Entre contraintes légales et gestion courante, le stockage de documents est une donnée de plus en plus cruciale pour les organisations de tous genres.
à une époque où les échanges électroniques d'information prennent une importance stratégique, le bon vieux "papier" n'en garde pas moins une place de choix dans les habitudes des uns et des autres. Combien d'e-mails sont-ils imprimés avant d'être lus et traités? Combien de documents "pdf" passent-ils par la case "print" avant leur prise en mains?
Le réflexe est d'autant plus naturel, de nos jours, qu'il n'existe pas encore vraiment de règle juridique clairement établie en matière de production de preuve "électronique" en cas de litige. "Même au début du XXIe siècle, la preuve est encore essentiellement écrite, explique Luc Themelin, directeur adjoint à La Luxembourgeoise. Si l'on produit à un juge un document qui n'est pas un original, il pourra ne pas être pris en compte. On ne peut donc pas encore imaginer venir devant un juge avec une simple disquette. L'environnement se créé petit à petit, mais il subsiste encore un flou, même si certains éléments de loi permettent certaines interprétations".
Le jour où le tout électronique sera, en effet, reconnu, bon nombre d'institutions, financières ou pas, seront soulagées d'un certain poids. Dans le domaine des assurances, par exemple, les opérateurs sont tenus de conserver tous les éléments matériels relatifs aux actions en responsabilité pendant une période de trente ans. Pour le reste, les délais de garde sont généralement de dix ans après la clôture d'un contrat ou du règlement d'un sinistre.
à La Luxembourgeoise, les archives des dossiers représentent, à l'heure actuelle, quelque 14 millions de pages, stockées sur plus de 1.400 m2 répartis sur quatre différents sites. En simplifiant les données à une moyenne de cinq grammes pour une feuille de papier au format A4, on arrive donc à un poids d'environ 70 tonnes, y compris classeurs et autres boîtes de rangement... Les dossiers les plus importants et les plus actuels sont conservés par chaque agent dans son bureau. à un deuxième niveau de classement, d'autres dossiers sont conservés au sein même du siège de La Luxembourgeoise, boulevard Royal. Les archives "semi-mortes" sont conservées à la cave. Les archives "mortes", quant à elles, sont réparties sur différents sites en ville, rapides et faciles d'accès.
Chaque année, le ménage est fait dans ces archives, les dossiers "hors date" étant irrémédiablement éliminés, selon des procédures bien précises. Dans le même temps, depuis quelques années, des procédures informatiques mises en place à chaque création de nouveau dossier permettent une gestion un peu plus automatisée des archives les plus récentes. "La logique est que toute application informatique possède les données nécessaires pour être archivée et générer le moins de papier possible", explique M. Themelin. Entre le développement de la communication interne par mail ou Intranet (adieu les encombrantes notes de service...), l'objectif est aussi de parvenir à réduire le nombre de documents imprimés, et donc susceptibles d'être archivés. Pour l'heure, plus de 405.000 impressions sont réalisées sur les imprimantes système de la compagnie.
Quant aux archives existantes, un grand projet de numérisation qui pourrait être mis en oeuvre dès l'année prochaine, est en cours de réflexion. En imaginant une moyenne d'une seconde par page archivée, pour une personne, cela correspond tout de même à un chantier de six années en perspective...
Cette problématique est, évidemment, commune à tous les acteurs du secteur. Difficile, pourtant, d'envisager un partage d'expérience avec les autres... "On touche là à un point sensible et il est délicat de divulguer aux concurrents la façon dont nous fonctionnons", explique M. Themelin. Un point de vue complété par Jean-Paul Meyer, responsable de la communication externe à La Luxembourgeoise: "Une entreprise avec un turn over important aura intérêt à avoir tout sous forme électronique. C"est moins le cas chez nous... La véritable organisation optimale dépend clairement de la culture et de l'historique de l'entreprise".
Vers le tout numérique?
La réflexion sur une nouvelle façon d'archiver les documents est aussi en cours chez SD Worx, spécialisée dans les services de gestion des rémunérations. L'administration et le calcul des salaires sont générateurs de papier, en particulier le volet "décompte des rémunérations", puisque chaque document est imprimé en trois exemplaires: un à destination de l'employé, un autre pour l'employeur et le troisième conservé en archives. Là aussi, les obligations juridiques imposent une conservation des documents sur une période de dix années.
