Les juges de la Cour d'appel n'ont pas vraiment balisé, comme c'était attendu, l'usage privé d'une messagerie professionnelle. (Photo: DR)

Les juges de la Cour d'appel n'ont pas vraiment balisé, comme c'était attendu, l'usage privé d'une messagerie professionnelle. (Photo: DR)

La décision de la Cour d’appel, rendue le 28 avril, devrait rassurer les employés, bien que la juridiction n’ait pas, contrairement à ce qu’on attendait, dégagé de grands principes dans son arrêt: un des dirigeants de la société de fonds d’investissement et professionnel du secteur financier (PSF) Vistra et la société elle-même ont été condamnés à une amende de 500 euros chacun pour infraction à la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère privé.

Le dirigeant avait ouvert trois courriels censés être privés d’une employée après son licenciement et pendant son préavis qu’elle fut dispensée de prester. Un des messages était assorti de la mention «private» et «confidential». L’employeur n’aurait pas dû y toucher. Les deux autres mails étaient moins sensibles et leur valeur privée pouvait prêter au doute.

Il existe un flou juridique sur le sort des courriels pendant la durée du préavis d’un employé lorsque celui-ci est dispensé de le prester. En principe, la réglementation oblige un employeur à fermer une messagerie à la fin du contrat de travail. Rien n’est vraiment prévu si un patron demande à une personne ayant été licenciée de rester à la maison.  

Pas la moindre indemnité

Il y a un an, un jugement mettait le monde du travail en émoi: une auditrice interne d’un PSF ayant attaqué son ex-patron devant le tribunal correctionnel voyait sa demande d’indemnisation (14.000 euros) rejetée, les dirigeants relaxés et, du coup, des spéculations sur le droit de regard des patrons sur les courriels privés adressés à une adresse professionnelle. «Nonobstant l’inscription ‘private confidential’, (…), il existe un doute, si léger soit-il, qu’en ouvrant ce mail provenant d’un professionnel en relation d’affaires continues avec la société Vistra (…) que le responsable de la société (…) ait voulu porter atteinte à la vie privée de (l’ex-employée)», indiquaient les juges de première instance.

Le jugement légalisait en quelque sorte la lecture de messages privés par un employeur sur une boîte professionnelle, alors que la Commission nationale de protection des données (CNPD) ne permettait pas une telle intrusion.

Un an plus tard, l’affaire bascule partiellement en faveur de l’employée, sans que pour autant les juges d’appel lui accordent la moindre indemnité. Seul un des cadres incriminés et sa société sont condamnés et encore à une peine d’amende au plancher: 500 euros, alors que la sanction pouvait atteindre 125.000 euros. «La responsabilité de la société Vistra est engagée et doit être retenue pour les agissements de son dirigeant», précise la Cour d’appel.

Le cas précis des PSF

Le contexte est particulier: Vistra est un PSF, soumis au secret professionnel. En raison du caractère sensible des données traitées, l’entreprise fait signer à ses recrues un document restreignant considérablement l’usage privé de leur adresse professionnelle. La réception de messages privés n’est pas strictement interdite non plus. Ce qui va être déterminant dans le verdict de la Cour d’appel. Parallèlement, Vistra dispose d’une autorisation de la CNPD pour le traitement des données à caractère personnel. Cette autorisation retient la présomption que les courriels échangés sur le lieu de travail sont de nature professionnelle. «Une éventuelle interdiction par l’employeur d’une utilisation privée de la messagerie électronique ne confère pas pour autant à tous les courriels personnels la qualité de courriels professionnels», signale l’arrêt du 28 avril.

Dans l’analyse factuelle qu’ils font des trois courriels litigieux, les juges retiennent que «seuls les mails clairement ‘confidentiels et privés’ sont protégés et ce encore à condition que les relations de travail entre parties n’interdisent pas l’utilisation de la boîte professionnelle à des fins privées», commente pour sa part l’avocat François Prüm, qui a défendu les dirigeants ainsi que Vistra. «Ce n’est pas», assure l’avocat des cités directs, «un arrêt de principe auquel certains s’attendaient. Il ne s’agit pas d’un ‘non, un patron ne peut pas lire des mails privés’, qui sont protégés, sauf si l’employeur en interdit l’utilisation à des fins privées.» «La Cour», ajoute-t-il, «ne me paraît pas avoir retenu que d’une manière générale les employeurs ne peuvent pas avoir de ‘vue’ sur les boîtes professionnelles de leurs employés. C’est du moins mon point de vue.»

Intention coupable

Les magistrats ont précisé qu’une «simple transgression» de la loi de 2002 assurant la protection des données à caractère personnel et la confidentialité des communications par ceux qui ont consulté le message litigieux «implique leur intention coupable». Cette transgression n’exige donc pas de dol spécial pour la constitution de l’élément moral des infractions.

Les juges d’appel ont toutefois balayé, comme l’avaient fait un an plus tôt leurs collègues de première instance, les accusations d’atteinte à la vie privée invoquées par l’ex-employée. Son avocat poussait les magistrats à faire une interprétation très large de la législation de 1982 sur le secret des correspondances punissant ceux qui ont porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en ouvrant «un message expédié ou transmis sous plis fermé (ou en) prenant connaissance, par un appareil quelconque, du contenu d’un tel message».

Or, la loi pénale est d’interprétation stricte, une jurisprudence a permis l’application de certaines dispositions relatives au secret postal à la messagerie électronique. «Il n’est pas possible d’étendre la notion de ‘correspondance sous plis fermé’ au moyen d’une interprétation large au cas d’espèce en assimilant au fait d’ouvrir une lettre le fait d’ouvrir un message électronique», souligne l’arrêt en jugeant «non pertinent» le renvoi de la plaignante à la jurisprudence française.

La «victime» n’est pas parvenue non plus à justifier face à ses juges «d’un quelconque préjudice moral», du fait que l’un de ses anciens employeurs a consulté un de ses mails privés et confidentiel.