Pour Jean-Yves Maldague, le nouvel actionnaire de Candriam lui accorde une autonomie totale qui fait que rien ne change fondamentalement. (Photo: Mike Zenari)

Pour Jean-Yves Maldague, le nouvel actionnaire de Candriam lui accorde une autonomie totale qui fait que rien ne change fondamentalement. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Maldague, pouvez-vous nous décrire la spécificité des activités de Candriam?

«Elle se marque au niveau de nos valeurs et de notre structure. Nos valeurs sont d’ailleurs définies dans le nom de Candriam, qui est l’acronyme de ‘Conviction and Responsibility in Asset Management’. Ces deux valeurs de conviction et de responsabilité sont depuis le début notre marque de fabrique.

La responsabilité, pour nous, c’est tout autant mettre l’accent sur des investissements socialement responsables que d’assurer des relations de long terme avec nos clients et de faire en sorte d’entretenir une certaine proximité avec eux ou encore de mettre l’accent sur le respect et le développement personnel de nos employés.

Quant à la conviction, elle se marque au travers de notre gestion de portefeuilles. Une gestion par conviction, ça veut dire que nous prenons des orientations fortes de gestion. Lorsque nous sommes convaincus que les marchés vont monter, nous y allons avec détermination. Pour ce qui est de notre structure, elle est relativement unique dans le monde de l’asset management avec trois centres de gestion – Belgique, Luxembourg, France – et des succursales locales dans les six principaux pays européens. Notre volonté est d’avoir des équipes en relation étroite avec les clients. C’est d’ailleurs ce qui nous a permis de survivre à la crise. Nous ne sommes pas une société basée loin de ses clients, comme certains acteurs anglo-saxons dont les commerciaux se déplacent partout en Europe depuis le siège central.

L’ancien Dexia Asset Management a mis longtemps à trouver un nouvel actionnaire. Ça a été une période difficile?

«En fait, nous avons été un peu victimes de notre succès. L’intérêt qu’on nous a porté a été énorme depuis le début. Dès la mise en vente, en 2012, plus de 40 candidats se sont manifestés. Ensuite, effectivement, les négociations et la conclusion de l’accord ont pris beaucoup de temps. Donc, ça a en effet été une période difficile à vivre, notamment à cause de l’incertitude qu’elle a créée, et en même temps une expérience unique. Nous avons eu énormément de réunions avec des investisseurs potentiels venus du monde entier, des grands professionnels de la finance, mais qui avaient des préoccupations et des cultures différentes. Ça a été très enrichissant.

Mais pendant ces deux longues années, nous avons surtout dû faire en sorte de ne pas casser la machine. Il fallait préserver la rentabilité alors que, fort logiquement, quand vous êtes en vente, les clients ne démarrent pas de nouvelles affaires avec vous. Grâce à une équipe de gestion qui travaille ensemble quasiment depuis le début, nous avons pu traverser cette épreuve sans casse: les équipes sont restées, les clients aussi et nous avons su rester rentables. Notre culture d’entreprise nous a sauvés. C’est d’ailleurs aussi la manière dont nous avons traversé cette période qui a attiré New York Life.

Justement, qu’est-ce qui a attiré un groupe comme l’Américain New York Life?

«New York Life est une société qui est restée jusqu’à présent fortement basée sur son marché domestique, mais qui développe des pôles d’investissement. Ils envisageaient de s’étendre à l’étranger et ont d’abord visé l’Europe où le marché de l’asset management est en plein boom. Ils sont entrés en contact avec nous dès la mise en vente et nous avons vu que nous étions parfaitement complémentaires. Ils n’avaient quasiment pas d’activités en Europe et le management a vu des possibilités de synergies, que nous sommes actuellement en train de développer.

Dès à présent et dans les années futures, nous vendrons nos capacités aux États-Unis, notamment des actions émergentes ainsi que des fonds alternatifs, et nous vendrons en Europe des capacités américaines dont nous ne disposons pas actuellement.

Est-ce que le passage d’une culture franco-belge à une culture américaine a provoqué un choc?

«Non, il n’y en a eu aucun. Nous avons tout de suite repéré de grandes affinités entre nos cultures d’entreprises respectives. New York Life, c’est un modèle ‘triple A’, une société qui existe depuis 170 ans et qui a distribué un dividende chaque année, sans exception. C’est aussi le premier assureur mutuelle vie aux États-Unis, même s’il est assez peu connu du fait qu’il ne soit pas coté en bourse. C’est une société qui se gère à très long terme, qui ne prendra jamais de risques inconsidérés et dégage des valeurs de respect et de responsabilité. Par contre, il a fallu s’adapter aux méthodes de travail et aux normes comptables américaines. J’ai dû apprendre les normes comptables, les US Gaap, et les règles de la régulation pour me conformer à la loi américaine qui prévoit que l’on doit être enregistré aux États-Unis pour pouvoir vendre ses produits. Le management de Candriam a carrément dû passer des examens de capacité mis au point par le régulateur.

