Paperjam.lu

 

L'expression est sur toutes les lèvres et commence à envahir le champ médiatique, qu'il soit marketing, commercial ou informatif. Certains en font sans le savoir quand d'autres croient en faire sans vraiment y parvenir... Le moins que l'on puisse dire est qu'il est difficile, aujourd'hui, d'échapper au concept de développement durable. Simple effet de mode ou prémisses d'une réelle prise de conscience collective, qui va bien au-delà d'une simple considération sémantique? S'il est un fait qu'il est très politiquement correct de parler "développement durable" ou, mieux encore, d'agir de la sorte, les enjeux qui lui sont liés en font assurément un réel défi à relever autant pour la génération actuelle que celles qui lui succèderont.

"Il faudra un peu de courage pour que le développement durable soit un succès durable et qu'on ne puisse pas nous dire un jour que nous n'avons fait que défendre la thèse du 'not in our generation'", expliquait Jeannot Krecké, le ministre de l'Économie, en clôture de son discours d'ouverture du séminaire sur le développement durable organisé, à la mi-décembre, par son propre ministère.

Beaucoup d'inscrits à cette manifestation, mais beaucoup moins de participants réellement présents à l'Abbaye de Neumünster, ce que n'a pas manqué de regretter M. Krecké, constatant que ce concept n'était pas encore vraiment ancré dans les mentalités.

Il faut dire que l'équation à résoudre n'est pas simple. D'un côté, la nécessité de maintenir un certain développement économique, en vue, notamment, de soutenir le filet social existant; de l'autre, les exigences en matière environnementale. Une version contemporaine de la quadrature du cercle, en quelque sorte.

Neuf axes d'action

Au Luxembourg, le premier "Plan national pour un développement durable" (PNDD) a été établi en 1999, pour une durée de cinq années. Quelques contraintes administratives et l'organisation de la présidence du Conseil de l'UE, en 2005, ont fait que le rapport "bilan" de ce premier plan national n'a été adopté qu'il y a deux mois par le conseil de gouvernement.

Le gros de ce rapport a consisté à passer en revue toutes les actions prévues dans ce PNDD et juger si les objectifs ont été atteints. "Nous avons estimé que ce rapport restait un peu stérile et ne constituait pas une base pour savoir si l'on était sur la bonne voie ou non, commente Tom Theves, conseiller de gouvernement 1ère classe au ministère de l'Économie, en charge du volet développement durable. Il a été établi que nous avons atteint environ 73% des objectifs mais nous avons également esquissé les principaux problèmes devant trouver écho pour le deuxième PNDD".

Neuf domaines spécifiques ont été identifiés pour envisager des actions concrètes: économie compétitive; emploi pour les résidents; valorisation du capital humain; régime de pension soutenable; les finances publiques; les transports publics; le protocole de Kyoto; la dégradation des ressources naturelles et l'équilibre de l'organisation spatiale. "Il faudra aussi y ajouter la santé publique et un volet plus international", estime M. Theves.

La traduction, dans les textes, est attendue pour la fin de ce mois de janvier et le nouveau Conseil supérieur pour un développement durable, institué le 13 septembre dernier, aura en charge, entre autres, l'animation de ce plan. Présidé par Raymond Weber (l'ancien directeur de Lux-Development), il est composé de quinze membres représentatifs de différents secteurs d'activités. On y retrouve, notamment, Erny Lamborelle (président de la CLC et membre fondateur de l'asbl Ecotrel, créée pour aider ses membres à endosser leurs obligations légales en matière de recyclage et de valorisation d'équipements électriques et électroniques. Elle regroupe près de 400 sociétés, soit plus de 90% des importations de tels équipements dans le pays), Jean-Claude Reding (président de l'OGB-L et de la CEPL), Gaston Reinesch (ministère des Finances/SNCI) ou encore René Winkin (Fedil).

C'est, cependant, le ministère de l'Environnement à qui devrait être confiée la coordination générale de ce nouveau PNDD. À charge pour lui de fluidifier les liens pouvant exister entre les trois piliers du développement durable: l'économie, l'environnement et le social (qui constituent les trois thèmes développés dans les pages qui suivent). "L'essentiel est de bien montrer l'implication des uns sur les autres, confirme M. Theves. Si pour des raisons de financement de la sécurité sociale, il est nécessaire de maintenir 4% de croissance économique, cela va évidemment générer un nombre important d'emplois nouveaux, à l'origine d'un afflux de nouveaux frontaliers et encore plus de véhicules sur nos routes. Tout se tient et faire ressortir ces différentes interactions serait déjà reconnaître une partie du problème".

Pour ce qui est du volet économique, Tom Theves voit dans la stabilité du pays l'un des premiers éléments de "durabilité", sur fond de diversification. "Cette diversification économique est évidemment un des aspects du développement dans le sens où il faut essayer d'oeuvrer au sein d'une économie suffisamment diversifiée et non pas vulnérable par rapport à un seul secteur".

