Éric Groenendaels, Bruno Scaramuzzino, Gilles Feipel, Emmanuel Fleig et Luc Bolsius (Photo: Julien Becker)

Éric Groenendaels, Bruno Scaramuzzino, Gilles Feipel, Emmanuel Fleig et Luc Bolsius (Photo: Julien Becker)

L’élaboration d’un marketing mix et donc d’une campagne de communication médiatique peut tout autant être marquée par l’embarras du choix des canaux que par un véritable casse-tête chinois stratégique. L’évolution de l’internet et des outils digitaux, observée durant ces dernières années, a en effet élargi la palette d’outils mis à disposition des annonceurs et des agences. Above ou below the line? La question qui se posait avant de décliner un message est appelée à être redéfinie. «L’évolution des médias digitaux élargit et remet en question les stratégies et habitudes acquises durant ces dernières années, tant chez le client final que l’annonceur. Internet permet en effet en même temps d’effacer les frontières pour atteindre une large cible internationalement tout en pouvant viser un individu en particulier via, notamment, un ‘call to action’, déclare Luc Bolsius, directeur media et business development et associé chez Dechmann Communication. Les médias digitaux sont plutôt through-the-line. À la fois above et below, ils offrent la possibilité d’être puissant en termes de visibilité et d’affichage tout en étant plus pointu en matière de ciblage. En termes de modèle, il n’y a donc plus vraiment de différence entre above et below the line.»

Habitué à des études dont la méthodologie avait fait ses preuves dans la sphère «above», le secteur de la communication est à la recherche de nouveaux modèles de mesure intégrant l’impact des médias dits traditionnels (comprenons hors digitaux) et celui des outils digitaux. «Notre métier d’expert médias consiste donc aujourd’hui à interpréter les différentes études de performances d’audience, de profils et d’investissements médias, à réconcilier différentes méthodes d’analyse d’impact des campagnes et à intégrer de façon optimale les atouts respectifs de chaque média dans un plan visant, le plus justement possible, les différents objectifs du client», note Luc Bolsius. Cette expérimentation du digital, les annonceurs la pratiquent en quelque sorte sur le terrain en utilisant les canaux digitaux en raison de la mesure directe des effets d’une action qu’ils permettent. «Nous abordons la sphère digitale de façon progressive, déclare Éric Groenendaels, head of global marketing à la Bil. Nous effectuons des exercices de séquençage, de test et les mesures des retours sur investissement qui sont plus rapides nous permettent d’affiner notre approche par rapport à la cible et aux retours espérés. Cette optique n’enlève rien au rôle des autres médias, dont le print qui présente des opportunités intéressantes en matière qualitative.»

Parallèlement aux investissements en ligne, qu’ils soient permis via des budgets dédiés ou une redistribution des moyens au sein du marketing mix, le print n’a jamais été autant envisagé par les annonceurs. En premier lieu pour des productions qualitatives évoluant avec les techniques d’impression. Le constat se vérifie aussi dans la grande distribution, particulièrement friande de l’utilisation des quotidiens pour des promotions, au même titre que l’impression de folders dédiés. «Le support papier reste très important au sein de notre mix marketing, déclare Gilles Feipel, adjoint au directeur marketing chez Cactus. En considérant les annonces quotidiennes dans les journaux et notre folder Cactus news édité en interne et distribué à 240.000 exemplaires au Luxembourg et en Grande Région, ces canaux représentent plus de 60% de notre budget de communication, sans compter les dépliants spécifiques distribués pour de grandes occasions.» Entre des outils digitaux existants mais utilisés avec parcimonie par les annonceurs et l’appétit intact pour les supports papier, les agences repensent progressivement leur mode de fonctionnement. «Les investissements dans les médias digitaux se font de manière de plus en plus harmonieuse, notamment car les agences intègrent chaque média en fonction de sa conjugaison parfaite dans le media mix, ajoute Luc Bolsius. Ainsi, nous observons l’émergence de nouveaux métiers au sein des agences comme les digital managers, les social media planners qui sont le reflet de cette volonté de penser les stratégies en totale connaissance de tous les paramètres et acteurs médias.»

