Derrière les racks et les infrastructures connectées, il y a des enjeux considérables. (Photo: Licence CC)

Derrière les racks et les infrastructures connectées, il y a des enjeux considérables. (Photo: Licence CC)

L es données, si elles sont bien exploitées, ont une valeur inestimable. Les géants du web, qui ont compris cela depuis longtemps déjà, font aujourd’hui rêver d’autres acteurs de plus petite envergure qui disposent de quantité de données. Est-il cependant possible, pour des acteurs luxembourgeois, de profiter des opportunités offertes par ce qu’on appelle le big data? Y a-t-il une place sur le marché pour des acteurs locaux qui n’ont pas l’envergure d’un Facebook, d’un Google ou d’un Amazon?

Encore faut-il, dès le départ, savoir de quoi l’on parle exactement, tant chaque ère technologique a pour habitude de décliner des concepts valise. Aujourd’hui, celui qui est capable de générer une étincelle dans le regard de la plupart des entrepreneurs innovants, c’est celui de big data. Il est sur toutes les lèvres et mis à toutes les sauces.

Fin février, d’ailleurs, l’événement Big Data Convention, organisé par la firme belge Markcom, a fédéré à Munsbach les principaux acteurs régionaux actifs dans ce domaine. L’occasion de se pencher sur les opportunités que le Luxembourg pourrait tirer d’un bon positionnement en la matière.

Volume et complexité

On sait que le pays est désormais situé au cœur des autoroutes de l’information. Qu’il dispose d’une capacité d’hébergement de données parmi les plus sécurisées et les plus importantes au monde. Ces infrastructures doivent permettre des analyses complexes de masses de données. S’essayant à l’exercice délicat d’établir les limites du concept big data, un panel a tenté d’en définir les caractéristiques intrinsèques. «Il est illusoire de prétendre pouvoir en donner une définition simple, résume Olivier Caudron, senior sales engineer chez Intersystems Benelux. On peut envisager le concept selon différents points de vue et approches, techniques ou business. Mais je dirais que l’on pourra parler de big data quand les solutions traditionnelles d’analyse ne suffisent plus à traiter le volume ou la complexité des données envisagées.»

Exploiter de manière efficace une base de données ne s’apparente pas forcément à une démarche big data. Par exemple, si un concessionnaire automobile initie une démarche commerciale vers un client qui a acheté une voiture auprès de lui quatre ans auparavant, dans la mesure où on a pu identifier qu’il changeait de voiture tous les quatre ans, cela s’apparente à de l’intelligence commerciale s’appuyant sur un bon CRM. Mais il ne s’agit en rien de big data. De la même façon, un opérateur télécoms qui propose une offre mieux adaptée aux habitudes de consommation d’un de ses clients ne fait pas du big data.

Le big data vise donc des analyses complexes de données en masse. En étant analysées de manière opportune ou systématique, en temps réel, ou encore croisées avec d’autres informations, ces données peuvent être source d’opportunités. Les données clients ou en lien avec les métiers, comme des transactions ou flux financiers, peuvent permettre de dégager des tendances, de comprendre des comportements, de trouver des leviers d’amélioration du business, de se rapprocher du client.

Les grands, mais pas seulement

«Ce sont les géants du web, ayant anticipé l’explosion que l’on connaît en matière de création et de transmission de données et l’intérêt de mieux les exploiter, qui ont appliqué dans une approche business des concepts scientifiques d’analyse complexe», explique Cyril Pierre-Beausse, avocat à la Cour (aujourd’hui à son compte, après 13 années passées chez Allen & Overy). Une approche menée jusqu’à faire de la donnée l’élément-clé de leur business model. «Plusieurs d’entre eux vendent moins leurs services que la gestion de la donnée. Aujourd’hui, sur une plateforme de vente en ligne par exemple, il est possible de suivre chacun des potentiels acheteurs ou acheteurs, d’en savoir plus sur leurs goûts, leurs centres d’intérêt, selon les périodes de la journée, de l’année. En croisant les données collectées en masse, il est possible d’établir des profils très complets et performants, des typologies d’acheteurs et de leurs comportements, afin de pouvoir les anticiper. Cela a une réelle valeur en termes de business.»

Tout le monde, cependant, ne peut pas revendiquer l’étiquette de «géant du web», comme Google, Amazon, Facebook… Cela dit, compte tenu des possibilités offertes aujourd’hui pour mieux exploiter les données, avec des systèmes et des processus de gestion big data plus accessibles, l’appétit d’un nombre grandissant d’acteurs s’aiguise.