Reste qu'une bonne perception de la notion même de développement durable est, à la base, un préalable à toute action digne de ce nom. Perception pratique, d'une part, mais aussi géographique. "La définition n'est certainement pas la même que l'on se place au niveau de la planète ou d'une nation, estime Marc Lemmer, directeur business development chez Luxcontrol. Il y a du pragmatisme qui entre en ligne de compte et chacun a ses propres objectifs. Imaginer s'appuyer sur un minimum de valeurs autour desquelles le monde entier peut s'accorder est et restera une utopie. Mais cela ne veut pas dire qu'à une échelle plus réduite, d'un pays ou d'une entreprise, on ne peut pas trouver des engagements communs qui peuvent être intégrés dans un tel processus de développement durable".

Économie et éthique

Dans "développement durable", il y a la notion de développement, évidemment, qui est à la base de n'importe quelle société capitaliste depuis plus de deux siècles. La durabilité, elle, peut s'envisager selon deux axes. Celui de la stabilité structurelle, évoqué précédemment par Tom Theves et qui implique une analyse en profondeur des forces et des faiblesses de l'économie; et celui de l'éthique, qui dépasse le simple cadre économique. "Au cours de ce dernier siècle, nous avons fait face à un développement économique qui a tourné autour de valeurs éthiques communes, comme la solidarité, l'État providence, rappelle Jacques Eischen, administrateur délégué de Luxcontrol. Ce ne sont pas des valeurs économiques, même s'il y a des retombées... Il y a eu, en Europe, des choix de société qui ont été faits et qui ne sont pas nécessairement les mêmes qu'aux États-Unis, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il y en ait un plus mauvais qu'un autre".

Reste que, trop souvent, chacun se confine à faire du développement durable dans son coin, selon ses propres compétences et préoccupations. Respect et protection de l'environnement pour les uns, équité sociale pour les autres. "Avoir une vision commune permanente sur les trois axes est plus rare. Mais c'est peut-être lié aussi à la réalité du terrain", concède M. Lemmer.

C'est pourtant cette réalité globale qu'une structure comme Sustain essaie de promouvoir, tant auprès des entreprises que des organismes publics. Identifier, concevoir, mettre en oeuvre et promouvoir des concepts transversaux du développement durable dans la gestion de ces organisations: tel est son credo, l'objectif ultime étant d'assurer la performance durable des acteurs publics et privés de la Grande-région. La plate-forme se veut ouverte à tous les acteurs plaidant pour cette transversalité et considérant le développement durable comme étant un concept holistique: un tout indivisible, qu'il n'est pas possible de définir par ses différents éléments constitutifs pris séparément. Dès que l'on travaille sur l'un des trois piliers, les deux autres sont nécessairement affectés.

"Tous les partenaires se sont rendu compte qu'il fallait changer les choses, mais il manquait ce forum régulier et ce point de ralliement qui a été concrétisé avec Sustain, explique Pol Goetzinger, associé fondateur de cette structure. À charge pour tous, désormais, de démontrer par des actes concrets et volontaristes que la vision d'un développement durable économique peut servir à alimenter le système social et contribuer à mieux préserver les ressources naturelles. Le but n'est pas d'aller à la rencontre d'un directeur général et de lui dire 'Voulez-vous faire du développement durable?', mais de proposer des méthodologies et outils concrets permettant de le convaincre, de façon pragmatique, de la vraie valeur ajoutée d'un engagement durable".

Question de mentalité

Lors de la campagne électorale de 1994, des premières - mais timides - intentions avaient placé le développement durable comme un des grands thèmes d'avenir. Sans doute était-ce un peu prématuré, la sauce n'ayant alors pas réellement pris. Il était alors surtout question d'écologie et d'environnement. Depuis, les choses ont évolué, mais le pilier écologique reste de toute façon le plus présent. "Le volet économique est sans doute beaucoup moins visible, remarque Frederik Demecheleer, chargé de projet chez Sustain, car l'implication des aspects social et environnemental est plus rapide et immédiate. Une entreprise veut faire un espace vert, on y voit tout de suite les côtés environnement et bien-être. C'est moins évident avec le pilier économique, qu'il faut considérer à long terme. Le retour sur les investissements dans un bâtiment passif ne doit pas être attendu avant 15 ou 20 ans".

Un constat complété par Jacques Eischen (Luxcontrol): "Personne ne veut dépenser de l'argent s'il n'y a pas un retour prévisible. Il est rare que l'on retrouve ce facteur d'altruisme chez les entrepreneurs. Bien souvent, ce qui guide une décision prise par une société, ce sont toujours des contraintes, qu'elles soient économiques, légales, organisationnelles".