Nouveaux métiers, nouvelles méthodes

Déjà posée il y a 10 ans, la question du raisonnement «par silo» et de la gestion du message par canal plutôt que de manière empirique tend à s’estomper. Même si du chemin reste à parcourir. «La plupart des annonceurs abordent leur communication en distinguant formellement la communication online de la communication print», tempère Emmanuel Fleig, directeur de L’essentiel. Fondé en 2007, le quotidien gratuit figure en effet parmi les médias qui ont dû jongler dès le départ avec cette montée en puissance du digital et donc de la consommation de l’information en ligne. «2013 fut pour nous très satisfaisante, notamment en raison de la progression de notre site internet qui a multiplié son chiffre d’affaires par 2,5, note Emmanuel Fleig. Les annonceurs ont soit consacré de nouveaux budgets au web ou ont redistribué leurs investissements différemment. Cette tendance n’a pas joué au détriment de la performance de notre quotidien puisque son chiffre d’affaires a augmenté de 6% l’an dernier.»

Comme le montrent les habitudes de consommation d’internet selon une étude récente du Statec, l’information en ligne est plébiscitée par l’ensemble de la population. 82% des internautes consultent en effet des news, des journaux ou des magazines sur le web. Conjugué au succès des journaux gratuits dans différents pays, dont le Luxembourg, ce constat ne fait que confirmer la demande pour une information – à tout le moins instantanée et factuelle – aussi gratuite que possible. «Les médias print payants voient globalement leur lectorat diminuer d’une année sur l’autre car une bonne partie de la population, dont les moins de 35 ans, ne perçoit plus ou moins l’intérêt de payer pour accéder à une information, commente Luc Bolsius. Il reste cependant une frange de la population qui décide de continuer à payer pour accéder à une information plus pointue, plus précise, plus fouillée. On peut considérer que cette population spécifique aura chaque jour plus de valeur aussi pour l’annonceur.» À l’heure de l’information vécue en direct via Twitter et autres notifications «push» reçues sur les smartphones, il existerait, plus que jamais, une voie pour des médias, spécifiquement des magazines, proposant une valeur ajoutée. «L’évolution des médias nous donne à réfléchir sur la relation que nous avons tous avec le temps, note Bruno Scaramuzzino, directeur associé de l’agence parisienne Meanings. Le digital a vu le règne du temps court arriver à son apogée, alors que les médias magazine étaient plutôt orientés vers le temps long. Nous devons parvenir à équilibrer davantage ces deux tempos.» Les temps court et temps long ne doivent pas forcément êtres opposés, mais plutôt combinés dans le chef du lecteur. Le déploiement des marques médias sur différents canaux montre d’ailleurs que les patrons de presse ont appris à jongler avec ces notions. «Les éditeurs de magazines ne sont pas des vaches qui regarderaient passer le train du web, observait dernièrement Xavier Dordor, directeur général de CB News et grand spécialiste de la presse magazine, notamment en France, lors d’une interview à paperJam.lu. On constate que les marques de médias occupent deux tiers de la consommation du web, parmi lesquels 80% pour la presse. Le digital est une formidable opportunité de développement de contenu par l’appui rédactionnel des auteurs. Pour le lecteur, c’est une aubaine d’avoir un accès nouveau à sa marque préférée.»

Question de temps

Si les canaux digitaux offrent la possibilité d’échanger de l’information et de partager des commentaires, bref de faire partie d’une grande communauté interconnectée, ils n’estompent pas le besoin de garder des repères. Et donc des marques qui représentent des valeurs auxquelles croient les lecteurs, qu’ils soient en ligne ou non. «La marque étend son modèle à toute la sphère de la vie, qu’il s’agisse du choix d’une école ou d’un groupe de musique, observe Bruno Scaramuzzino. Il revient donc aux dirigeants de société, et donc aux patrons de marque, de trouver le mix média idéal afin de faire vivre une expérience à la cible qu’ils veulent atteindre.» Les médias doivent poursuivre ce même raisonnement et faire évoluer leur proposition de valeur et ainsi renouveler l’expérience qu’ils proposent à leur lecteur. A fortiori dans le cas de titres payants. «Le magazine est un média d’engagement: on paie pour une information, une image, un ensemble de valeurs, ajoutait Xavier Dordor. C’est aussi un média de la régularité et de la fidélité: peu de produits et de marques peuvent s’enorgueillir d’être suivis 10, 12, voire 52 fois par an, selon la périodicité. La force de ce lien s’explique par le contenu, le contexte rédactionnel choisi et la relation entre les deux.»

