Madame Schmit, Soludec a connu des changements importants ces derniers temps, dont le passage de relais entre Joseph Baustert et Jacques Brauch est le plus emblématique… C’est un changement de génération ?
« On peut le présenter ainsi… Mais c’est en fait un événement classique pour une entreprise qui avance… Nous allons avoir la quatrième génération de dirigeants pour Soludec. Comme à chaque fois, cela veut dire qu’il va y avoir des changements, que certains d’entre eux vont étonner, et d’autres choquer. C’est la vie des entreprises. Je fais moi-même partie de la troisième génération sortante : j’ai 58 ans et je suis en train de gérer mon départ.
J’adore mon métier et mon univers, mais je pense qu’il fallait, à ma manière, accompagner l’évolution de la société et laisser la nouvelle équipe se mettre en place, trouver ses propres réglages en me positionnant en deuxième ligne.
Le changement de rythme n’est-il pas difficile ?
« J’ai travaillé pour Soludec pendant 40 ans. Je me suis éclatée, je me suis fait plaisir, j’ai ramé, j’ai souffert, mais tout ce qui a été souffrance est en fait rapidement oublié. Il ne faut pas laisser les mauvais souvenirs gâcher la mémoire de tant d’années de travail en bonne compagnie. Je souhaite à tout le monde de pouvoir se retourner sur son passé avec autant de plaisir, comme c’est mon cas.
Ceci dit, j’apprécie le fait de ne plus avoir autant de responsabilités, de diminuer mes horaires et de suivre le cours des choses à mon propre rythme. C’est assez jouissif, je dois avouer. Et cela ne veut pas dire que je ne vais plus rien faire… Le temps va passer vite et pour demain je vais veiller à conserver une activité intellectuelle… Mais ce qui est certain, c’est que cela continuera à tourner autour des gens et de l’humain : le sujet me passionne toujours autant.
Le monde de la construction a un aspect un peu « rude ». Le fait d’être une femme, à un poste de direction, a-t-il posé un problème ?
« En effet, c’est un monde rude, un monde du concret, parfois un peu ‘brut de décoffrage’, très direct. Mais la franchise fait également partie de ma personnalité. Le sexe des gens n’est pas un sujet en soi dans notre entreprise. Il y a suffisamment d’autres thématiques pour ne pas faire du genre un élément d’évaluation de compétences. Et puis ce qui est intéressant, et qui va avec cette façon franche de traiter les problèmes, c’est que l’on cherche les solutions à partir de la vérité de chacun… tout en sachant qu’il n’y a pas une vérité absolue. Il y a simplement une longue liste de paramètres à prendre en compte et à intégrer avant de faire les choses. La mixité est une solution pour amener des idées nouvelles, pour bousculer les habitudes.
Et en attendant, je n’ai pas eu le sentiment de devoir renoncer à ma féminité pour m’imposer dans mon rôle. Je ne pense pas que, pour réussir professionnellement parlant, il faille rentrer dans un moule. Il faut parfois accepter certains codes, ceux qui facilitent la communication, mais qui ne changent pas ce que nous sommes.
Du point de vue collectif, la mixité dans ce qu’elle a de différent est nécessaire, et utile. C’est la richesse de l’entreprise qui s’en trouve multipliée… même si, comme tout ce qui est différent, elle ne facilite pas les choses. Même si, c’est un sujet que nous n’avons jamais travaillé en tant que tel ! Le fait est que j’ai toujours respecté les compétences, les plus que chacun, à son niveau, dans les différents métiers, pouvait apporter à l’évolution de l’entreprise.
Quelle était – est encore, d’ailleurs – votre approche du métier RH ?
« Ma formation initiale est mathématique, et je pense qu’elle a joué un rôle très important dans ma manière de gérer les ressources humaines. Lorsque l’on fait des mathématiques, on apprend à résoudre des équations à plusieurs inconnues, des problèmes de baignoires qui fuient… Tous ces sujets sur lesquels j’adorais me pencher en recherche de ‘la’ solution. Mon métier, je l’ai exercé en me concentrant sur les solutions. C’était en fait le même plaisir que celui éprouvé lors de la résolution de problèmes purement théoriques. Les énoncés diffèrent tout le temps, notamment parce que nos interlocuteurs changent, et ce qu’il faut faire, c’est de rechercher la bonne organisation et les solutions qui permettent d’avancer.
Il faut, dans les RH, travailler sur des outils concrets et simples. Il faut opérer un retour au bon sens. Lorsque l’on complique trop les choses, on arrive à des résultats qui sont difficiles à comprendre, à formaliser et à analyser. Chez nous, il y a énormément de choses qui ne sont pas informatisées. Nous fonctionnons sur des entretiens, des formulaires simples… Et il faut dire que nous ne nous occupons pas de la gestion administrative de la paie ! C’est un autre métier très professionnel, demandant beaucoup de compétences que je ne possède pas.
