À l'occasion du récent séminaire organisé par le ministère de l'Économie sur la responsabilité des entreprises vis-à-vis du développement durable, le ministre de l'Environnement, Lucien Lux, avait préparé un discours musclé. Ses obligations l'ont empêché de le prononcer devant les participants à ce séminaire, ce qui n'a, en rien, allégé la teneur des propos. "Malgré une prospérité économique, malgré des ressources humaines existantes et la capacité de produire de la plus-value, nous ne sommes pas capables de faire face à ces échecs constatés ou à venir, écrivait-il. Nous restons cramponnés à des politiques unilatérales et il n'y a que le court terme qui nous intéresse! Le développement durable - ligne directrice du programme de ce gouvernement - est une stratégie de modernisation et le refus du structuralisme conservateur. Le développement durable est un défi fondamental pour l'économie, l'environnement et le social. Il s'agit d'acquérir une vue globale qui refuse la traditionnelle opposition entre écologie et économie. Il s'agit de prendre en compte les défis concrets".
En écho, au ministère de l'Environnement, Claude Origer, conseiller de direction en charge du Plan national pour un développement durable, tente d'en dresser un bilan. "Pour un véritable bilan, il faudrait pouvoir distinguer l'évolution 'naturelle' de l'évolution induite par les politiques. Néanmoins, nous pouvons dire que le premier plan de 1999 n'est pas resté lettre morte".
Les chiffres sont précis: 152 mesures y étaient proposées: 37% ont été exécutés, 41% sont en phase de préparation et seulement 22% n'ont pas eu de suite. Le plan de 99 avait privilégié un renforcement du pilier environnemental, mais sa mise en oeuvre manquait alors d'un cadre institutionnel et d'une gouvernance adéquate. Deux lacunes comblées par la loi du 25 juin 2004 relative à la coordination de la politique nationale de développement durable.
Un nouveau plan national doit être finalisé pour début 2008 et une douzaine de priorités assez vastes ont été proposées par la commission interdépartementale du développement durable. Mais, grande question: les entreprises semblent-elles impliquées dans le processus? "Je dirais oui, analyse M. Origer. Il y a des démarches volontaristes et des initiatives à souligner. On peut citer la Charte de l'UEL sur le développement durable, des symposiums, la signature d'une 'Charte d'entreprises pour la responsabilité sociale et le développement durable' (lire par ailleurs, page 148, ndlr.), le projet de la CLC visant à mettre en place un mouvement national de l'Entrepreneuriat socialement responsable (voir aussi page 158, ndlr.) ou encore la SuperDreckskëscht fir Betriber".
L'argument d'une chaîne vertueuse
Le minimum, sous la contrainte? "Il faut rester lucide: les efforts de la grande majorité des entreprises se concentrent sur le respect de la réglementation en vigueur. Cela constitue tout de même un acquis véritable", estime M. Origer. Pour inciter une entreprise à mener une gestion durable et efficace de l'énergie et des déchets, il faut sans doute axer l'argumentaire sur l'opportunité économique, la réduction des coûts. "Pourquoi la SuperDrecksKëscht connaît-elle un tel succès avec 2.000 entreprises qui y participent et 800 labelisées? Son fonctionnement est pragmatique, pratique, faisable et il induit, in fine, une meilleure gestion des déchets au niveau de l'entreprise. D'où une réduction des coûts".
Ainsi peut-on penser que, au-delà de la sensibilisation et de la démarche citoyenne, il y a moyen de faire levier sur les modes de consommation dans l'entreprise et le choix de ses fournisseurs, si possible locaux. Claude Origer est de cet avis: "Je pense que les entreprises ont aujourd'hui plusieurs raisons de 'faire de l'environnement'. On a vu qu'il y a les prescriptions légales et aussi l'opportunité économique. On peut y ajouter, et c'est important, les choix du consommateur, l'image de marque de l'entreprise et aussi, fondamentalement, la conscience et la responsabilité environnementale des dirigeants d'entreprises".
