Après six années à occuper le poste de conseillère diplomatique de Jean-Claude Juncker, puis Xavier Bettel, Yuriko Backes se lance «un nouveau défi» en prenant la tête de la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg. (Photo: Sven Becker)

Après six années à occuper le poste de conseillère diplomatique de Jean-Claude Juncker, puis Xavier Bettel, Yuriko Backes se lance «un nouveau défi» en prenant la tête de la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg. (Photo: Sven Becker)

Madame Backes, après six années passées au ministère d’État comme conseillère diplomatique de Jean-Claude Juncker puis de Xavier Bettel, vous occupez désormais le poste de chef de la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg. Pourquoi ce changement?

«J’ai effectivement travaillé pendant trois ans et demi avec le Premier ministre Juncker, puis pendant deux ans et demi avec Xavier Bettel. C’est un job où on travaille jour et nuit, 7j/7. J’ai adoré ce travail au point qu’après six ans, je ne pouvais presque plus m’imaginer faire autre chose. Jusqu’à ce que l’opportunité de prendre la tête de la Représentation de la Commission s’est présentée. Après mûres réflexions et en avoir parlé avec le Premier ministre, je me suis lancée dans ce nouveau défi.

Concrètement, en quoi consiste votre poste, auparavant occupé par Guy Berg, même s’il n’en avait pas le titre officiel?

«Je représente officiellement la Commission européenne au Luxembourg. Cela signifie que je suis l’interlocuteur privilégié entre Bruxelles et le gouvernement, car la communication entre ces deux organes est primordiale. Les ministres et les commissaires se voient directement, mais beaucoup de contacts peuvent aussi se faire via mon intermédiaire. Même chose pour les parlementaires. Mon travail consiste également à communiquer avec les citoyens, notamment les plus jeunes, en allant dans les écoles ou avec les journalistes pour les aider à analyser ce qui se passe.

L’Europe n’est pas parfaite et ne le sera probablement jamais.

Yuriko Backes, chef de la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg

De quelle manière votre carrière diplomatique et vos connaissances de la matière européenne vont-elles avoir un impact sur le poste de chef de la Représentation de la Commission?

«Je ne suis effectivement pas une débutante sur les questions européennes, notamment dans le travail quotidien, même si ces dernières années, j’avais plutôt une vision gouvernementale tout en connaissant le point de vue de Bruxelles. Ce que cela signifie concrètement, c’est que je possède le réseau luxembourgeois: je connais les membres du gouvernement, les députés, les différents acteurs de la société civile, etc. Ce qu’une personne qui viendrait de Bruxelles ou d’ailleurs aurait plus de mal à avoir rapidement. C'est une question de confiance.

Dans un contexte de défiance des citoyens vis-à-vis de l’Europe et de crise des institutions, quels sont les projets que vous comptez mener dans les prochains mois?

«L’Europe est effectivement en crise quelque part. À ce phénomène s’ajoutent également les conséquences de la crise économique, mais aussi la crise migratoire, qui ne laisse pas les gens insensibles… Il y a tellement de choses à faire ici. Quand on regarde le dernier Eurobaromètre, 93% des résidents du Luxembourg se perçoivent comme des citoyens européens. Peut-être que ce n’est pas aussi vrai dans d’autres pays, mais c’est ce qui ressort des données au Grand-Duché et cela facilite grandement ma tâche.

Le même Eurobaromètre indique que 74% des sondés ont besoin d’informations sur l’Europe. On se pose tous des questions sur l’Europe, car l’Europe n’est pas parfaite et ne le sera probablement jamais. C’est donc un défi énorme qui signifie qu’il faut informer sur l’Europe, démontrer la valeur ajoutée pour que les citoyens puissent décider librement par la suite. Sur leurs droits, sur les différentes directives ou sur des sujets spécifiques.

Par exemple?