Quel est votre rôle dans la nouvelle structure?

«New York Life a une approche ‘multiboutique’, comme ils disent eux-mêmes. Candriam est désormais une de ces boutiques. Dans le secteur de l’investment management chez New York Life, nous sommes sept ou huit sociétés et chacune d’elles dispose de sa propre autonomie. Dès les premiers contacts avec nous, ils nous ont avertis que, si nous intégrions le groupe, nous devrions gérer notre entité. Mon rôle est donc celui qu’il était déjà avant février 2014. Je suis le CFO du groupe Candriam et responsable taxes et gestion de la gamme de produits. Je rapporte au CEO de Candriam, Naïm Abou-Jaoudé, je suis au comité exécutif ainsi que dans le conseil d’administration de Candriam. Je suis aussi le directeur de l’entité luxembourgeoise. En tant que CFO, j’ai beaucoup de contacts avec l’équipe Finances à New York, mais je ne dois me rendre au siège qu’environ deux fois par an.

Nos clients ont été rassurés par la solidité et la stratégie à long terme de notre actionnaire.

Qu’est-ce qui a changé depuis la nouvelle ère Candriam?

«Comme nos actionnaires nous accordent une autonomie totale, rien n’a vraiment été modifié au niveau du fonctionnement de l’entreprise. Par contre, ce qui pour nous a changé c’est d’avoir un actionnaire ‘triple A’. On l’a tout de suite vu auprès de nos clients. Alors que certains ne venaient plus nous voir pour de nouvelles affaires parce qu’on était, à l’époque, filiale de Dexia, on a d’emblée perçu un regain d’intérêt. Des clients sont même revenus. C’est sans doute aussi lié à l’enthousiasme retrouvé de notre personnel et au fait qu’au niveau de nos produits, nous avons la meilleure performance que nous ayons jamais connue.

Ce qui a vraiment changé, c’est qu’on est passé d’une période où notre chiffre d’affaires était en difficulté à une période de rebond très forte. L’an dernier, nous avons réalisé 7 milliards de cash supplémentaires sur 10 mois, ce qui est un record, et cette année nous sommes déjà à plus de 6 milliards.

Tout ça, c’est l’effet New York Life?

«Il y a trois choses qui interviennent en fait. Le support de l’actionnaire a été un déclencheur pour nos clients; nous connaissons, ensuite, une période d’excellentes performances dans nos produits et, enfin, la motivation des troupes est redevenue très forte, même si elle n’a jamais été en danger. La structure n’a pas changé, mais elle se développe très vite. Nous sommes dans une phase importante de recrutement.

Quelle est la place du Luxembourg dans le nouveau groupe?

«La structure de Candriam est assez originale. La maison mère est ici. Les entités belge et française sont des filiales et les autres entités européennes sont des succursales du Luxembourg. Le Grand-Duché a donc vraiment un rôle central et c’est ce qui a en partie attiré notre nouvel actionnaire. Il voulait une plateforme de distribution européenne et cherchait à en disposer dans un centre Ucits de fonds d’investissement. Le Luxembourg l’intéressait aussi à ce titre-là. Disposer d’un centre au Grand-Duché en termes de domicile de fonds et de plateforme de distribution, c’est crucial dans notre développement.

Une société comme la nôtre est assez rare sur la Place. La plupart des acteurs ont une société de management qui gère des fonds à Luxembourg, mais c’est seulement administratif. Les portefeuilles sont gérés ailleurs. Nous, nous disposons d’une société de gestion et des entités telles que la finance et la gestion de produits sont aussi basées ici. Nous employons déjà 70 personnes et nous continuons à recruter. La plateforme européenne de distribution sera aussi développée à partir de Luxembourg. Nous allons donc créer des fonds luxembourgeois qui seront gérés par d’autres entités de New York Life depuis les États-Unis et que nous vendrons en Europe.

Vous insistez aussi sur votre spécialisation dans les investissements socialement responsables. C’est un motif de fierté? Un axe d’avenir?

«Nous avons été un pionnier dans ce segment. Nous avons commencé en 1996, avant même la mise en place de Dexia Asset Management. À l’époque, personne n’en parlait. Nous avons rapidement créé une équipe de recherche et d’analyse dédiée uniquement à ce domaine, ce qui fait qu’aujourd’hui nous disposons d’une expertise importante. Actuellement, nous gérons 17 milliards d’euros sous cette forme, c’est beaucoup. Et, dans le futur, nous entendons encore nous développer dans ce domaine. Ce sont des investissements qui s’inscrivent dans la durée et le ‘triple A’ de notre actionnaire et sa vision à long terme qui en découle nous aident à ce niveau.

