Par la beauté et la force de son installation, Benjamin Loyauté transforme le bonbon en vecteur de souvenir et de parole. (Photo: Benjamin Loyauté studio photo by Dylan Perrenoud)

Par la beauté et la force de son installation, Benjamin Loyauté transforme le bonbon en vecteur de souvenir et de parole. (Photo: Benjamin Loyauté studio photo by Dylan Perrenoud)

Benjamin Loyauté a longtemps œuvré du côté de la théorie. Il a écrit et analysé les prémisses du design au 19e siècle pour s’intéresser ensuite au design contemporain et à ceux qui le font. Mais après des années dans la critique et l’organisation d’expositions, il lui a fallu passer à la «praxis», car il était impossible pour lui de rester du côté de la «poiésis» quand il a vu les horreurs de la guerre en Syrie.

Il explique «vouloir rendre à la Syrie ce qu’elle m’a donné». Il connaît bien le pays pour le fréquenter depuis plus de 10 ans et, comme beaucoup de visiteurs attentifs et ouverts, s’y sentait «chez lui». Sa recherche et son travail autour des bonbons et de la confiserie sont nés comme ça, avec cet impérieux besoin d’agir, de «faire ma part».

«Durant plusieurs siècles, les peuples arabes ont introduit le sucre dans la pharmacopée. Au 16e siècle, le sucre était vendu par les apothicaires. Le bonbon avait ses vertus que l'histoire ne lui a pas depuis reprises», explique-t-il. «En Syrie, plus encore qu’ailleurs, le bonbon est un liant social. On en offre quand on va chez des amis, on en donne pour se réconcilier, on les vend sur les marchés…»

Créer une armée de bonbons

Avec la volonté de créer «une armée de bonbons», Benjamin Loyauté a imaginé une sucrerie en meringue et à la rose de Damas qui rappelle «les Qabaqib Ghawar, petits sabots syriens en sucre, le souk d'Al-Hamidiyah et la Booza», qui sont aujourd'hui plus que jamais dans la mémoire des Syriens qui ont fui la guerre. Il leur a donné la forme de «l'idole aux yeux», une sculpture préislamique qui intrigue toujours et dont la fonction n'a jamais été véritablement tranchée. Le Louloupti – c’est son nom – devient un vecteur narratif, un agent transmetteur qui a le pouvoir de rassembler, de transmettre comme de se souvenir avec la fonction de «prolonger le temps et les souvenirs comme de préserver l'avenir».

Après les avoir encapsulés comme des médicaments, «pour soigner notre propre aveuglement face à ce qui se passe», Benjamin Loyauté présente ses bonbons au Casino Luxembourg en bocaux et dans une charrette, reproduction précieuse et muséale de celles qui transportent les bonbons en Syrie, avec toujours cette volonté de rendre tangible une réalité et une horreur qui nous échappent en grande partie. Pour aller plus loin que l’éveil des consciences, il espère pouvoir commercialiser à grande échelle ces 'mémoires sucrées' pour financer des projets dans des camps de réfugiés de la région.

Parallèlement, Benjamin Loyauté a collecté, sur des cartes postales, des histoires et souvenirs de ses amis syriens autour de la confiserie. Une œuvre qui participe à la protection d'une culture et qui ajoute à l’installation une dimension «fictio-fonctionnelle». Une façon très convaincante d’illustrer cette notion de design sémantique qu’il a forgée en 2014. «Les objets sont comme des mots et mes installations comme des histoires; aussi factuelles que spéculatives, elles révèlent nos comportements, affectent nos certitudes et notre perception des choses.»

Malgré la complexité des concepts sous-jacents, l’installation «Le bruit des bonbons - The Astounding Eyes of Syria» est simplement forte, sensible et belle.

Au Casino Luxembourg, dans le cadre de Design City, jusqu’au 22 mai.