«Parmi les 10 priorités de la Commission Juncker figure en première place le plan d’investissement, le soi-disant 'Plan Juncker'. On va donc travailler sur ce dossier. Il y a beaucoup de PME luxembourgeoises ou de start-up très innovantes qui pourraient en profiter par exemple. Et d’ailleurs, pas seulement luxembourgeoises, mais aussi de la Grande Région. Ce plan d’investissement a mobilisé 127 milliards d’euros jusqu’à présent, ce qui représente presque la moitié de ce qui était prévu après un an, 200.000 entreprises en Europe ont pu en profiter et 100.000 emplois ont été créés. Ce mécanisme doit aussi profiter à notre tissu économique via la mise en contact des personnes, des entreprises et des banques impliquées.

Pour expliquer tous ces enjeux, parfois très complexes, sur quels vecteurs allez-vous miser?

«Les contacts directs avec les différents stakeholders sont primordiaux. On organisera des conférences sur des sujets qui intéressent les citoyens. Les réseaux sociaux sont importants aussi dans ce contexte, même si un tweet et ses 140 caractères ne pourra jamais retranscrire tous les aspects d’une thématique et est forcément réducteur. Le web et les réseaux sociaux sont un passage incontournable pour montrer ce que nous faisons et la variété des sujets traités par la Commission.

Se poser la question de savoir sur quelle partie de la planète la croissance aura lieu.

Yuriko Backes, chef de la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg

Cette communication sera-t-elle suffisante pour contrer le sentiment de défiance grandissant des Européens vis-à-vis de l’Europe?

«Même si au Luxembourg, ce sentiment est moins fort que dans d’autres pays, les résidents se posent beaucoup de questions. Et c’est normal. Il y a plus de 10 ans que nous avons eu le référendum sur le traité constitutionnel et 56% des électeurs, seulement, avaient voté en faveur du texte. Je suppose que depuis, la situation ne s’est pas améliorée… C’est la raison pour laquelle il faut communiquer sur les avantages au quotidien que représente l’Europe. Que ce soit pour les citoyens ou pour les PME.

La crise migratoire, les négociations autour du Ceta et du TTIP ou le Brexit sont autant de sujets qui cristallisent les tensions actuellement. Quels éléments pouvez-vous apporter sur ces sujets?

«Après le plan d’investissement de la Commission, les accords commerciaux avec le Canada et les États-Unis seront aussi des sujets qui vont m’occuper en raison des fortes réactions suscitées par ces projets. Mais le Luxembourg a jusqu’à présent bien vécu car c’est un pays ouvert au commerce et cela fait partie de notre richesse. La Commission a fait beaucoup d’efforts de communication autour de ces sujets même si, malheureusement, certaines personnes ne seront jamais convaincues. D’autres sont en revanche indécises. Il faut leur expliquer les enjeux.

Car il faut se poser la question de savoir sur quelle partie de la planète la croissance aura lieu dans les cinq prochaines années: à 90% en dehors de l’Europe. Ce qui signifie que nous avons besoin de ces accords commerciaux. Si je prends l’exemple de l’accord avec la Corée du Sud, les exportations de biens ont augmenté de 55% et celles de services de 40% depuis son entrée en vigueur. Cela montre bien l’impact de ces accords sur l’économie et donc sur les entreprises impliquées. Et bien évidemment, il faut adresser les craintes bien légitimes des gens autour de ces questions.

Et en ce qui concerne le Brexit?

«Nous sommes tous dans l’attente de l’invocation par le gouvernement britannique de l’article 50. En attendant, la Commission a nommé M. Barnier (ancien commissaire français au marché intérieur, ndlr) pour mener les négociations. Ce dernier fera une tournée des capitales et devrait être au Luxembourg au cours du mois d’octobre, parmi les premiers pays visités. C’est un dossier fondamental pour l’Europe afin d’éviter que cette situation ne devienne un précédent. Les négociations s’annoncent extrêmement compliquées et probablement longues.»