Giovanni Consorte, ex-numéro 1 d'Unipol, condamné pour délit d'initié après l'OPA ratée sur la banque BNL, était l'un des bénéficiaires économiques de l'opération faite par Deloitte Luxembourg.  (Photo: fanpage.it)

Giovanni Consorte, ex-numéro 1 d'Unipol, condamné pour délit d'initié après l'OPA ratée sur la banque BNL, était l'un des bénéficiaires économiques de l'opération faite par Deloitte Luxembourg.  (Photo: fanpage.it)

Les faits incriminés remontent au printemps 2002: à la demande d’un célèbre cabinet d’avocats italiens, Zulli & Tabanelli, le cabinet Deloitte Luxembourg fut approché par l’un des associés, Claudio Zulli, pour réaliser un montage financier complexe pour le compte de clients italiens, des dirigeants de la compagnie d’assurance Unipol, qui s’apprêtait à prendre le contrôle de la banque Banca nazionale del lavoro (l’opération ne se fit pas et fit ressortir un délit d’initiés).

Il s’agit de Giovanni Consorte, ex-numéro 1 d’Unipol et de Marco et Ivano Sacchetti. Ils souhaitaient rapatrier des fonds de Monaco, via le Luxembourg, et leur faire bénéficier des conditions de la première amnistie fiscale italienne de 2001, qui prévoyait des pénalités de 2,5% sur les actifs mais n’obligeait pas les détenteurs d’avoirs à justifier leur origine. La seconde amnistie interviendra en 2002 mais à des conditions moins avantageuses: 4% de pénalités et obligation de déclarer la provenance des fonds.

Deloitte Luxembourg et une de ses filiales de domiciliation de sociétés, Fidei, furent chargées de mettre en place un montage faisant intervenir un holding 1929 et deux sociétés offshore avec un bénéficiaire économique fantaisiste, un ressortissant mauricien qui travaillait alors sur un projet d’outsourcing chez Deloitte. Les documents d’assemblée générale du holding et d’émission de prêt de 11 millions d’euros furent antidatés d’une année à juin 2001.

2,5% de commission?

L’affaire est bouclée, donnant lieu, selon l’enquête policière à Luxembourg, à une commission de plus de 130.000 euros pour Deloitte, correspondant à 2,5% du montant de l’emprunt obligataire, en plus d’une indemnité de 17.000 euros facturée en fonction des heures prestées. La réalité de cette commission de 130.000 euros fut toutefois contestée par les dirigeants de la firme d’audit, qui assurent avoir été défrayés aux heures prestées. Il n’y aurait aucune preuve de «succes fees», sinon le témoignage de Claudio Zulli, condamné en Italie pour son implication dans l’affaire «Unipol».

À la faveur d’une enquête judiciaire frappant les anciens dirigeants d’Unipol relayée par la presse italienne à la mi-2005, les dirigeants de Deloitte effectuèrent une dénonciation à la cellule anti-blanchiment du Parquet. Parallèlement à l’enquête judiciaire que le Parquet initia après les révélations des faux sur les dates des documents, la firme réalisa sa propre enquête pour établir les responsabilités. Les vues divergent entre l’enquête interne, qui fit principalement peser l’accusation sur un «senior manager» qui avait été coopté pour devenir associé de la firme, mais ne l’était pas encore au moment de la confection des faux, en disculpant les trois associés, dont le risk manager, qui auraient signé les yeux fermés et en toute confiance des documents antidatés, et les investigations policières qui présentèrent, a contrario, le senior manager comme «un lampiste» ayant agi sur ordre de ses supérieurs, au risque d’encourir le chômage s’il n’exécutait pas leur ordre.

Le procès s’est tenu cette semaine sur quatre audiences, plus de 15 ans après les faits, avec trois des prévenus qui chargent la barque sur le quatrième homme, le seul en aveu d’avoir en effet confectionné des faux, mais sur ordre de ses supérieurs, qui, eux, nient toute intention malveillante et lui rejettent toute la responsabilité de l’affaire.