Comment peut-on se distinguer de ses concurrents dans le métier des fonds?

«Ce n’est pas facile, mais nous voulons avant tout le faire par le service offert au client. Notamment, comme je l’ai dit, en plaçant nos services clientèle dans les pays où sont nos clients, mais pas uniquement. Nous avons aussi développé un ensemble de services connexes. Nous avons développé des produits spécifiques pour des catégories de clients. Aux assureurs, par exemple, nous fournissons des rapports sur mesure qui sont adaptés à Solvency II.

On peut donc se distinguer par la performance ou par des services à valeur ajoutée. Au niveau de la performance, nous connaissons pour l’instant une excellente période. 86 % de nos fonds sont classés entre trois et cinq étoiles par Morningstar. On n’a jamais connu ça. C’est très nettement supérieur à la moyenne.

En 2014, Candriam a affiché de très bons résultats. Est-ce déjà lié à l’intégration dans New York Life?

«Oui, en partie en tout cas. Pendant la période de mise en vente, beaucoup de clients nous avaient gardés sur leur liste, mais en réserve. Directement après la vente, beaucoup de ces clients sont revenus. Beaucoup plus nombreux et plus rapidement que ce à quoi on s’attendait. Nous avons collecté beaucoup l’an dernier. Cette année marche également très très bien. Lorsque nous avons été repris, fin 2013, nous avions 66,5 milliards d’euros d’encours. Aujourd’hui, nous sommes déjà à plus de 90 milliards. Évidemment, les marchés financiers ont été très porteurs. Mais nos clients ont été rassurés par la solidité et la stratégie à long terme de notre actionnaire.

En tant que CFO, est-ce que vous envisagez des réductions de coûts grâce à la fusion?

«La réponse est clairement non. Avec New York Life, nous sommes vraiment dans un projet de développement. Ce qui les intéresse, c’est le fait que nous allons distribuer leurs fonds en Europe et nous développer aux États-Unis. Nous sommes plutôt en train d’engager, d’augmenter les capacités de nos succursales dans différents pays. Nous investissons dans le personnel commercial, dans les gérants, dans l’IT, etc. Nous avons des revenus qui progressent très vite, mais des coûts qui sont aussi en augmentation. C’est voulu. Le but n’est pas du tout d’avoir des synergies de coûts, mais des synergies de revenus. Nos coûts augmentent actuellement de 5 à 8 % par an alors qu’entre 2008 et 2013, ils avaient diminué de 25 %.»

Parcours
Porté par les changements

Jean-Yves Maldague est entré dans la vie professionnelle au moment de la montée en puissance des fonds d’investissement en Europe. Il est resté fidèle au secteur, mais a fait le déplacement de Bruxelles à Luxembourg au début des années 2000.

«En 25 ans, je n’ai jamais changé de travail. C’est la société au-dessus de moi qui a changé quatre fois de nom, puis d’actionnaire», lance, sous forme de boutade, Jean-Yves Maldague (49 ans). C’est vrai que du Crédit Communal, où il entre en janvier 1990 après des études d’ingénieur commercial à l’Université de Louvain-la-Neuve, au groupe New York Life, le parcours a été cabossé, voire angoissant au moment de la restructuration du groupe Dexia.

Au début de la décennie 1990, le Crédit Communal de Belgique se lance dans les fonds d’investissement et entame le recrutement d’une équipe. Il devient responsable d’une entité de quatre personnes qui s’étoffe dans la foulée du succès rencontré par le business des fonds dans les années 1990. Après la création du groupe Dexia en 1996, il est décidé de placer l’activité fonds présente dans différents pays dans une filiale à part entière. Dexia Asset Management voit le jour, le jeune responsable belge entre au comité exécutif et prend la tête de la division belge en juin 1998. C’est en 2001, après le départ du responsable de la division luxembourgeoise, qu’on lui demande de prendre la place.

Arlonais de souche, il est attiré par le Grand-Duché même si, 14 ans plus tard, il habite toujours Mont-Saint-Guibert, à un jet de pierre de Louvain-la-Neuve, avec son épouse et ses deux enfants. Aujourd’hui, un peu plus d’un an après l’intégration de Dexia Asset Management dans New York Life sous le nom de Candriam, ce passionné de vins est à la fois directeur général de l’unité luxembourgeoise qui compte 70 personnes, membre du comité exécutif et CFO du groupe Candriam.