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"En matière d'équipement informatique, nous avons au Luxembourg deux marchés principaux qui ne fonctionnent pas de la même façon", commente Jérôme Grandidier, PDG de SIT Group. On trouve ainsi les banques, qui sont à la pointe, et les PME/PMI qui demeurent plutôt en retrait. Si les institutions du secteur financier sont en effet largement en tête dans le domaine de l'investissement informatique, et même en avance par rapport aux autres pays, les petites et moyennes structures investissent, elles, dans une moindre mesure. Du fait de leur petite taille et de celle du pays.

Pourtant, une nouvelle tendance a émergé ces dernières années, avec un schéma qui s'inverse. Dès 2002 en effet, les banques ont délaissé la course à l'équipement pour l'équipement, sont devenues plus frugales, se recentrant sur leurs métiers et révisant leurs investissements à la baisse.

"Sans qu'il y ait de véritables motivations financières en jeu, les banques soignaient naguère leur image par une surenchère au niveau technique et par une course à l'équipement informatique, principalement basées sur le visible (le système central) et les petits équipements périphériques (PC et laptops), se souvient Laurent Brochmann, chief information officer chez Deloitte. Les stratégies d'investissement des banques sont désormais plus en phase avec leurs réels besoins", complète Jérôme Grandidier. En revanche, et le phénomène est plus récent, les PME et PMI s'équipent de plus en plus, et mieux. Naguère considérée comme un mal nécessaire et limitée aux seules applications bureautiques et comptables, l'informatique s'installe maintenant en force dans les petites et moyennes entreprises. "Toutefois, leurs budgets en la matière restent plus modestes, à part quelques exceptions et sauf pour le segment 'élevé' ou 'mid market'", commente Gérard Hoffmann, administrateur délégué et président du conseil d'administration de Telindus Luxembourg.

Plus de professionnalisme

Sur ce segment médian, qui regroupe les entreprises comptant entre 50 et 250 employés, on peut distinguer deux groupes de sociétés: celles dont l'activité et l'organisation reposent sur les technologies de l'information et de la communication (auxiliaires financiers, ingénierie, fiduciaires...) et celles dont les besoins sont plus limités (artisanat, construction...), et qui accusent un certain retard dans ces mêmes technologies.

Pour cette raison, "le marché des PME/PMI constitue notre plus grand défi, confie Charles Pièrard, business development et marketing manager de Systemat Luxembourg. Depuis deux ans, le monde des petites et moyennes entreprises connaît une forte expansion dans le domaine des équipements et services IT, marquée par de grands progrès, dans la qualité de l'outil informatique, mais surtout dans la gestion des infrastructures".

En 2003, le Centre de Recherche Public Henri Tudor mettait le doigt sur les lacunes de gestion informatique des petites et moyennes entreprises. Et développait, dans la foulée, le modèle Noemi (Nouvelle Organisation de l'Exploitation et de la Maintenance Informatiques), dans une optique de performance de leur matériel IT et d'une réduction des risques informatiques (voir encadré ci-contre).

Devenu opérationnel en 2005, Noemi implique, pour les quelque 70 entreprises qui ont adhéré au programme, une mise à niveau préalable de leur équipement et une maturité de leurs pratiques informatiques. "Dans ce domaine, les PME et PMI ont désormais une obligation de résultat, ce qui est nouveau au Luxembourg", précise Charles Pièrard.

En marge de ces deux grandes catégories de marchés, les administrations luxembourgeoises et les institutions européennes se sont, ces dernières années, orientées dans une politique d'équipement à plus grande échelle. "Le secteur gouvernemental, à l'instar de la branche santé, consacre des budgets de plus en plus importants à son infrastructure TIC, rappelle Gérard Hoffmann. Cela vaut aussi pour les institutions européennes à Luxembourg qui réalisent aujourd'hui les projets décidés après les différents élargissements".

Matériellement parlant, ces grands contrats sur plusieurs années couvrent à la fois des grosses commandes en infrastructures IT (PC, périphériques, serveurs et systèmes d'exploitation et de stockage et de logiciels), mais aussi dans le domaine de la téléphonie.

