Denis Scuto se lance dans un nouveau projet de recherche, cette fois sur le comportement des administrations luxembourgeoises des années 1930 aux années 1950. (photo: Jessica Theis / archives)

Denis Scuto se lance dans un nouveau projet de recherche, cette fois sur le comportement des administrations luxembourgeoises des années 1930 aux années 1950. (photo: Jessica Theis / archives)

Certains auraient aimé qu’il ne quittât jamais les terrains de football. Mais Denis Scuto persiste dans ses recherches malgré la difficulté de déterrer des secrets bien enfouis et protégés, malgré les menaces aussi. Il publie ce jeudi un recueil des chroniques hebdomadaires qu’il assure dans le Tageblatt et sur les ondes de 100,7 depuis 2013, sous le titre «Chroniques sur l’an 40 – Les autorités luxembourgeoises et le sort des juifs persécutés», publié par la Fondation Robert Krieps. Un ouvrage présenté ce jeudi dans l’enceinte symbolique de la Villa Pauly, quartier général de la gestapo au Luxembourg sous l’occupation, et tout juste un an après les excuses officielles de la Chambre des députés et du gouvernement «auprès de la communauté juive pour les manquements de l'administration luxembourgeoise».

«Je suis très heureux que la Fondation Robert Krieps ait décidé de reprendre mes articles pour en faire un livre», indique Denis Scuto, qui essaie d’instiller une «culture du débat» avec ses travaux sur l’histoire des migrations, la nation luxembourgeoise et le temps de la Seconde Guerre mondiale.

Une parole verrouillée depuis 70 ans

Ces chroniques s’inscrivent dans un mouvement de «libération de la parole» forcé en septembre 2012 par la lettre ouverte de l’historien Serge Hoffmann au Premier ministre Jean-Claude Juncker après les excuses officielles du gouvernement belge concernant les agissements de son prédécesseur sous l’occupation et en particulier la persécution des juifs.

Après plusieurs tentatives de déverrouillage de la recherche dans les années 2000, et un premier rapport tonitruant sur la spoliation des biens juifs en 2009, cette lettre parvient enfin à amorcer un débat public, relayée par une question parlementaire de Ben Fayot (LSAP) et une carte blanche de Denis Scuto. Le gouvernement avait ensuite chargé Vincent Artuso, jeune historien qui avait consacré sa thèse à la collaboration au Luxembourg durant la Seconde Guerre mondiale, de mener des recherches plus précises sur «La 'question juive' au Luxembourg (1933-1941): l’État luxembourgeois face aux persécutions antisémites nazies». Le rapport Artuso a été publié en février 2015 et a engendré les excuses de la Chambre en juin suivant.

Les chroniques de Denis Scuto dévoilent les petites histoires de l’Histoire, ces méandres qui font ressurgir le quotidien des Luxembourgeois sous l’occupation et durant ces six mois de 1940 marqués par un certain flottement, entre la fuite du gouvernement et de la Grande-Duchesse et l’annexion du pays par Hitler.

Je comprends que l’on se taise pendant la guerre, il y a eu ensuite l’amnistie dans un but de cohésion sociale. Mais 70 ans après, cela devient problématique.

Denis Scuto, professeur d'histoire contemporaine à l'Université du Luxembourg

Mais il reste encore des volets méconnus de cette période – ou en tout cas pas examinés avec l’objectivité des chercheurs d’aujourd’hui. Denis Scuto évoque les obstacles rencontrés par les familles juives revenant après la guerre et en particulier le zèle de certains agents de la sûreté, alors que le Premier ministre en exil avait assuré au World Jewish Congress que les juifs du Luxembourg seraient accueillis dans leur pays une fois la guerre terminée.

Le professeur d’histoire contemporaine de l’Université du Luxembourg se lance ainsi dans un nouveau projet de recherche prévu pour deux ans, soutenu par l'association MémoShoah, et pour lequel il sera assisté de Vincent Artuso. Un projet qui cherchera la réponse à une épineuse question: «Comment les représentants politiques et les fonctionnaires d’un État démocratique se sont-ils adaptés au nouvel ordre allemand?» Il s’attachera à explorer l’environnement dans lequel évoluaient les fonctionnaires de l’administration, en particulier au regard de la xénophobie et de l’antisémitisme qui sévissaient dans d’autres pays comme la Belgique et la France – sans compter l’Allemagne nazie évidemment - dès les années 1930. L’inventaire des archives de la gestapo française, en cours, pourrait contribuer à éclairer une période sombre de l’histoire luxembourgeoise.

La tâche s’avère encore ardue pour l’historien qui se heurte toujours à une forte «réticence» des témoins comme d’autres historiens. «Je comprends que l’on se taise pendant la guerre, il y a eu ensuite l’amnistie dans un but de cohésion sociale. Mais 70 ans après, cela devient problématique.»