"Nous allons passer le cap des 10.000 décomptes par mois d'ici janvier 2007 et notre objectif est de doubler de taille dans les quatre ans. D"où la génération d'autant de papiers supplémentaires", analyse Olivier Noblot, general manager de SD Worx au Luxembourg. Un indicateur "Impression papier" fait d'ailleurs partie intégrante du tableau de bord de pilotage de la société, étant donnés les charges et impacts associés non négligeables. Il faut dire qu'environ un million de feuilles par an sont imprimées. "Nous ne souhaitons pas augmenter ce nombre de tirages et nous travaillons sur plusieurs axes allant en ce sens". Du reste, ces trois dernières années, le portefeuille client de la société a été multiplié par deux et demi, mais pas la quantité du nombre de documents imprimés.
Les documents relatifs à l'année courante, codifiés et classés selon un processus bien défini, restent évidemment à portée de mains des différents gestionnaires. "Nous avons des systèmes de rangement dans des armoires qui font aussi office de cloisons. Il s"agit aussi, pour nous, d'un instrument d'harmonie du mobilier, ce qui n'est pas sans frais non plus", reconnaît M. Noblot. Au-delà de cette année "courante", l'archivage est confié à un prestataire extérieur. "Nous sommes notre propre client de notre concept d'outsourcing. Notre métier, c'est le secrétariat social, et non pas la gestion de boîtes d'archives et d'indexation. Sans oublier que si l'archivage constitue un élément essentiel, il faut aussi compter avec la rapidité de recherche des documents archivés". L'outil informatique est, dans le cas présent, indispensable, pour savoir quelle information rechercher dans quel type de document rangé à quel endroit. Gestion électronique de document et archivages vont, de plus en plus souvent, faire bon ménage...
La voie électronique est, là aussi, une piste sérieusement explorée. En Belgique - là où la maison mère de SD Worx s"est développée depuis 1945 -, le gouvernement a réaffirmé sa volonté de favoriser la mise à disposition de documents électroniques. "Cela va entrer dans le domaine du commodity en Belgique, mais reste encore révolutionnaire au Luxembourg", note M. Noblot qui rappelle que lors de la mise à disposition de tels types de documents électroniques, les contraintes juridiques, opérationnelles et de confidentialité sont fortes. "Cette solution s'adressera difficilement aux industries, où les salariés ne disposent pas tous de facilités informatiques", indique-t-il. Le concept du e-playslip est cependant bien concret et réel au Luxembourg puisque SD Worx communique déjà pour des clients les décomptes de rémunération individuels par voie électronique. Leur distribution se fait alors individuellement au travers d'une solution Intranet, HR-Webworx, également développée par la société. Pour des clients de petite taille, l'envoi groupé des décomptes de rémunérations est alors envisagé. à charge pour le client d'en assurer la diffusion auprès de ses propres employés.
Cet ensemble de réflexions a, obligatoirement, des répercussions sur l'organisation des flux, l'agencement des machines, voire la conception même des espaces de travail. "L'archivage constitue un bon point de départ pour une réflexion plus générale sur l'organisation globale de la société. Un fil que l'on tire d'une pelote de laine".
Sygaal: un travail de fourmi
à une tout autre échelle, la problématique de l'archivage est également au coeur des préoccupations de Jean Back, le directeur du Centre national de l'audiovisuel. Là, il ne s"agit plus de dossiers clients ou de bulletins de paie, mais plutôt du patrimoine culturel sonore et visuel du pays. Films, photographies, bandes-son, livres, posters... Au total, ce sont près de 30.000 documents films, 10.000 documents vidéos, 300.000 documents photographiques et près de 6.500 heures de bandes-son qui trouveront leur place au niveau -1 du nouveau bâtiment actuellement en cours de construction et dont l'inauguration est prévue pour septembre 2007. Et tous ces documents originaux disposeront d'un véritable clone numérique, qui sera stocké et géré par de grands robots, un étage plus haut.
Dans le parallélépipède de béton et de verre imaginé par le bureau d'architectes Paul Bretz (un spécialiste du genre, puisqu'il fut également primé au premier rang dans le concours des archives nationales de Luxembourg), qui sera partagé avec le centre culturel régional de Dudelange, plus d'un quart des surfaces propres au CNA sera dédié aux archives, dans des sas isolés à la température (entre 6° et 16° selon la nature des documents conservés) et au taux d'humidité (40%) rigoureusement contrôlés. "Il s"agit d'un arrangement acceptable, compte tenu des normes internationales", estime Jean Back, qui rappelle que dans d'autres cas, les négatifs photos, par exemple, sont conservés à température négative. "Mais le plus critique, ce n'est pas tant la température que ses variations", précise-t-il.
