l'EPT n'exploitait pas d'avantage ses atouts, Edmond Toussing nous a répondus qu'il faut parfois reculer pour mieux sauter. A l'opposé Tango / Tele 2 ne laisse pas de doute sur ses intentions de converger vers une entreprise multi-médiatique. A la communication mobile s'est rajouté le fixe, Internet et bien évidemment le commerce électronique.

Le Prix de la libéralisation

Le monde est devenu plus rapide, les télécoms l'un des secteurs les plus évolutifs et des plus importants de la vie économique. On parle de multimédia et de convergence, de libéralisation et de globalisation. On parle aussi surtout des avantages pour le client. Hélas force est de constater que le client est trop souvent négligé dans toutes ces négociations. Certes le consommateur est harcelé à grands coups d'acronymes sacro importants dont l'usage identifie l'utilisateur comme «insider», comme «homo connecticus». Mais le nombre de ceux qui savent faire la différence entre le système globale de positionnement (GPS) et la transmission de données en mode paquets (GPRS) est restreint. Tout aussi restreint que le nombre de ceux qui utilisent plus de 40% des fonctionnalités de leur téléphone portable.

Tout simplement parce que Bruxelles a oublié de décréter que quelqu'un explique aux gens ce que c'est la libéralisation et que les opérateurs n'ont tout simplement pas d'intérêt commercial à l'explique. Par conséquent, personne ne le fait.

Bruxelles a demandé de permettre la concurrence et de veiller à ce qu'elle soit réelle, Bruxelles a peut-être oublié que la concurrence ne s'établit qu'à condition qu'elle rapporte. Le Luxembourg est champion du monde en licences attribuées, non moins de 12 opérateurs ont une licence «A» pour l'exploitation de réseaux de télécommunications avec service de téléphonie, 16 autres ont une licence soit pour l'exploitation de réseaux de télécommunications soit pour la téléphonie. Les retombées sur le marché du client résidentiel se font néanmoins attendre.

Reste l'espoir que ceux qui s'annoncent au vu de l'aboutissement du dossier du dégroupage soient plus innovateurs, afin que le client lambda commence à comprendre ce qui se passe dans ce monde fou de la libéralisation où l'on augmente les prix alors que tout était sensé devenir moins cher?