Tout est aussi, donc, une question de mentalité. D'un côté, le développement durable est de plus en plus présent dans les débats, qu'ils soient politiques ou dans la rue. Mais de l'autre, en dépit de certaines actions - notamment des grandes surfaces - l'utilisation des emballages à usage unique, par exemple, continue d'augmenter en Europe, en dépit des législations. "Même en Allemagne où il existe une telle réglementation, on a noté une croissance des emballages pour boissons", constate Tom Theves.

Faudra-t-il attendre une ou plusieurs générations pour que l'effort d'aujourd'hui devienne un simple réflexe inné? Et qui, actuellement, doit être le moteur de cette prise de conscience? Il y a, bien sûr, la loi qui évolue, obligeant à prendre des mesures pour la respecter. Il y a aussi le ministère de l'Environnement et, parallèlement, le Conseil supérieur pour un développement durable, qui ont en charge la mise en oeuvre du deuxième PNDD. Mais d'autres ministères ont également leur mot à dire: ne faudrait-il pas, dès lors, se pencher sur la création d'un vrai ministère du développement durable?

Quid des autres parties concernées? Doivent-elles s'en laver les mains et se contenter de ce qui peut être fait en haut lieu? "Chacune des rencontres que nous concrétisons au niveau de la plate-forme Sustain constitue un moteur pour avancer", reconnaît, ainsi, Pol Goetzinger, qui préfère appuyer des démarches volontaires proactives plutôt que de simples réactions aux exigences réglementaires. "Il faut créer une logique d'engagement de la part des sociétés qui cherchent à se démarquer de la concurrence, à créer un différentiel de reconnaissance afin de mieux positionner leurs produits ou leurs services dans une logique de performance durable".

***///---\\\***
Des indicateurs à suivre

"Ce qui ne se mesure pas ne s'améliore pas", rappelle Frederik Demecheleer (Sustain). C'est aussi dans une volonté de mieux jauger les évolutions en matière de développement durable qu'un certain nombre d'indicateurs ont été mis en place. 27, au total, équitablement répartis entre les trois piliers économique, social et environnemental.

"Ces indicateurs doivent être vus comme une liste ouverte qui permet de poser les premiers jalons et de provoquer un large débat avec les milieux intéressés. (...) Ce n'est qu'à l'aide d'indicateurs robustes et acceptés par tous (...) que les politiques les plus adaptées pourront être imaginées et que la mise en oeuvre d'un véritable développement durable pourra, dès lors, être garantie", expliquaient le ministre de l'Environnement Charles Goerens et son secrétaire d'État Eugène Berger au moment de la présentation de ces indicateurs, en 2002.

Au chapitre économique figurent, donc, le PIB (en termes réels), le poids des investissements, la structure de l'économie au travers du poids des diverses branches dans la valeur ajoutée brute, le niveau de la dette publique, le taux d'inflation, l'intensité énergétique, la part de la production nationale dans la consommation finale d'électricité du réseau public, les transports terrestres via la répartition modale du trafic passagers et l'évolution du revenu agricole.

***///---\\\***
L'efficacité énergétique selon Luxinnovation

Le développement durable fait déjà partie des domaines de réflexion et d'action de l'agence nationale pour l'innovation et la recherche Luxinnovation. En fait "C'est dans le contexte des grappes technologiques que nous abordons cette notion, actuellement via le cluster SurfMat", précise Ian Cresswell, conseiller à Luxinnovation.

La démarche, initiée par les entreprises actives dans le domaine des traitements de surface et des nouveaux matériaux, vise notamment les applications en matière d'"Energy-efficient construction". Plusieurs entreprises y consacrent du temps et des moyens, en collaboration avec l'Université du Luxembourg et les centres de recherche publics. "L'idée est de parvenir à développer des matériaux affichant une meilleure performance énergétique et calorifique", précise M. Cresswell.

Dans ce concept de cluster, Luxinnovation joue le rôle d'animateur, voire de catalyseur, en essayant de dégager des synergies entre les différents membres de la grappe qui, au départ, ne se connaissent pas forcément. 1+1=3: telle est l'équation la plus souvent recherchée.

Autre constat établi par Luxinnovation: l'idée de développement durable n'est pas l'apanage des "grands". "Il y a des start-up qui agissent dans ce cadre-là: des entreprises qui comprennent mieux les problématiques futures qui nous attendent et qui veulent faire quelque chose dès maintenant".

Les éco-technologies figurent également au rang des réflexions avancées. Les idées et les initiatives ne manquent pas, le sujet prend de plus en plus d'importance et atteindra bientôt une masse critique suffisante pour justifier la mise en place d'un autre cluster spécifique. "C'est une démarche progressive. Développement durable, oui, mais nous cherchons aussi et surtout un succès durable pour les participants de la future grappe", prévient M. Cresswell.

Du reste, Luxinnovation va prochainement mettre en ligne le portail luxembourgeois des clusters (www.clusters.lu).