Quand toutes les planètes s'alignent, tout devient alors limpide. "Nous sommes très fiers d'apporter une valeur à tous les niveaux de ce cercle vertueux qu'est le développement durable", sourit, ainsi, Ernest Boever, directeur de Valorlux. Et c'est vrai que cette asbl, née en 1995 d'une initiative du secteur privé, pour endosser, en quelque sorte, les responsabilités des entreprises en matière de gestion des emballages, agit sur les trois piliers en affichant ses bons résultats. "Valorlux est née d'une contrainte, analyse Ernest Boever, une directive européenne, transposée au Luxembourg en 1998, imposant d'atteindre un taux de valorisation des emballages de 55% pour juin 2001". La contrainte s'est muée en enthousiasme, les résultats aidant. En 2001, la valorisation atteignait déjà 60%. Elle est, aujourd'hui, de quelque 70%, en avance sur la directive qui préconise 65% pour fin 2008.
Valorlux n'a pas, pour autant, inventé la pierre philosophale. "Nous avons soutenu ce qui existait et fonctionnait bien dans certaines communes, encouragé les parcs à recyclage, développé le système là où il y avait des lacunes, en mettant par exemple en place le concept des sacs bleus". Et l'asbl responsabilise, le plus en amont possible, la filière productrice. Le millier de membres lié à Valorlux déclare son tonnage d'emballages mis sur le marché, que l'on compare avec l'efficacité du recyclage possible. Plus on est producteurs de déchets non valorisés, plus la contribution budgétaire s'élève. Quand on sait que, en 2005, 55.000 tonnes d'emballages ont touché le sol luxembourgeois, on mesure l'intérêt de réfléchir à la source. Pour proposer des matériaux d'emballages recyclables, Valorlux a, en aval, toute une filière de fabrication de nouveaux produits (bouteilles, pulls, etc.) et recherche à ramener l'emballage à "si peu que possible mais autant que nécessaire".
Au final, le bénéfice est concret, prouvé. Une soixantaine d'emplois directs ont été créés dans les activités de collectes et de tri et Valorlux poursuit la sensibilisation, notamment via des projets dans les écoles. "Nous avons obtenu, dans des lycées, une meilleure qualité de tri à la source que dans les ménages!", se réjouit M.Boever.
Quant au pilier économique, il est aussi bien soutenu. "Et c'est important. Nous le disons, nous le martelons, nous assurons feedback et suivi. On répond aux obligations au moindre coût et, mieux, on économise des moyens financiers en épargnant des ressources. C'est une approche pragmatique, via une solution collective, plus économique. Nous fonctionnons dans l'intérêt général et dans celui de nos affiliés du secteur privé. Nous ne sommes pas une société de capitaux dont l'objectif est le profit. Mais nous apportons des bénéfices néanmoins, des économies d'échelle aujourd'hui, des dividendes immatériels pour un futur préservé".
La valeur ajoutée qui brave les années
"C'est un peu comme la devise d'Apple: `Think Local, Act Global'", glisse Laurent Rouach, administrateur délégué de Progena, un bureau agréé par le ministère de l'Environnement en matière de gestion de déchets, d'énergie et de réception environnementale. Avec un peu plus de 60 ingénieurs-conseils, la société, établie à Windhof, s'inscrit clairement dans une démarche proactive. "L'écologie n'est pas une idéologie, c'est une science. Et les outils existent, constate M. Rouach. Le programme REACH est important pour les implémenter. La plate-forme Sustain à laquelle nous participons est ambitieuse et intéressante pour le plus grand nombre, parce qu'elle rassemble des acteurs aux compétences transversales et complémentaires, chacun dans son métier. Il y a là une capacité unique à mobiliser quelque 250 personnes".
