Le Traité budgétaire (TSCG) que le Luxembourg doit transposer en droit luxembourgeois dans les prochains jours impose des règles d’airain aux politiques budgétaires des États membres. Les nouvelles règles vont aussi profondément changer la manière dont le budget de l’État, des communes et de la Sécurité Sociale seront établis, décidés et évalués au Luxembourg. La nouvelle législation (« six pack, two pack, fiscal compact »…) nous impose de créer de nouvelles autorités: un Haut Conseil des Finances publiques et un Comité économique et financier. Le premier sera une émanation d’experts de la société civile et le deuxième celui des bureaucrates qui préparent la politique économique du gouvernement.
Ayant plaidé personnellement pour la mise en place de telles institutions, j’estime qu’elles représentent une chance pour démocratiser la politique budgétaire de l’État. À condition de prendre ce défi au sérieux et de ne pas le traiter comme un «machin venant de Bruxelles!»
Loi d’airain
Les soldes publics doivent être structurellement équilibrés et le niveau de la dette publique doit diminuer. Telle est la doxa qui s’impose avec une loin d’airain dans l’Union européenne. Il y a une littérature foisonnante sur la manière de conduire les politiques budgétaires en Europe sur l’avantage et des défauts des «règles budgétaires».
La pensée majoritaire, qui a pignon sur rue est celle défendue avec force par la Commission européenne qui prône une orthodoxie plus ou moins stricte. À l’inverse, les critiques les plus vives des conséquences des règles de la gouvernance économique et monétaire de l’Union européenne viennent traditionnellement, des éditorialistes du Financial Times ou de The Economist. (Pour ceux qui veulent avoir une vue critique, je recommande le petit livre des économistes atterrés «l’Europe maltraitée»). Les économistes, ni les orthodoxes, ni les alternatifs, n’ont réussi à lancer un débat citoyen sur les fondements et les conséquences des nouvelles règles budgétaires. Ni en Europe, ni au Luxembourg.
Rappelons que les nouvelles règles se basent sur celles du Traité de Maastricht, fixées à une époque où la moyenne de la dette publique était de 60% du PIB et l’hypothèse de croissance économique de 3% (avec une inflation de 2%)! Or, à en croire les projections et de la Commission européenne et de l’OCDE, la croissance potentielle de l’Europe s’affaiblit à moins de 2%, en raison de la démographie déclinante et du faible progrès technologique. À côté de l’encadrement des déficits, il y a la règle encadrant les dépenses publiques. Ainsi les dépenses publiques, ne peuvent dépasser une norme d’évolution, indexée peu ou prou sur la valeur de la croissance potentielle. Constat désolant: les pays rognent sur les dépenses d’investissement dans les infrastructures, la recherche, l’éducation… réduisant encore plus la croissance potentielle!
Le principal reproche que l’on puisse faire aux nouvelles règles d’airain, à mon avis, est qu’elles ne favorisent guère une politique explicitement coopérative, solidaire, au sein de l’UE, entre économies interdépendantes. En effet, chaque pays est incité à concurrencer son voisin en pratiquant une désinflation compétitive. C’est la guerre économique généralisée. Les États membres qui ont une marge de manœuvre en termes de surplus du secteur public ou de la balance courante ne sont guère incités à relancer leur économie. Ce qui serait un bienfait pour leurs citoyens et pour les pays moins bien lotis, dans la périphérie de la zone euro.
Conseil économique et financier national
Le nouveau gouvernement luxembourgeois a eu la sagesse d’institutionnaliser, au cœur de processus budgétaire, une coopération renforcée entre un comité économique et financier national qui regroupe, sous la tutelle du ministre de l’Économie et de celui des Finances. Les administrations fiscales, les inspections sociales et financières, les ministères de l’Économie et des Finances, ainsi que le STATEC, devront travailler main dans la main. Le CEFN aura pour mission de préparer le plan de réforme national, le programme de stabilité et le budget de l’État. Il aura également pour mission d’améliorer la base statistique et les outils d’analyse, de faire privions des recettes publiques et des effets des politiques publiques. C’est lui qui propose un scénario macro-économique pluriannuel qui trace les grandes lignes de l’évolution l’économie luxembourgeoise avant l’intervention du pouvoir politique.
Haut Conseil des finances publiques
Il faudrait, en contrepartie, un organe qui se penche ce fameux scénario macro-économique. C’est la mission principale qui devrait incomber à un organisme constitué de personnes indépendantes du pouvoir exécutif. C’est à la Cour de Comptes, relevant de la Chambre des Députés, que devrait revenir le privilège de piloter une telle organisation.
Parmi les experts devraient également figurer des professeurs de macro-économie et de finances. L’Université de Luxembourg a attiré d’excellents enseignants-chercheurs. Leur expertise de leur sens critique leur permet de penser en dehors des circuits et de la machinerie de l’État. Il pourrait aussi faire œuvre utile comme pédagogue. Le Haut Conseil devrait également comprendre des représentants des partenaires sociaux – comme la Chambre de Commerce et la Chambre des salariés qui se sont dotés d’une certaine expertise en la matière.
Ce Haut Conseil aurait pour mission de donner un avis sur le réalisme du scénario macroéconomique, sur les hypothèses de base qui fondent la politique budgétaire.. Le Haut Conseil devrait prendre en compte les prévisions de la BCE et de la BCL, de la Commission européenne, de l’OCDE, du FMI, etc. devrait avoir le droit de se faire exposer la démarche du conseil économique et financier. L’exemple français illustre assez bien le fonctionnement d’une telle institution, dont on pourrait s’inspirer dans le cas luxembourgeois. Les « Fiscal Council » indépendants ont été institués dans de nombreux pays parce que les études ont montré que les gouvernements avaient la fâcheuse tendance à enjoliver la situation conjoncturelle de manière favoriser des politiques budétaires généreuses. Au Luxembourg, une étude (à publier par le STATEC) montre que c’est le contraire, les soldes avaient toujours été sous-évalués! Une vieille tradition locale.
Le Haut Conseil devrait dès lors mettre l’accent sur de meilleurs instruments de prévision. Mais surtout, il devrait pouvoir rendre plus accessibles, transparents et compréhensibles les chiffres du Léviathan. C’est un exercice de pédagogie qui fait gravement défaut. Même si la matière restera complexe, à moins que les citoyens, les écoles, les médias se donnent de la peine. Comme disait Paul Valéry «Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui Ce qui ne l’est pas est inutilisable».