Dans ce secteur aussi, le professionnalisme commence à rentrer dans les moeurs: avec la spécificité de leurs besoins et projets, mais aussi du fait des budgets croissants qu'elles sont amenées à gérer, les administrations nationales et supranationales ont, par la force des choses, amélioré leurs procédures d'appels d'offres; mieux ficelées, elles gagnent aussi en rigueur et en efficacité.

Cycles longs

Ces multiples changements de tendances, observés ces dernières années, n'ont pas été sans impact sur les cycles de renouvellement des infrastructures ainsi retenus par les différents segments de clientèles professionnelles et institutionnelles. "Tout dépend de l'importance de l'infrastructure TIC dans les entreprises, sachant que les entreprises fortement dépendantes de leur outil informatique le remplaceront plus facilement que les autres", affirme Gérard Hoffmann.

L'exemple du secteur bancaire est plutôt révélateur: revue à la hausse, la durée d'utilisation de l'équipement passe de quatre à cinq ans, au lieu des cycles biennaux ou triennaux précédents.Plus généralement, les intégrateurs s'accordent sur les taux moyens de remplacement actuels: pour les équipements desktop, par exemple, le renouvellement se fait après trois ans dans les grandes entreprises et entre quatre et cinq ans dans les entreprises du mid market. Pour les équipements réseaux, les serveurs Wintel sont remplacés après trois ans, quatre ans pour les systèmes de stockage et cinq ans pour les serveurs Unix. Tandis que les équipements de communication seront changés au bout de trois à cinq ans, selon leur importance dans l'infrastructure de l'entreprise.

"La démarche d'équipement informatique et le cycle de renouvellement retenus aujourd'hui reflètent une tendance plus professionnelle et orientée business, affirme Laurent Brochmann. Tout responsable informatique se pose désormais la question suivante: quel matériel choisir, pour apporter plus de valeur ajoutée à mon entreprise et à mes activités?".

Pour sa part, Xavier Dal Molin, sales manager chez Computersystems, constate une rationalisation des investissements, chaque projet devant justifier d'un ROI clair et rapide avant d'être validé. "En outre, les fonctions IT sont de plus en plus considérées comme stratégiques. D'un simple poste de coût, l'informatique devient un vecteur de création de valeur pour l'entreprise, d'où une pression accrue sur les directions informatiques, qui subsistera quelle que soit l'évolution du climat économique", remarque-t-il.

Privilégier les besoins métiers

Face à ces réorientations stratégiques, les intégrateurs ont dû, eux aussi, s'adapter. Et se repositionner sur un marché déjà très évolutif et dynamique, en adoptant une approche désormais orientée services, au détriment de la simple fourniture d'équipement. "Le matériel devient de moins en moins rentable, mais implique des services en amont et en aval, générateurs de fortes marges", explique Charles Pièrard.

"Nous parlons maintenant de solutions ou de technologies, plutôt que de matériels. La convergence de technologies et de solutions est de plus en plus privilégiée par le marché, notamment pour les infrastructures de communications, entre le fixe et le mobile, l'informatique et la téléphonie. C'est autour de la téléphonie IP que se réalise cette convergence qui prend de plus en plus d'impor-tance sur le marché luxembourgeois", confirme Gérard Hoffmann.

La demande de services se distingue là aussi fortement selon les catégories de clientèle. Si les PME/PMI recourent à un service global et à des ingénieurs qui prennent en charge l'intégralité de leur outil informatique, les grandes entreprises, les administrations et les institutions européennes feront plutôt appel à des services basés essentiellement sur une complémentarité d'expertises et sur une collaboration avec les ressources informatiques internes. "Un vrai changement s'est là aussi opéré de la part des clients: ils ont intégré l'informatique dans leurs activités au quotidien, acceptent d'être aidés et externalisent de plus en plus le service et les compétences", reconnaît Charles Pièrard.

Mais en échange, les clients exigent, de la part des intégrateurs, des compétences métiers de plus en plus poussées. "Pour cette raison, nous devons désormais proposer des expertises qui sont pointues dans les domaines de l'intégration de systèmes d'exploitation et de l'administration de bases de données notamment", continue le marketing manager de Systemat Luxembourg.