La société se profile en tant que boîte à outils, concrets, de terrain, adaptés aussi bien à de grands ensembles qu'au dense tissu de PME. "Des petites choses du quotidien donnent de bons résultats. La démarche zéro poubelle par exemple, qui vise à réduire la fraction résiduelle à la portion congrue. L'idéal est d'éviter les déchets. Un exemple? Des tasses individuelles plutôt que des gobelets pour le café au bureau... On estime qu'un collaborateur administratif produit plus de 410 kilos de déchets par an, dont 65 à 70% de papier. Chez nous, on est descendu à 370 kilos".
Laurent Rouach et son équipe interviennent à tous les stades, le plus en amont possible étant le mieux, pour penser à tout, de la conception du bâtiment à l'utilisation optimale de toutes les ressources. Une approche parfois hautement informatisée, comme avec ce logiciel de simulation thermique dynamique, qui permet de juger des qualités d'un bâtiment avant même sa construction, par une évaluation réelle, heure par heure, de la demande en énergie. "Au-delà, chaque activité induit une dépense d'énergie, à tous les stades. Nous utilisons des outils qui analysent l'ensemble des flux et les suivent dans la durée. On peut alors donner des avis d'amélioration, d'investissements rentables à terme, sur la réévaluation des coûts de transports".
L'immeuble Dexia à Belval, ou bien le futur bâtiment de l'Institut de formation sectorielle du bâtiment (IFSP) seront de véritables vitrines, durables. Confirmation avec le directeur de l'Institut, Bruno Renders. "Nos activités portent prioritairement sur l'adéquation des compétences des entreprises, sur la nécessaire veille technologique et juridique aussi. Notre vision stratégique consiste à envisager l'éclosion de nouveaux métiers ou de nouvelles fonctions au sein des entreprises. Nous anticipons en développant de nouveaux programmes de formation, de conseiller en construction durable et de conseiller en gestion de l'environnement des entreprises de construction".
Des formations adaptées devraient ainsi être opérationnelles dans le courant du deuxième semestre 2007. Dans le même temps, des modules de construction durable seront intégrés au sein de l'ensemble des formations de l'IFSB, comme dans le cadre de la gestion sélective des déchets de chantier... "Nous avons décidé la création d'un bâtiment de référence qui sera la pierre angulaire de notre approche. Sa construction sur le site du Krakelshaff à Bettembourg devrait se terminer à l'automne 2007".
L'Institut mise sur un bâtiment à hautes performances environnementales et à grande valeur ajoutée en matière de technologies durables, étudié de fond en comble, dans un partenariat réel qui a uni, entre autres, les bureaux d'études Schroeder et associés, le Bureau Goblet & Lavandier et associés, pour les aspects gestion de projet et études techniques, Progena ou le CRTE - Centre de Recherche des technologies de l'Environnement intégré au sein du CRP Henri Tudor.
Le secteur de la construction a, semble-t-il, bien capté le concept. "Il a développé un institut dont c'est l'un des axes stratégiques forts, affirme M. Renders. En outre, au même titre que d'autres secteurs d'activités économiques, il doit intégrer les nouvelles normes et exigences réglementaires, européennes et grand-ducales, en matière de performances énergétiques des bâtiments. Cela aura indubitablement des impacts significatifs. Il est erroné de croire que la construction durable se résume à un ensemble de techniques spéciales à adapter aux bâtiments. C'est sans conteste une partie des solutions, mais bien d'autres existent et le secteur des entreprises de construction ne peut, à lui seul, assumer toutes les exigences".
La réflexion implique l'organisation et l'aménagement du territoire, le travail des ingénieurs et des architectes, la qualité technique développée sur le chantier, la capacité des corps de métiers à répondre aux exigences techniques du concepteur et du maître d'ouvrage. "C'est un jeu à plusieurs qui concerne également le client final, particulier ou collectif, public ou privé".
