La Bank of Credit and Commerce International (BCCI) avait son siège boulevard Royal et elle a défrayé la chronique, en 1991, pour le gigantisme de sa fraude.
À présent, ils sont 10 créanciers à avoir assigné la banque, son liquidateur ainsi que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) devant le tribunal commercial de Luxembourg, pour avoir autorisé la clôture de la faillite en juillet dernier, alors qu’il était encore possible de récupérer 326 millions de dollars en Arabie saoudite.
La BCCI avait été fermée en juillet 1991 et déclarée en faillite en janvier 1992.
Le meneur de cette «class action» est Adil Elias, un homme d’affaires américain et ancien représentant du comité des créanciers de la BCCI. Il est soutenu notamment par la Faisal Islamic Bank of Egypt et des sociétés panaméennes. Les 10 plaignants sont défendus par l’avocat Laurent Ries. La procédure de tierce opposition met en cause la légalité du jugement de clôture de la faillite de la banque prononcé le 5 juillet dernier par le tribunal de commerce, après 22 ans de procédure ayant permis aux créanciers de récupérer une partie seulement de leurs dépôts. Une première audience a été fixée au 8 novembre.
Décision illégale?
Dans un communiqué, le Dr Adil Elias parle d’une décision «illégale» du tribunal de Luxembourg.
Le combat de l’ex-représentant des créanciers n’est pas nouveau. Il était intervenu à titre volontaire une première fois pour s’opposer à la clôture du dossier tant que les liquidateurs n’avaient pas récupéré les 326 millions de dollars. Mais les juges n’en avaient pas tenu compte, estimant que les démarches pour recouvrer cette créance en Arabie saoudite s’avéraient trop complexes et trop incertaines.
Les plaignants sont d’un autre avis. Ils estiment que les obstacles, ayant pavé la route des liquidateurs et les privant de toute chance de mettre la main sur cette coquette somme, sont levés, depuis une réforme du système judiciaire saoudien intervenue en février 2013.
Jusque-là, il était quasiment impossible d’obtenir de Riyad l’exécution directe de jugements étrangers, sans passer par une procédure judiciaire coûteuse, lourde et aléatoire.
Entrave à récupération de créance
Les liquidateurs de BCCI Holding à Luxembourg étaient parvenus à faire condamner, en 1999 aux États-Unis, un riche homme d’affaires saoudien (et ancien chef des services de renseignements), Abdul Raouf Hasan Khalil. Le jugement évoquait notamment le rôle de cet homme dans le rachat par la BCCI de la banque américaine First American Corporation and First American Bankshares. L’opération avait permis à la banque d’origine pakistanaise de masquer ses pertes aux régulateurs du secteur financier. Et Khalil avait servi de prête-nom, rémunéré. Le jugement américain l’enjoignait de rembourser… 326 millions de dollars. Encore fallait-il recouvrer l’argent en Arabie saoudite.
En juin 2012, à la demande des liquidateurs, le tribunal de commerce de Luxembourg met «un terme définitif à toute opération de récupération ou de cession de la créance ‘Khalil’». Officiellement pour des raisons «pratiques».
Or cet abandon pose plusieurs problèmes pour le Dr Elias et consorts. «Ni le juge commissaire, ni la Commission de surveillance du secteur financier, ni le liquidateur», souligne la plainte, «ne sont habilités à prendre une décision qui enfreint l’ordre public et constitue – même si elle n’est pas une fraude au sens juridique du terme – du moins une entrave à la récupération de créances, non autrement justifiée par des raisons juridiques, voire matérielle pertinentes, alors que la récupération se fait automatiquement sans obstacle ni difficulté à partir (…) de février 2013.»
Gage de sérieux
Les plaignants enfoncent le clou, en considérant que «toute attitude de laisser tomber pour des raisons ‘pratiques’ le recouvrement d’une créance dans le cadre d’une liquidation d’un établissement de crédit n’est certainement pas un gage de garantie pour une place financière sérieuse».
La justice luxembourgeoise avait décliné l’offre de preuve que lui avait soumise Adil Elias pour pointer certaines anomalies dans la procédure. Les liquidateurs, qui avaient mandaté - peu après la décision américaine - un bureau d’avocat à Riyad pour récupérer les fonds, auraient écrit à deux reprises (les 26 avril et 29 juillet 2012) au liquidateur local de la BCCI (basé dans les Émirats arabes unis), en lui confirmant qu’instruction avait été donnée à l’avocat chargé de l’exéquatur de laisser tomber les poursuites contre l’ancien chef du renseignement saoudien.
Point final?
Le jugement commercial du tribunal luxembourgeois validant l’abandon de la récupération est donc ultérieur au premier courrier, alors que les liquidateurs n’avaient pas officiellement mandat de prendre cette initiative. L’offre de preuve du Dr Elias mentionne par ailleurs, mais sans fournir de plus amples détails, l’existence d’un jugement en Arabie saoudite confirmant l’abandon du recours dans l’affaire Khalil, antérieurement à la décision du tribunal luxembourgeois.
Si l’information se vérifiait, cela poserait des questions de droit. «Il n’est pas concevable», souligne l’assignation dont paperJam.lu a eu copie, «de décider la clôture de la liquidation en l’absence de recouvrement de ladite ‘créance Khalil’ et en particulier face aux informations précieuses données par le Dr Elias».
Reste à savoir si cette «class-action» sera recevable, dans la mesure où elle a été introduite tardivement, par rapport au jugement du 5 juillet, censé mettre un point final à l’un des plus grands scandales bancaires de la planète.