Logés entre les flux d’information en ligne et les magazines, les journaux devront plus que jamais se différencier pour assurer leur pérennité, surtout financière. De leur côté, les annonceurs entendent conserver les valeurs essentielles de leur marque tout en l’adaptant au nouveau contexte technologique, mais aussi démographique d’un pays. «Il nous importe tout d’abord de connaître notre client afin de bien cerner ses besoins, de faire évoluer notre marque et d’adapter en permanence notre offre en fonction de ceux-ci, relève Gilles Feipel. Or l’évolution démographique du Luxembourg a été importante durant les 10 dernières années, avec une population dont la part de résidents étrangers n’a cessé de croître, ainsi qu’une augmentation du flux de travailleurs frontaliers. Nous devons donc tenir compte de ces mouvements en proposant par exemple des produits issus du pays d’origine des nouveaux habitants du Luxembourg.»

Investissements variés

Bio, «fast and good», les nouvelles tendances représentent aussi des moyens de décliner une marque et de prolonger l’expérience vécue avec le consommateur. En particulier sur le lieu de vente. Si la grande distribution et le secteur bancaire semblent miser sur les médias traditionnels et les méthodes de marketing de masse sur le marché local, l’approche varie à l’échelle de la Grande Région. «Nous nous intéressons à des marchés étrangers dans le cadre de notre développement stratégique et nous sommes encore plus pointus dans les placements publicitaires en dehors de nos frontières, ajoute Éric Groenendaels. Il nous arrive ainsi d’analyser les possibilités de placement dans des médias en Allemagne, France ou Belgique, mais nous sommes rapidement confrontés à des problèmes d’échelle d’investissements avec, par exemple, une centralisation des médias par région en France, ce qui implique d’autres coûts pour un retour que nous ne sommes pas certains d’obtenir.»

D’où la volonté de la banque d’utiliser tantôt des outils en ligne, tantôt le marketing événementiel qui permet de combiner des investissements raisonnables à une prise de contact humain avec le prospect. Le filon du contact privilégié est aussi exploité depuis 1990 par Cactus et son club «vin sur vin» qui rassemble les amateurs de bon cépage. Un cercle d’amateurs et d’initiés qui partagent une même passion, ce qui permet au distributeur de fidéliser des clients dans la Grande Région en disposant d’une connaissance assez fine de leurs besoins. «Notre club compte 5.000 membres à qui nous acheminons une newsletter communautaire, note Gilles Feipel. Nous recensons des membres au Luxembourg, mais aussi dans des villes plus éloignées comme Bruxelles ou Coblence. Cet axe de communication nous semble plus efficace à cette échelle géographique, plutôt que l’achat de puissance qui ne nous apportera in fine qu’un faible taux de déplacement dans nos magasins.»

Sur le plan national, les investissements publicitaires de 2012 relevés par le «Luxembourg Ad’ Report» établi par Mediaxim (hors médias digitaux) ont baissé de 2,4% pour s’élever à 164,3 millions d’euros. Certains secteurs sont d’importants pourvoyeurs de fonds pour les médias. Dont la grande distribution qui occupe la deuxième place (22 millions d’euros investis), devant le segment regroupant culture, tourisme, loisir et sports (24millions). Le secteur financier et bancaire arrive quant à lui en sixième position avec des budgets en baisse de l’ordre de 20% (à 12 millions d’euros). «L’année 2013 a été marquée par des évolutions divergentes suivant les secteurs, observe Emmanuel Fleig. Certains secteurs comme la banque ont visiblement moins investi dans les médias traditionnels tandis que d’autres comme la grande distribution ou l’automobile ont régulièrement occupé nos espaces.» Regroupant à eux seuls 66% des investissements publicitaires de 2012, toujours hors médias digitaux, les quotidiens et la radio continuent de représenter des médias crédibles. Des piliers sur lesquels les annonceurs continuent de bâtir des campagnes de communication, malgré la multiplication des canaux. «Le média doit trouver sa place dans un écosystème pensé pour faire vivre une expérience au consommateur, ajoute Bruno Scaramuzzino. Nous remarquons qu’en communication politique, la télévision garde une place importante. Il en est de même pour de grandes marques mondiales qui initient des parcours d’expérience en télévision, parcours qui seront prolongés dans les magasins.»

Des piliers solides

Média affinitaire et appelant aux actions d’achat rapides, dont les promotions et autres actions soldées, la radio garde donc aussi une place importante. Un média qui, contrairement à la télévision, compte une variété d’opérateurs au Luxembourg, correspondant à autant de communautés linguistiques et culturelles. L’une des plus importantes, la francophone, devrait être dotée sous peu de son relais via RTL2. «Nous voyons son arrivée d’un œil positif car cela va pousser les régies à mettre en avant la cible francophone alors que la tendance était plutôt à la mise en exergue de l’audience de langue luxembourgeoise, relève Emmanuel Fleig. Une radio francophone répond du reste à un vrai besoin des auditeurs francophones et frontaliers mais devra naturellement faire ses preuves sur son contenu et sur le marché publicitaire.»