Même au Luxembourg? «Souvent, nos clients, en Belgique ou au Luxembourg, ont tendance à penser qu’ils ne sont pas concernés par le big data, considérant que la taille du territoire, en comparaison par exemple avec les États-Unis, est trop petite. Et donc que le nombre de données disponibles à croiser ou à analyser est insuffisant, commente Mathias Coopmans, principal consultant information management & analytics au sein de SAS Institute. Il n’en est rien. Le concept de big data peut s’appliquer pour l’analyse d’une faible quantité de données, si ce que l’on recherche relève d’une complexité importante.» Compte tenu des interactions qui peuvent exister entre les données, celles produites par l’homme, à travers les réseaux sociaux ou lors d’un achat en ligne par exemple, et celles générées par les machines elles-mêmes, on peut rapidement être confronté à des analyses effectivement complexes. «L’enjeu est d’extraire de ces sources de données, souvent non structurées, des informations utiles pour générer de la valeur», poursuit M. Coopmans.

Se fixer des objectifs

Pratiquer l’analyse de quantités de données peut amener à une multitude de résultats. «Considérer la technologie comme une fin en soi est une erreur. Elle n’est qu’un outil permettant d’atteindre des objectifs. Il faut pouvoir les définir, déterminer ce que l’on souhaite trouver et fixer l’impact que pourraient avoir ces résultats sur le business, la manière dont on peut les exploiter. L’approche est globale, et a des répercussions qui vont bien au-delà du cadre technologique», commente Olivier Caudron.

Il y a pourtant bien des opportunités à aller trouver dans les masses de données qui se trouvent à la portée de nombreux acteurs. On pense notamment aux banques, qui enregistrent une quantité non négligeable de transactions chaque jour, aux opérateurs télécoms ou encore aux fournisseurs d’énergie. «Le tout n’est pas de simplement se dire que l’on va mieux traiter les données. Il faut pouvoir s’organiser pour aller chercher de la valeur ajoutée. Sans quoi, cela ne sert à rien. Pour profiter d’une approche big data performante, il faut se fixer des objectifs, définir ce que l’on souhaite obtenir, mais aussi ce que l’on va pouvoir faire avec les résultats», commente pour sa part Pascal Paulin, responsable informatique au sein de la Bil.

À l’échelle d’un territoire comme le Luxembourg, la Grande Région, l’Europe, de nombreux acteurs pourraient dégager des opportunités d’une meilleure exploitation des données. «Pour une entité qui a une visée locale, il y a toujours un réel intérêt à mieux comprendre son marché, les interactions qui ont lieu en son sein, explique M. Pierre-Beausse. N’oublions pas, en outre, que sont implantées au Luxembourg de nombreuses sociétés qui ont des visées internationales, voire globales.»

Données personnelles, avec des pincettes

Jusqu’à présent, cependant, elles sont peu nombreuses à s’être investies dans cette voie. Le concept de big data est encore relativement neuf, et donc difficile à appréhender. Beaucoup de questions se posent. Elles sont notamment relatives au cadre réglementaire de l’utilisation des données. «Beaucoup d’entreprises, dont le business ne dépend pas uniquement de l’exploitation de données, ont pris le parti d’accumuler une quantité impressionnante d’informations au fil du temps avec l’espoir de pouvoir un jour exploiter toute cette richesse. Je suis souvent au regret de leur apprendre que, malheureusement, ces données sont inexploitables», commente Cyril Pierre-Beausse.

Les législations européenne et luxembourgeoise sont extrêmement pointues en matière de protection des données personnelles. «L’utilisation de moyens techniques pour l’analyse de comportement, par exemple, s’apparente à un traitement de surveillance, poursuit l’avocat. Or, l’utilisation des données personnelles n’est pas permise à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été collectées.» Exploiter ces données en dehors du cadre réglementaire présente un risque réel. La législation européenne devrait se renforcer, avec des sanctions plus conséquentes, pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires d’une entreprise, dans le cadre d’utilisation frauduleuse des données personnelles.

Dès lors, comment développer, au Luxembourg, des projets big data? En travaillant dans les règles, en procédant dès à présent à une collecte transparente de l’information, qui tient des usages que l’on compte en faire. On se consolera de l’impossibilité de pouvoir exploiter les données du passé en disant qu’«à l’heure actuelle, où tout évolue plus vite, une information devient rapidement obsolète. Le cycle de vie de l’information est beaucoup plus court. Une donnée vieille de plusieurs années a perdu beaucoup de sa valeur», poursuit Cyril Pierre-Beausse.

Aussi, faut-il se dépêcher de collecter de nouvelles données, à haute valeur ajoutée, dans les formes, afin de pouvoir les exploiter. «Si l’entreprise n’envisage pas de projet big data pour le moment, elle devrait sans attendre penser aux possibilités que pourront lui offrir les données qu’elle collecte et mettre en œuvre les démarches nécessaires pour qu’elles puissent être exploitées à l’avenir. Cela débute par un audit complet de toutes les données disponibles et collectées à travers les divers processus au sein de l’entreprise et d’envisager les traitements qui pourraient en découler», ajoute M. Pierre-Beausse, qui conseille aux dirigeants de se faire accompagner pour éviter de passer à côté d’une possibilité d’exploitation des données.

Chacun pourra alors entrer dans l’ère du big data, en mettant en œuvre ces projets qui, demain, lui permettront de créer de la valeur à partir des données dont il dispose.