Jérôme Grandidier résume ainsi ces nouvelles attentes des clients: "On a des besoins métiers, on a une application qui arrive en bout de course, et on décide de changer de matériel. Alors, on regarde les nouveaux acteurs qui arrivent, on prend des services associés avec eux, et on leur achète du matériel...".

Dans le même temps, les ventes de produits, de logiciels et de services IT au Luxembourg continuent de grimper, et leur hausse devrait atteindre environ 6% (8% pour les hardwares) en 2007. "Plus particulièrement, tout ce qui touche au stockage des données et aux télécoms risque de se renouveler plus rapidement car les performances technologiques dans ces domaines évolueront également plus rapidement", prévoit Gérard Hoffmann.

Comment se positionne le pays avec de tels chiffres? "En ce qui concerne le mid market, la valeur d'achat est plus élevée au Luxembourg que dans les autres pays. Ceci est dû sans doute à la volonté des entreprises luxembourgeoises d'investir davantage dans les technologies de pointe", explique Gérard Hoffmann.

Plus concrètement, avec une dépense en ma- tériel informatique estimée en 2005 à 1.912 euros par habitant et avec 98,1% des entreprises de plus de dix salariés dotées de l'outil informa-tique, le Luxembourg se situe, en termes d'équipement informatique, dans le haut du tableau européen.

Question connectivité, selon le Bulletin 1-2007 du Statec, consacré comme chaque année aux TIC, 95% des entreprises de plus de dix salariés étant informatisées possèdent une connexion Internet, mais seulement 65% d'entre elles disposent d'un site web. La connexion par bande large s'est généralisée de sorte que 81% des entreprises l'ont adoptée. Avec ce taux les sociétés luxembourgeoises se situent légèrement au-dessus de la moyenne européenne (80%), mais derrière les pays les plus performants en la matière telles l'Espagne (94%), la France (92%), la Belgique (89%) ou encore les Pays-Bas (84%).

Place forte européenne des données

"Le Luxembourg demeure dans le peloton de tête en termes d'équipement, surtout face à ses voisins européens. Le niveau des infrastructures locales dû à des investissements renouvelés régulièrement de-meure un atout non négligeable à ce jour", commente Xavier Dal Molin.

Pourtant, "alors que ces chiffres indiquent que le Luxembourg s'est créé une place semblable à la Suisse ou à certains pays scandinaves si l'on considère la 'densité informatique', le marché des TIC n'est pas encore sorti du deuxième plan", relativise Gérard Hoffmann.

"Le Grand-Duché est en retard tant au niveau de la diversité de la connectivité internationale et nationale que de la téléphonie, que ce soit dans les administrations ou dans les banques, regrette de son côté Jérôme Grandidier. Pourtant, des applications existent déjà dans ces domaines; d'autant plus faciles à mettre en place et à étendre, que le pays est petit".

L'évolution du marché des télécoms est tellement dynamique qu'elle crée des opportunités qui peuvent être plus facilement testées dans un petit marché qu'ailleurs. "Mais ce qui est surtout important c'est que l'infrastructure et les coûts des télécommunications doivent être com-pétitifs pour positionner favorablement le Luxembourg dans la concurrence internationale des sites informatiques des grands groupes", prévient Gérard Hoffmann.

Par rapport aux sites informatiques concurrents, "le Luxembourg présente pour les filiales des grands groupes un atout important: elles possèdent en général une masse critique suffisante pour pouvoir s'autoriser certaines expériences -infor-matiques, sans mettre en danger leurs activités, tout en gardant ce risque sous contrôle", rappelle Laurent Brochmann.

Pourtant, "même si les banques tentent de garder la mainmise sur leur IT et la téléphonie, le choix des technologies des grands groupes étrangers se situe de plus en plus hors des frontières luxembourgeoises", admet Jérôme Grandidier.

Le Grand-Duché a encore du répondant pour se positionner à l'échelle internatio-nale, avec notamment une politique de cadre réglementaire (agrément PSF, fiscalité...), les initiatives gouvernementales et communales dans le domaine des technologies de l'information et de la communication ou encore, à l'exemple de la récente création de la société "Luxconnect". Sa mission: améliorer la diversité de la connectivité internationale, avec comme effets attendus, une dynamique croissante sur le marché des communications (ouverture à la concurrence, stratégies d'alliances, nouveaux entrants), une réduction de la fracture numérique au sein du pays, l'apport de nouvelles compétences sur le marché des services et solutions informatiques.