Les métiers de la construction ont bien changé. Soludec a également évolué. Comment faire pour imposer la fonction RH dans la structure, et lui donner son rôle plein et entier ?
« Il y faut une dose de réalisme. Il faut se battre. Et il faut comprendre et parfois accepter qu’il n’y a pas forcément ‘une’ vérité, mais ‘des’ vérités. J’ai compris Picasso à l’âge de 50 ans, la manière dont il peignait. Il se déplaçait dans la pièce et tournait autour de son sujet, et superposait sur une toile en deux dimensions une perception en trois dimensions, d’après des angles d’observation différents. Quand j’ai compris ça, je me suis dit que c’était exactement ce qu’il fallait faire dans l’entreprise. Superposer les points de vue, de manière complémentaire, permet d’enrichir le regard. Selon d’où je regarde, je peux dire des choses qui me semblent vraies, mais qui ne le sont pas pour d’autres. Ceci dit, la fonction RH et l’acceptation du point de vue RH n’existent que par le besoin, qui s’exprime au plus haut niveau, d’utiliser la valeur ajoutée de ce regard professionnel dans le but de faire avancer l’entreprise.
La nature des relations employés-employeurs a donc évolué ?
« Normalement, sur une équipe, vous avez 70 % des personnes qui travaillent correctement et efficacement, c’est le cœur, la partie stable, qui avance. Ensuite, vous avez 15 % des collaborateurs qui posent problème : ils ne sont jamais contents, ils n’ont pas de solutions et ils tirent l’ensemble vers le bas. Sur ces 15 %, un tiers relève de soins, car au bout de quelque chose ; un autre tiers peut être ramené dans la bonne ligne, c’est une question de management ou de changement. Et il y a le dernier tiers, dont il est nécessaire de se séparer, parce qu’ils ne sont pas dans la bonne entreprise ou dans le bon domaine. Le problème, ensuite, de ces 15 %, c’est qu’ils peuvent détourner 15 % supplémentaires de la majorité des travailleurs à l’aise dans leurs bottes et dans leur entreprise.
Et il reste, d’un autre côté, encore 15 % de collaborateurs qui posent des problèmes, mais qui sont des gens très actifs. Il faut les aider à résoudre ces problèmes, car ce sont eux qui aident à progresser en ouvrant des remises en cause de nos habitudes, en proposant de nouvelles solutions qui dérangent au premier abord. Ce sont eux qui permettent à une structure de prendre le bon virage. Et le défi des RH, c’est de faire baisser les ‘ralentisseurs’ de 15 à 5 %, et de faire monter les ‘accélérateurs’ de 15 à 25 %. Cela permet de prendre les bons virages plus vite.
De manière plus générale, comment voyez-vous la fonction RH évoluer dans les prochaines années ? Quelles sont les faiblesses récurrentes chez vos collègues ?
« Si le DRH ne peut pas mesurer son apport à la structure, et faire reconnaître sa technicité, la dimension financière et communicante de sa fonction, alors il va professionnellement mourir, se faire absorber par les autres fonctions.
Je reproche souvent aux DRH de se faire valoir par le fait de mettre en œuvre les décisions des autres, plutôt que de vouloir véritablement être à leur place de support direct aux décisions stratégiques. Autrement dit, certains DRH se la racontent un peu en portant un titre de directeur sans en assumer toutes les responsabilités et tous les pouvoirs. Ils se laissent utiliser par les autres dirigeants, comme des outils, et, de manière un peu légère, portent un titre, ont une carte de visite, participent à des comités de direction sans réelle participation aux décisions qui concernent les activités, soi-disant les plus importantes de l’entreprise, les ressources humaines. Si le directeur général ne comprend pas les enjeux RH, c’est le travail et la responsabilité du DRH de les lui expliquer, et à personne d’autre. On – et je m’inclus dans le lot – laisse trop souvent les dirigeants ou les actionnaires accuser les gestionnaires des ressources humaines de tout ce qui va mal, être un alibi ou un bouc émissaire pour des décisions dans lesquelles on n’a pris aucune part. »
Parcours - Promotion interne
Dominique Schmit a passé sa carrière au sein de Soludec. Après son bac, elle rejoint l’entreprise au département facturation. « Pendant trois ans, j’ai fait des factures à l’Arbed. » Elle devient ensuite la secrétaire – « on dirait aujourd’hui l’assistante » – du responsable des travaux, où elle commence à gérer des recrutements et l’affectation des ressources sur les chantiers. « Je me suis ensuite intéressée à la gestion financière des chantiers, avec une analyse des résultats, pour comprendre comment et pourquoi certains résultats étaient meilleurs que d’autres. Je suis ensuite devenue DRH. Je le suis depuis 20 ans. Le poste lui-même a évolué, pour m’amener à occuper un poste au Comité de direction. » La transition avec son successeur est en cours, elle quittera son poste de manière définitive le 1er mars 2013.