Une soixantaine d'armoires de type Compactus serviront d'accueil à l'ensemble des boîtes, bobines et digi-cassettes qui seront conservées dans ce qui constituera à la fois l'espace le plus sécurisé et le plus coûteux du bâtiment. La consommation annuelle totale du bâtiment en énergie électrique a été estimée, en 2001 - lors de l'établissement du projet de loi - à près de 100.000 euros sur un total de frais de consommation (gaz, eau...) de 115.000. L'entretien des installations électriques, lui, devrait coûter, chaque année, dans les 55.000 euros, soit près d'un dixième des frais totaux d'entretien.
Reste que ce bâtiment ne sera pas un simple entrepôt d'archives, loin s"en faut. "Nous avons subdivisé les salles afin de se retrouver facilement dans l'organisation de l'espace, explique M. Back. Mais le problème qui se pose est qu'on ne peut pas y intégrer les documents n'importe comment. Il faut un travail énorme en amont et prévoir des perspectives en aval. Sinon, ces archives ne serviront à rien du tout".
Ainsi, ne pourra pénétrer dans le Saint des Saints qu'un document ayant été "traité", c'est-à-dire répertorié, inventorié, reconditionné, nettoyé, restauré, pour en faire un document pur et propre, capable de représenter des méta données dans les rayonnages. "Quelle que soit la nature physique du document, il doit être répertorié dans notre base de données et retrouvable sur sa place physique", indique le directeur du CNA.
à l'heure actuelle, la base de données principale Sygaal+ (Système de gestion des archives audiovisuelles du Luxembourg, créé en collaboration avec le Centre Informatique de l'État et le CRP Henri Tudor) est sur le point d'être finalisée, en dépit des difficultés générées par la nécessité de créer un outil qui tienne compte des spécificités de trois matériaux différents (image, vidéo et son) et que chacun pourra utiliser selon ses propres besoins.
Depuis quelques années, le chantier de tous les documents à archiver est en cours. Près de 7.000 heures de films ont déjà été numérisées par Broadcasting Center Europe, soit environ la moitié du chemin à parcourir. Le traitement des photos, lui, se fait sur Paris. Quant au son, les réflexions sont encore en cours pour aboutir au système alliant, au mieux, rapidité et efficacité.
***///---\\***
Secteur financier: cinq ans, dix ans...
Les obligations en matière de conservation de documents - indépendamment de la problématique des backups informatiques - ne sont pas légion dans le secteur financier. L'article 36 de la loi du 12 mars 1998 se contente de préciser qu'"un établissement de crédit ou un PSF est obligé, au titre des règles prudentielles (...) à veiller à ce que l'enregistrement des opérations effectuées à conserver, conformément aux délais prévus au Code du commerce, soit au moins suffisant pour permettre à la Commission (la CSSF, ndlr) de contrôler le respect des règles prudentielles qu'il doit faire appliquer".
En matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, la loi du 12 novembre 2004 précise que les professionnels, afin de servir d'élément de preuve dans toute enquête en la matière, sont obligés de conserver pendant une période d'au moins cinq années après la fin des relations avec leur client, l'identification, la copie ou les références des documents exigés. Ils doivent également conserver les transactions, pièces justificatives et enregistrements (documents originaux ou des copies ayant force probante similaire au regard du droit luxembourgeois), pendant une période d'au moins cinq ans à partir de l'exécution des transactions. Le tout sans préjudice des délais de conservation plus longs prescrits par d'autres lois...
Le Code du commerce, par exemple, prévoit de manière plus générale un délai standard de conservation à titre de preuve (archive) de dix ans pour les documents habituels (extraits, opérations, etc.).
Enfin, il est à noter que la loi du 22 décembre 1986 sur la preuve des actes juridiques et le règlement A-108 du 30 décembre 1986, qui modifie le Code du commerce, indiquent que, à l'exception du bilan et du compte des profits et pertes, les documents peuvent être conservés en micrographie ou sur support informatique, à condition que les reproductions ou les enregistrements correspondent au contenu des documents ou des informations à conserver et qu'ils soient disponibles en permanence pendant la durée de conservation sous une forme directement lisible.
Pour les enregistrements sur support informatique, le programme utilisé doit, en outre, être compatible avec les principes d'une comptabilité régulière.