Particularité du marché luxembourgeois, l’importante disponibilité de chaînes étrangères de télévision et leur consommation régulière par les résidents qui ne se ressent pas ou peu dans la présence d’annonceurs grand-ducaux sur ces chaînes. Comparés aux médias digitaux, les médias traditionnels semblent donc conserver un crédit important. Vecteurs d’informations relayées par des journalistes, ils sont aussi recherchés par les annonceurs comme un gage de crédibilité de leur propre marque. «Tout média de qualité garde une valeur intrinsèque forte pour le client final et l’association d’une campagne de promotion ou d’un événement avec un média reconnu peut donc aussi revêtir un vrai crédit à ses yeux, ajoute Luc Bolsius. La présence en presse, radio ou TV continue donc de faire partie des bases d’une communication, quitte à affiner le marketing mix dans un second temps avec des actions plus directes.»

Loin d’avoir sonné le glas des médias traditionnels, l’avènement du digital et de l’information mobile voit plutôt se disputer des marques fortes qui devront déployer leur stratégie aussi habilement que possible pour faire perdurer l’expérience avec leurs cibles – et donc les consommateurs – à travers les différents canaux.

Ventilation des budgets

La presse garde la cote

164,3 millions euros ont été investis en espaces publicitaires en 2012, selon la pige «Luxembourg Ad’Report 2012» réalisée par Mediaxim. Ce classement qui ne prend pas en compte les investissements sur des supports en ligne montre cependant que les médias papier restent plébiscités par les annonceurs au Grand-Duché.

Nation branding

Raconter une histoire (bis)

Sujet d’actualité par excellence, le nation branding renvoie autant au besoin du Luxembourg de mieux vendre sa marque à l’étranger qu’à celui des habitants de se retrouver autour de valeurs communes, dans une société de plus en plus multiculturelle. Le phénomène interpelle les spécialistes de la communication. «Le Luxembourg raconte une histoire qui pourrait mieux se vendre si l’effort était effectué au premier échelon de l’État », déclare Bruno Scaramuzzino. Face aux agressions externes, d’aucuns saluent la communication B2B et politique traditionnellement discrète du pays. «La plus belle vitrine du Luxembourg fut le mariage princier en octobre 2012», relève Emmanuel Fleig. Pour le secteur bancaire, en pleine mutation, l’image du pays a aussi toute son importance. «Nous devons surfer sur l’image du Luxembourg, car elle est liée aux valeurs que nous véhiculons, note Éric Groenendaels. Nous devons mettre en avant des caractéristiques, des capacités qui vont au-delà de l’univers purement bancaire.»

Les bonnes pratiques des agences (2/4)

Agence: Binsfeld

Client: Domaines Vinsmoselle

Date: novembre 2013

Descriptif: Spot cinéma/TV sous forme d’une bande-annonce: création d’un lien émotionnel avec la marque via storytelling autour du personnage d’Edmond de la Fontaine, célèbre poète luxembourgeois qui était le propriétaire du Château de Stadtbredimus, actuel siège social de Domaines Vinsmoselle. Basé sur une interprétation moderne de l’histoire vraie de l’artiste luxembourgeois, le spot fait le lien entre l’arrivée à maturation de l’œuvre créative d’Edmond de la Fontaine et celle du vin.

 

Agence: Mikado Publicis

Client: Optique Moitzheim

Date: 2014

Descriptif: L’objectif était de continuer à véhiculer la signature lancée en 2012, Au service de vos yeux. Dans le nouvel univers graphique développé en 2014, la solution était de faire des communications en relation avec les supports et/ou de rebondir sur l’actualité. Exemple avec cette annonce réalisée pour la Saint-Valentin.

 

Agence: Binsfeld

Client: Fischer

Date: 2013 sur toute l’année

Descriptif: Campagne testimoniale avec 12 visuels centrés sur le personnel Fischer. Tels des ingrédients indissociables, ils comprennent deux mots-clés associés au prénom de l’employé, promesse de qualité. Au final, le claim annonce: «Les ingrédients essentiels pour avoir du bon pain.» Les visuels ont été publiés dans la presse quotidienne et périodique tout au long de l’année. Fischer a pu communiquer sur son savoir-faire, tout en remerciant et en mettant en avant ses effectifs. Capital sympathie et proximité avec les clients.