700 mandats d’administrateur

Deux des prévenus ont mis en avant le fait qu’ils siégeaient dans d’innombrables conseils d’administration et qu’ils ont signé les documents que leur avait soumis le senior manager «en toute confiance», sans trop regarder de quoi il en ressortait. L’un avait à son actif 700 mandats d’administrateur, le second entre 150 et 200.

Le procès a mis en lumière le curriculum vitae du senior manager ne plaidant pas en sa faveur: nommé «associé equity» (c’est-à-dire éligible aux bénéfices de Deloitte Luxembourg) en 2001, avec effet en 2002, juste après les faits incriminés, le jeune homme fut dégradé en 2005 en simple associé salarié et aurait agi en «électron libre» sous les ordres de l’avocat Claudio Zulli en trompant la confiance de ses supérieurs. Pour cette opération, il aurait aussi touché des «pots-de-vin» de la part de «clients personnels», ce que l’intéressé a démenti formellement devant les juges de correctionnelle. N’étant pas à cette époque associé, il ne pouvait gérer de clients.

«Mon client effectuait des actes ponctuels et administratifs. Pour parler trivialement, il était le larbin», a plaidé jeudi son avocate Me Sabine Delhaye, en mettant en cause «l’esprit de corps» des trois autres prévenus pour ne pas être incriminés et effacer les preuves de leur implication et de leurs agissements. Une perquisition de la police judiciaire chez Deloitte en février 2006 n’aurait pas permis de retracer l’historique de la vente du holding 1929 ni de mettre des noms sur les intervenants dans cette transaction. Le procès nous a par ailleurs appris que le senior manager avait détruit le disque dur de son PC en quittant son job à Deloitte.

Marc Schiltz, le substitut du procureur d’État, ne croit pas une seule seconde à la thèse de l’employé indélicat qui aurait fait signer «aveuglément» des documents à ses supérieurs, surbookés, pour satisfaire sa clientèle personnelle. «Tout homme honnête aurait dû se séparer de clients ou embaucher des personnes supplémentaires. Mais il y aurait eu des conséquences négatives sur les revenus», a lancé le magistrat qui voit dans l’avantage que les trois ex-associés de Deloitte n’auraient pas eu, en faisant leur travail correctement, «l’élément intentionnel» du dol qui pourrait les envoyer en prison pour faux et usage de faux.

Le ministère public a requis des peines de prison de respectivement 12, 9, 6 et 3 mois contre les prévenus, la peine minimale ayant été requise pour le senior manager. Le susbtitut ne s'est pas opposé à un sursis intégral.

Considérant le dossier comme «grave», notamment pour la réputation du Luxembourg, et soulignant qu’à ses yeux la criminalité en col blanc était un mal «plus nocif» que, par exemple, le vol à la tire, Marc Schiltz s’est opposé «formellement» à une suspension du prononcé, plaidée par la défense, ce qui permettrait aux prévenus, toujours actifs pour trois d’entre eux dans le secteur financier, de conserver la virginité de leur casier judiciaire.

«Je ne comprends pas pourquoi le parquet est d'une telle sévérité», a répliqué jeudi Me André Lutgen, l'avocat de deux des prévenus. «Cette enquête», avait-il plaidé la veille en visant particulièrement le policier en charge de l'enquête, «nous enseigne qu'il faut avoir une certaine humilité pour apprécier les comportements professionnels et qu'il n'est pas admissible de se laisser aller à définir les chartes d'éthique d'un grand cabinet d'audit comme ressortissant d'une définition de comportements de type mafieux.»

«La thèse du lampiste», a pour sa part indiqué Me François Prum, l'avocat d'un des ex-associés de Deloitte, «relève d'une analyse simpliste et non objective.»

Le prononcé est attendu le 4 février prochain.