La loi luxembourgeoise sur l’exploitation des ressources de l’espace est juridiquement inattaquable selon le juriste et consultant en droit de l’espace Frans von der Dunk.  (Photo: université du Nebraska)

La loi luxembourgeoise sur l’exploitation des ressources de l’espace est juridiquement inattaquable selon le juriste et consultant en droit de l’espace Frans von der Dunk.  (Photo: université du Nebraska)

Le Grand-Duché a fait sensation l’an dernier en annonçant le lancement d’une incroyable niche économique: l’exploitation des ressources spatiales. L’incrédulité amusée qui a suivi cette annonce s’est depuis dissipée et c’est très sérieusement que l’adoption de la loi sur l’exploitation des ressources spatiales a été relayée dans la presse à travers le monde, d’autant que les États-Unis avaient précédé le Luxembourg en 2015.

Le Luxembourg, renforcé par l’appui de l’Agence spatiale européenne et par la participation de pointures de l’aérospatial à l’aventure Spaceresources.lu, a franchi une étape importante et gagné une certaine reconnaissance de son esprit d’initiative.

Même si le succès amène son lot de voix discordantes. Outre les protestations de type moral que suscite l’action du Luxembourg, c’est un point de vue juridique qui a émergé récemment, par la voix de Stephan Hobe, directeur de l’Institut de droit spatial et aérien de l’université de Cologne, entendu à la radio allemande Deutschlandfunk Kultur puis réitéré dans les pages du Wort.

Une loi décidée par un État ne peut pas régler la question de l’appropriation des ressources spatiales.

Stephan Hobe, directeur de l’Institut de droit spatial et aérien de l’université de Cologne

«Une loi décidée par un État ne peut pas régler la question de l’appropriation des ressources spatiales parce qu’un État seul n’est pas juridiquement compétent pour cela», assène le juriste, qui évoque une atteinte au droit international à travers l’article 1 de la loi du 20 juillet, qui stipule que «les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation». Il en appelle surtout à un véritable consensus réunissant les États du monde entier.

Le vice-Premier ministre et ministre de l’Économie, Étienne Schneider, avait sèchement balayé d’un revers de la main ces assertions dans L’essentiel.

Paperjam s’est intéressé à l’aspect juridique de ces critiques et a interrogé Frans von der Dunk, professeur à l’université du Nebraska et à la tête d’une société de consultance en droit de l’espace depuis 20 ans, qui fait partie du panel d’experts externes ayant appuyé les recherches de l’Uni dans les coulisses de l’élaboration de la loi luxembourgeoise promulguée le 20 juillet dernier.

L’utilisation de ressources de l’espace n’est pas explicitement prohibée tant que les autres obligations du traité (de l’espace de 1967) sont remplies.

Publication de l’International Institute of Space Law, mars 2017

«Je suis surpris par les critiques de M. Hobe», confie le Néerlandais. «Il est comme moi administrateur de l’International Institute of Space Law (IISL), un groupe international de professionnels du droit de l’espace, et en tant que directeur des études de l’IISL, il a signé notre publication de 52 pages éditée en mars dernier sur l’exploitation des ressources de l’espace. La conclusion était que ‘l’utilisation de ressources de l’espace n’est pas explicitement prohibée tant que les autres obligations du traité (de l’espace de 1967) sont remplies’.»

Ces obligations étant que l’exploration se fasse «‘pour le bénéfice et les intérêts de tous les pays’, ‘sans discrimination d’aucune sorte’, ‘en accord avec le droit international’, avec ‘libre accès à l’ensemble des corps célestes’, ‘guidé par le principe de coopération et d’assistance mutuelle, ‘en tenant compte des intérêts de tout autre État partie au traité’ et en ‘évitant toute contamination dommageable’.»

«Il est possible qu’on ne soit pas d’accord politiquement ou même économiquement avec l’approche des lois américaine et luxembourgeoise, mais juridiquement ces textes sont très difficiles à critiquer», estime M. von der Dunk.

Cela fait 40 ans que l’on attend un régime international.

Frans von der Dunk, professeur à l’université du Nebraska, fondateur de Black Holes, une société néerlandaise de consultance en droit de l’espace

M. Hobe critique surtout la démarche unilatérale du Luxembourg alors que la communauté internationale ne s’est pas encore accordée sur le sujet précis de l’exploitation des ressources de l’espace. «C’est un argument fallacieux», estime M. von der Dunk, qui a conseillé plusieurs gouvernements en Europe et en Amérique du Sud. «Cela fait 40 ans que l’on attend un régime international.» Les premiers pas américains sur la Lune avaient motivé une première ébauche sur l’exploitation des ressources de l’espace, aboutissant au traité sur la Lune de 1979. «Mais il ne va pas dans les détails et aucun État majeur n’y a adhéré – ni les États-Unis, ni la Russie, ni l’Allemagne, ni la Chine, l’Inde ou le Brésil!»

De fait, le Space Act américain de novembre 2015 est une réponse à la demande pressante d’un cadre légal par les entreprises souhaitant investir dans ce secteur, mais pénalisées par l’absence d’un régime international. «Et si on attend vraiment l’émergence d’un régime international, il ne se passera rien pendant 10 à 15 ans…», souligne M. von der Dunk. «De toute façon la loi américaine exige précisément du président qu’il cherche à convaincre les autres États d’adopter une approche de licence des opérateurs privés qui les force à respecter le droit international.»

Il faut un régime qui protège les intérêts de la communauté internationale et des opérateurs.

Frans von der Dunk

Les discussions à ce sujet ont repris dans la foulée de la législation américaine, notamment au sein du comité de l’Onu sur l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (Copuos). «Certains États ont critiqué les États-Unis, comme la Russie qui a parlé d’exemple d’impérialisme américain, le Brésil et la Belgique (signataire du traité sur la Lune). D’autres hésitent», relate M. von der Dunk, qui fait aussi état de l’intérêt marqué des Émirats arabes unis pour la voie américano-luxembourgeoise, voire de la Chine.

Se pose également la question de la forme du régime international à imaginer. «Une interprétation très limitée serait de créer une autorité internationale qui délivre les licences et s’assure que les transferts de technologies se font entre pays. Mais il y a d’autres formes plus souples, comme celle qui concerne le domaine spatial le plus commercialisé depuis 40 ans: les satellites. Les États souverains délivrent eux-mêmes les licences et coordonnent l’utilisation des orbites et des fréquences au sein de l’ITU.»

Et si M. Schneider comme M. von der Dunk comparent pédagogiquement l’approche spatiale luxembourgeoise à celle de la pêche en haute mer, dont le cadre international permet aux pêcheurs de s’approprier les poissons dans des mers appartenant à l’humanité, le régime international dont aura besoin l’exploitation de ressources spatiales devra être plus protecteur. «Cela prendra plusieurs mois voire années d’investigation pour trouver un astéroïde intéressant, envoyer un robot en repérage, etc., pour une exploitation encore deux ans après. Si les opérateurs doivent communiquer leurs informations aux scientifiques, il y a un risque de fuite et ils pourraient se voir devancés par un autre. Il faut un régime qui protège les intérêts de la communauté internationale et des opérateurs.»