Paperjam.lu

 (Photos: Julien Becker)

Monsieur Krack, comment appréhendez-vous vos projets immobiliers?

«D’une manière différente de celle de la plupart des promoteurs dans la mesure où nous développons les projets de A à Z, avant de mettre en vente. Nous profitons du fait que le marché immobilier connaît une forte croissance annuelle, située entre 3 et 4%, pour développer sur deux ans. La première année, on établit le projet pour le réaliser dans le courant de l’année suivante. On part du principe que, sur ces deux ans, les prix du marché vont évoluer d’environ 8%. C’est là-dessus, principalement, et grâce à la qualité de nos réalisations, que nous assurons la marge sur nos investissements.

Un projet immobilier, compte tenu des investissements, constitue un risque important. Comment s’assurer un retour suffisant sans recourir à un système de prévente?

«En travaillant sur des produits de niche et des projets extrêmement bien situés, notamment sur le boulevard de la Pétrusse ou encore dans le Grund. Nous développons des produits uniques et donc rares, en prenant en considération les attentes de nos consommateurs finaux, et notamment ceux qui souhaitent pouvoir disposer sans attendre d’un bien de qualité. Il y a une réelle demande pour des biens authentiques et idéalement situés. De cette manière, en tant que promoteur de petite taille, on peut développer de très beaux projets, dans l’air du temps. La logique financière domine, évidemment. Cela reste de la promotion. Mais cela ne doit pas nous empêcher de considérer, avec soin, la technique, le design ou l’architecture.

Préférez-vous travailler à la construction de nouveaux bâtiments où à la rénovation? Comment choisissez-vous vos projets?

«Dans le centre de Luxembourg, où nous avons le principal de nos activités, ce sont le plus souvent des projets de rénovation que nous développons. L’enjeu est d’être bien connecté avec le marché. Souvent, on vient nous voir après avoir découvert des projets que nous avons menés. Mais nous sommes aussi à l’affût de nouvelles opportunités d’achat et de vente sur les prime locations.

Votre modèle profite aussi de la tension du marché, d’une insuffisance de l’offre en logements face à la croissance démographique…

«Il est certain que nous profitons de la lenteur administrative. Mais si le marché était moins tendu, je suis persuadé que la demande pour des résidences de qualité ne serait pas moindre. Demain, si l’on met 50 ou 100 appartements en vente au niveau de la Grand-Rue, au-dessus des commerces, ils trouveront acquéreurs endéans une semaine. Il y a des opportunités dont on ne peut aujourd’hui pas profiter à ce niveau.

Comment expliquez-vous que des logements ne puissent pas voir le jour dans ce contexte?

«Il y a plusieurs raisons à cela. La principale réside dans les baux de location des surfaces commerciales. Ils sont tellement élevés que l’affectation des 1er, 2e et 3e étages ne présente pas d’intérêt particulier. Les locataires n’hésitent pas à condamner l’accès aux étages pour élargir leur vitrine. D’autre part, il y a des restrictions sévères en matière d’affectation des zones. Cela a pour effet de faire monter le prix du mètre carré dans des zones où il ne devrait pas, et de le faire descendre là où il devrait être mieux valorisé. Pourquoi n’incite-t-on pas plus à la création de logements en centre-ville? Il y a des milliers de mètres carrés à valoriser. Je pense qu’il y a des adaptations à faire, pour favoriser, compte tenu du manque de logements, le développement d’habitations en centre-ville, mais aussi assurer une réelle vie après 18 heures.

Dans le cadre de la rénovation, en centre-ville, il y a un réel enjeu de valoriser le patrimoine. Comment l’appréhendez-vous?

«Il y a en effet un patrimoine architectural à mettre en valeur. Nous travaillons dans le respect du bâti. Il est arrivé que nous démontions des poutrelles en bois dans un immeuble que nous rénovions dans le Grund, pour opérer leur réfection et les renforcer. D’autres auraient enlevé les poutres d’origine, pour couler une dalle en béton et recoller des morceaux de bois afin de redonner au lieu un caractère plus ou moins authentique. Mais on ne leurre pas aussi facilement le client. Il fait vite la différence entre une confection authentique et un décorum de parc d’attraction. Certes, l’opération de rénovation est plus chère. Mais au final, nos clients sont prêts à dépenser plus pour un environnement hautement qualitatif et respectueux.

Un des défis de la rénovation réside dans l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments existants. Comment intégrez-vous ces enjeux?

«C’est relativement complexe, car nous devons faire face à d’autres contraintes. Dans la zone protégée de la ville, il n’est pas permis, ni souhaitable, de coller une couverture isolante sur une façade historique. C’est tout le paradoxe du passeport énergétique. Malgré les efforts réalisés pour améliorer la performance énergétique d’un bâtiment, en matière de récupération d’eau, au niveau de l’isolation ou de l’installation de panneaux solaires, nous nous retrouvons à devoir vendre des bâtiments de classe G ou I. Un bâtiment qui va avoir une couche de 20 centimètres de Styrodur en façade va bénéficier d’un passeport optimal. Mais qui, dans 20 ans, va recycler ce matériau et combien cela va-t-il coûter à l’environnement?

D’autre part, vous avez aussi développé une offre de location de courte durée. Sur quel besoin?

«Il s’agit d’un modèle entre l’hôtel et la résidence à louer. Nous sommes partis des besoins des expatriés qui viennent travailler au Grand-Duché de Luxembourg. Dans la plupart des cas, dans le cadre de leur nouvelle affectation professionnelle, ils peuvent profiter d’une période d’essai de trois mois. Nous avons donc voulu leur proposer une offre en logement attractive, quelque chose de beau, d’accessible, dont le prix est inférieur ou équivalent à 50% de leur salaire mensuel, qui soit disponible, sans trop de contraintes. C’est comme cela qu’est née une offre de location à court terme à travers stayrooms. Dans le loyer sont en outre compris les charges, une connexion internet, le changement de la literie, des serviettes de bain, le nettoyage, l’accès à une cuisine... On peut y rester quelques jours ou quelques semaines. Généralement, les clients partent très vite ou à la fin de la période d’essai, pour trouver une habitation définitive à Luxembourg. Nous travaillons sous le statut d’hôtel, mais que l’on peut louer facilement deux ou trois mois. La formule a du succès, mais nous avons eu énormément de mal à faire comprendre aux administrations notre statut d’hôtel relativement proche de la résidence. Il y a là un vide à combler. Mais c’est la preuve qu’il y a aussi moyen d’envisager l’immobilier autrement, en faisant preuve d’innovation, pour profiter des opportunités.»