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Management environnemental: la certification progresse
La certification selon ISO 14001 atteste qu'une entreprise a mis en place un système de management environnemental (SME). Le Mouvement luxembourgeois pour la Qualité (MLQ) recense actuellement une petite quarantaine d'entreprises ayant franchi le cap.
Est-ce beaucoup ou peu, à l'aune d'une économie luxembourgeoise truffée de PME? On retrouve dans la liste une brochette de ténors, avec un groupe Arcelor quasi omniprésent, ainsi que des grosses entreprises aux origines étrangères, voire multinationales (Delphi, Guardian, Goodyear, Saint-Gobain, DHL...).
Mais des entreprises typiquement made in Luxembourg sont également dans les rangs, comme l'Imprimerie Victor Buck ou les Caves Bernard Massard.
Les conclusions ne pourraient donc être que hâtives. C'est d'autant plus vrai qu'une série d'entreprises sont en phase de mutation. Le prochain comité d'accréditation de l'Office luxembourgeois d'Accréditation et de Surveillance (OLAS), organe de référence qui audite et certifie selon les critères européens, aura lieu le 29 janvier...
Un exemple concret d'entreprise citoyenne, certifiée? La S.à r.l. Jacques Streff, basée à Differdange, maison familiale fondée en 1934, est spécialisée dans le montage de structures métalliques. Ce n'est pas son créneau d'origine, mais elle a voulu se positionner,
en protégeant l'environnement, social et écologique. L'entreprise a par exemple construit un bassin souterrain pour récupérer l'eau non potable. Et l'eau de pluie est utilisée pour laver grues et véhicules.
L'entreprise stocke aussi les bouteilles de gaz à l'extérieur du bâtiment pour éviter tout problème d'explosion ou d'intoxication.
Une succession de détails qui, au bout de la chaîne, comptent et servent l'intérêt général. Cela pourrait correspondre à l'une des multiples facettes et définitions du développement durable... || A. D.
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Plus que des indicateurs, des indices
Pas de politique de développement durable sans évaluation quasi permanente. Les IDD, indicateurs de développement durable, sont là pour servir de mètre étalon, en permanence. Pour le volet environnemental, ils concernent le degré de pollution des cours d'eau, les émissions des six principaux gaz à effet de serre et des deux des principales substances responsables de la formation d'ozone dans les basses couches atmosphériques, l'utilisation des sols, les surfaces agricoles vouées à l'agriculture biologique, les surfaces agricoles et conservation des habitats naturels de la faune et de la flore, l'état phytosanitaire des forêts, la superficie du territoire protégé ou encore la gestion des déchets.
Mais, pour sortir du catalogue des bonnes intentions, il faut des exemples marquants. Au Luxembourg, quelle meilleure valeur emblématique que celle d'une grande banque? Dexia s'est lancée dans l'aventure. Chacun s'accorde à dire que la nouvelle implantation du groupe sur Belval fait figure de bonne pioche, dans la gestion d'un développement parfaitement ancré sur les trois piliers et placé sur le long terme, qui ne néglige pas les effets positifs immédiats.
"Sans durée, on ne construit rien", c'est un peu devenu la devise du groupe Dexia, une "signature institutionnelle" adoptée fin 2005. Dexia se pose en "entreprise responsable" qui a une politique affirmée et des valeurs fondatrices: financement des équipements collectifs et gestion de l'épargne, certes, mais aussi soutien du développement durable des territoires et offre de fonds de placement ISR (investissements socialement responsables), domaine dans lequel la banque revendique un leadership.
Les valeurs du développement durable constituent aujourd'hui l'une des bases sur lesquelles le groupe Dexia fonde manifestement son propre développement. L'offre de produits de placement basés sur les critères de l'ISR connaît, ainsi, une très forte progression, de même que l'offre de services financiers aux micro et petites entreprises des marchés émergents. Dexia est leader dans les deux cas. On est au-delà des indicateurs: ce sont des indices de succès.