"Avec une politique de cadre réglementaire visant à faire du Luxembourg une place forte européenne des données - le coffre-fort des données -, les prémisses existent pour que le Luxembourg puisse trouver une place assurée dans le marché des services TIC à l'échelle internationale. Encore faudra-t-il saisir les opportunités qui s'en dégagent.C'est pourquoi la promotion de la place TIC devrait rejoindre celle de la place financière au sein de la nouvelle agence de promotion que le gouvernement se propose de créer. Ce n'est que par une communication professionnelle que nous arriverons à positionner correctement le Luxembourg dans le futur marché", conclut Gérard Hoffmann. || Marc Alison

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Noemi pour la bonne gestion de l'outil IT

Chargé d'une étude sur la qualité de l'outil informatique des PME au Luxembourg, le CRP Henri Tudor a mis en place le modèle Noemi (Nouvelle Organisation pour l'Exploitation et la Maintenance Informatiques), visant à la fois à réduire la mauvaise gestion de l'outil informatique de ces sociétés, mais aussi à améliorer leurs relations avec les prestataires de services, afin d'optimiser la qualité de leurs systèmes d'information.
"Déployé en janvier 2005 et dédié exclusivement aux PME, ce modèle instaure des pratiques de bonne gestion de l'outil informatique et repose sur les principes de l'externalisation et de la gestion participative", explique Charles Pièrard, business development et marketing manager de Systemat Luxembourg.
D'un côté, en effet, la société de services s'engage sur la réalisation des activités informatiques chez le client, basée sur les meilleures pratiques du marché (expérience des grandes sociétés, méthodologie ITIL), avec des moyens à fournir et une obligation de résultat. Pour sa part, la PME doit, dans un premier temps, faire évaluer la maturité de son équipement informatique par un audit neutre, et le mettre à jour en fonction des recommandations d'urgence et d'importance émises. Elle rejoint alors un groupe de six à sept entreprises (grappe), avec lesquelles elle partagera le même informaticien de la société de services et jugera sur une base régulière de la qualité du service et de la prestation selon un tableau de bord bien défini.

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Systèmes centraux bancaires: âge moyen de neuf ans

En mars 2006, KPMG a réalisé la dernière édition de son enquête annuelle sur les pratiques des banques belges et luxembourgeoises dans le domaine informatique. Il y est notamment détaillé l'ancienneté moyenne des systèmes d'application utilisés. Ce sont les plateformes Ibsy qui sont, de loin, les plus anciennes (datant de 1985), devant Ibis (1994) et les systèmes in house (1995). Quelques autres applications ont commencé à tourner avant l'an 2000, notamment Midas (1996), Olympic (1997) et Apsys (1997). Parmi les plus récentes, KPMG a identifié Temenos/T24 (2000), Thaler (2001) et Obs (2003).

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Core banking systems

Est-ce le début d'un nouveau cycle d'équipement? Les banques envisagent à nouveau de renouveler leurs systèmes centraux, non sans réticences, étant donnée l'ampleur de la tâche et des budgets mobilisés. Bien souvent dépassé (avec une moyenne d'âge de dix ans, voir ci-dessus), lourd, coûteux et généralement développé en interne, cet outil, qui constitue pourtant le véritable coeur informatique de leurs activités de base, s'avère peu adapté aux objectifs et aux réalités stratégiques actuelles des banques.

La crise des années 2001-2002 et les consolidations des années 2003-2004, mais aussi les multiples investissements de type prudentiel engagés ces dernières années, avaient en effet relégué ce projet en queue des priorités informatiques. Mais la reprise de l'activité et les perspectives de croissance des prochaines années incitent les banques à accomplir le grand saut.

D'autant que la concurrence se fait rude côté fournisseurs: "Nous assistons à une vraie guerre au niveau des softwares sur le core banking notamment. Les principaux grands fournisseurs sont désormais mis en concurrence avec de nouveaux acteurs qui arrivent sur le marché et proposent de nouveaux logiciels fonctionnant sur des machines qui coûtent moins cher", affirme Jérôme Grandidier, PDG de Sit Group.