Si les entreprises s'intéressent de près à leurs dépenses IT, elles négligent pour la plupart de mesurer ce que leur informatique leur rapporte. C'est le constat qui ressort d'une table ronde organisée conjointement par MindForest et paperJam, dans le cadre du salon Bureautec.
Une entreprise sur deux connaît parfaitement les montants qu'elle injecte dans son système informatique. Mais combien sont capables de juger de la rentabilité de ces investissements? C"est pour répondre à cette question que le cabinet de conseil MindForest a mené une étude inédite sur le ROI (Return On Investment) informatique, un concept encore méconnu des entreprises luxembourgeoises.
Les résultats ont été dévoilés dans le cadre du salon Bureautec, au cours d'une présentation à laquelle furent conviés fournisseurs et clients IT. Jean-François Denis (Kitry Consulting), Pierre Aguerreberry (LAB), Philippe Lemaire (Telindus), Daniel Dries (Infodata), ainsi que Manuel Hoerold (Muller & Wegener), Georges Muller (Cegecom) et Pierre Schilling (eLuxembourg) ont ensuite fait part de leurs propres approches et expériences en matière de ROI, lors d'une table ronde animée paperJam. L'occasion de mesurer, d'une part, la diversité des pratiques sur le terrain et, d'autre part, le fossé qui reste à combler pour qu'une véritable "culture du ROI" se mette en place dans les entreprises.
Premier constat tout d'abord, fourni par Carole Brochard, qui a interrogé une quarantaine de responsables informatiques pour son étude: le paysage se décompose en tiers. Un premier tiers d'entreprises qui ne se sent pas concerné par le ROI, un deuxième tiers qui s"y intéresse peu et un troisième qui regroupe celles qui poursuivent deux objectifs différents, l'investissement IT nécessaire et l'acquisition d'un avantage compétitif.
"Le plus souvent, le ROI se résume à un sentiment général, un feeling, mais les apports réels du projet informatique ne sont pas mesurés en chiffres absolus", note la consultante. De plus, lorsque le ROI est évoqué, "on parle de gains financiers, mais pas forcément de l'amélioration de la qualité et des processus dans l'entreprise", relève-t-elle.
Et Carole Brochard de plaider pour la mise en place dans l'entreprise de véritables indicateurs de performance qui permettent de mesurer toutes les dimensions d'un projet informatique (financières, organisationnelles, mais aussi humaines...) ainsi que leurs effets dans le temps. à chaque entreprise de définir ses propres indicateurs, en fonction de son activité et du contexte, en faisant participer tous les niveaux hiérarchiques à cette tâche.
Raisonnement inversé
Un travail complexe, pour lequel les sociétés clientes pourraient utilement bénéficier d'une aide extérieure, fournie par des cabinets spécialisés ou les fournisseurs de solutions informatiques eux-mêmes. La qualité de l'accompagnement, ainsi que sa durée, serait alors un gage essentiel de la réussite du projet. Mais pour ce faire, les entreprises doivent apprendre à modifier leurs pratiques, voire évoluer profondément dans leurs mentalités.
Les témoignages livrés lors de la table ronde en attestent, les intervenants s"accordant à dire qu'il n'existe pas encore de "réflexe ROI" dans les entreprises. "On ne regarde pas comment rentabiliser une nouvelle solution informatique, mais on calcule les risques encourus à ne pas la mettre en place. On raisonne donc à l'envers", explique ainsi Daniel Dries (Infodata). "C"est à nous, fournisseurs, d'expliquer que les investissements peuvent rapporter sur divers plans", assure-t-il. Même tonalité dans le témoignage de François Denis (Kitry Consulting), qui constate que les entreprises "confondent très souvent ROI et maîtrise des coûts".
"Chez nous, le ROI n'est pas le mot clé, mais on y regarde de très près", assure pour sa part Georges Muller (Cegecom). "Dans le cas d'un contrat dont j'étais en charge pour le renouvellement d'un parc de copieurs, j'ai eu recours au ROI pour évaluer les dépenses, mais aussi pour mesurer la satisfaction des utilisateurs ainsi que l'impact en terme de corporate identity de l'entreprise, grâce à la qualité des documents édités", explique-t-il.
Chez LAB, la satisfaction de l'utilisateur est un élément majeur de la mesure du retour sur investissement. Tant et si bien que Pierre Aguerreberry n'hésite pas à parler de ROI-P: Return on Investment-Personal. "Si l'on apporte à un salarié un outil avec lequel il travaille confortablement, il sera nécessairement plus productif", assure-t-il.
Courage commercial
Le ROI est également intégré dans la démarche commerciale de Telindus, ainsi que l'explique Philippe Lemaire, même si la portée en est encore limitée: "Il existe un réel besoin d'apporter les outils et les méthodes du ROI dans les entreprises. Je n'ai jamais rencontré un seul client qui fasse des études formelles une fois qu'un projet est démarré".
"Le ROI est très rarement utilisé pour savoir "si j'ai bien fait ou mal fait"", renchérit Guy Kerger (MindForest), soulignant qu'il s"agit là, pourtant, de son intérêt majeur. "Il reste limité au stade de la décision; à aucun moment, l'argumentaire utilisé pour prendre la décision en faveur de telle ou telle solution informatique n'est mis à profit pour piloter le projet. C"est dommage pour les entreprises qui investissent dans ce concept et n'exploitent plus les outils créés", déplore-t-il.
L'"éducation' des entreprises à la culture ROI, une nouvelle mission pour les fournisseurs? Plus facile à dire qu'à faire! Pour Daniel Dries (Infodata), accompagner ce changement de mentalité nécessite une bonne dose de courage commercial. "Dans la situation actuelle du marché, on fait tout pour avoir une affaire. On peut donc avoir peur, parfois, de vexer le client en refusant de comparer nos offres avec celles du concurrent, et en insistant pour l'encourager à réfléchir autrement".
Pour compliquer encore les choses, tout laisse à croire que le "réflexe ROI" aurait d'autant plus de mal à se déclencher que l'entreprise concernée est petite... et dispose donc de moyens limités. Manuel Hoerold (Muller & Wegener) explique que sa société, une PME, "ne dispose pas des ressources suffisantes pour s"engager dans une telle démarche. Nous avons des objectifs à court terme, et répondons aux besoins qui se font sentir afin de satisfaire les clients. Le choix des solutions est totalement informel et s"opère de façon sporadique", explique-t-il.
A l'autre bout de l'échelle, les grandes entités éprouvent également des difficultés à mesurer la rentabilité de leurs investissements informatiques. Pierre Schilling (programme eLuxembourg) ex-plique ainsi que même si le gouvernement essaie de "cerner au mieux les gains engendrés par le biais de la simplification administrative", il n'est pas chose aisée que de réfléchir en terme de ROI au niveau de l'Etat lui-même! "Les effets ne peuvent être mesurés qu'au niveau des retombées économiques attendues pour le pays, en se basant sur un potentiel de gains pour l'ensemble des acteurs économiques auxquels nous avons à faire", constate-t-il, avant de préciser qu'il "est trop tôt aujourd'hui pour aller voir si l'effet escompté a été atteint. Il faut attendre au moins encore un an'.
L'avènement d'une "culture du ROI informatique" dans les entreprises et institutions du Luxembourg ne semble pas être pour demain, à en croire tous ces témoignages. Mais peut-être pour après-demain' Convaincus de son intérêt, les participants à la table ronde sont unanimes pour admettre la nécessité d'un travail de plus en plus collaboratif, au niveau du processus de vente, entre le prestataire de services et son client.