Madame Weisse, quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face en tant que CFO ?
« Le défi d’un CFO dans un groupe comme Quilvest Wealth Management, c’est de réussir à se positionner dans un groupe relativement jeune – le groupe est né en 2011 du rapprochement de trois banques. Je suis arrivée en tant que CFO de la holding des trois banques en février 2011 (CBP et Quilvest ont fusionné en mai 2011, ndlr.). Je suis également CFO de CBP Quilvest S.A. depuis juillet.
CBP Quilvest S.A. et Quilvest Wealth Management ont toujours eu pour objectif, et ce malgré un contexte financier difficile, de créer de la valeur pour les actionnaires. Aujourd’hui, mon rôle est de m’assurer que, en dehors des dépenses liées à la croissance de l’entreprise, les coûts soient sous contrôle. Nous devons continuer à recruter de forts potentiels. Mais, du côté des coûts structurels, il faut vérifier et maîtriser. Au niveau du groupe, je dois mettre en place les outils nécessaires à la gestion et aider à l’intégration des différentes entités du groupe.
Chez CBP Quilvest S.A., la facturation de nos services peut inclure des conditions de performance, en fonction de certains benchmarks. Si nous ratons nos objectifs, nous ne touchons rien. Si nous les dépassons, alors nous serons rémunérés. Cela implique que, d’une année à l’autre, nous pouvons avoir des écarts de revenus significatifs. Et que le compte de résultat évolue également en fonction. De plus, comme nous tenons nos comptes selon les normes IFRS, nous sommes exposés aux effets de marché.
Comment s’organise Quilvest Wealth Management ?
« Il est constitué de trois établissements dont les profils sont très différents les uns des autres. Au Luxembourg, on pourrait nous qualifier de banque privée traditionnelle. En Suisse, nous sommes plus sur un métier de family office. En France, nous sommes une banque privée, avec un profil de clients encore différent de ceux que nous avons en Suisse ou au Luxembourg.
Notre défi est de réussir à intégrer toutes ces entités. Il faut que nous décidions vers quoi aller. Sur le plan financier, nous avons un travail énorme à faire pour uniformiser nos pratiques. L’objectif, c’est que cette fusion permette de dynamiser chacune des trois banques. Et les premiers effets se font sentir. En 2011, en dépit d’un marché qui n’était pas simple, nous avons réussi à avoir une collecte nette positive pour chacun des établissements. La dynamique est là.
Il doit également y avoir un travail d’harmonisation entre les différentes pratiques comptables et fiscales… C’est à la fois un travail « financier » et un défi en termes de management…
« Effectivement. Il faut que nous travaillions à présenter nos actifs et nos résultats d’une manière homogène. Au départ, chacun avait ses propres indicateurs qui, même s’ils portaient le même nom, étaient parfois basés sur des formules différentes. En 2012, par exemple, nous avons défini un seul ratio de liquidité, immédiatement compréhensible par tous.
J’ai une approche ‘projet’, qui est certainement le résultat de mes expériences précédentes dans des cabinets d’audit et de conseil. Mettre en place la consolidation pour le reporting prudentiel, un modèle de reporting interne, ce sont des choses qui ont été ou sont en train d’être construites. Il y avait des problèmes qui peuvent sembler très bêtes et que l’on découvre au fur et à mesure. Par exemple, il n’y avait pas de langue commune au groupe. Et puis il y a les cultures – nationales et d’entreprise – qui ont chacune leurs spécificités.
Ce sont les règles de la maison-mère qui s’imposent. Et étant donné que nous sommes installés au Luxembourg, ce sont les normes grand-ducales qui s’appliquent pour les besoins de la consolidation financière du groupe. Cela a demandé du travail supplémentaire aux filiales. Mais nous servons également de support et de soutien.
L’évolution du groupe est-elle clairement planifiée, ou y a-t-il encore des points à préciser ?
« Sur certains sujets, nous nous posons des questions de manière régulière, et il s’agit de ne pas être dogmatique. Il faut dire que le comité de direction et le conseil d’administration sont particulièrement ouverts, dynamiques et réactifs.
Le passage du monde de l’audit et du conseil au monde bancaire a-t-il été difficile ?
« En venant ici, je venais d’un monde très structuré. Je pense que je ne pourrais de toute manière pas travailler de manière efficace si je devais subir un environnement insuffisamment réactif. Ici, il est possible de porter plein de projets différents, en parlant de tout. L’établissement est encore une jeune entreprise, ce qui peut aider. Je suis de loin la plus jeune du comité… et accessoirement la seule femme.
Mais en même temps, tous les membres sont des personnalités avec une mentalité d’entrepreneur… En ce sens, parler du monde bancaire en général n’est pas forcément pertinent. Ce qui peut changer avec un établissement du type de CBP Quilvest / Quilvest Wealth Management par rapport à une banque bien installée, c’est que notre force a toujours été et reste notre flexibilité et notre capacité à nous ajuster et nous adapter à un environnement en mutation rapide.
À ma première participation à un conseil d’administration, j’avoue que j’avais peur de ne pas y trouver ma place. La première confrontation est toujours impressionnante. Mais si, dans ma carrière, j’ai pu ressentir par moments un certain côté machiste, je pense que je n’ai pas besoin d’utiliser mon statut de femme pour avoir du poids dans une réunion. Je ne veux pas qu’être une femme soit un atout ou un désavantage. Je veux être jugée sur ma compétence. Et je suis toujours à l’écoute de ce que les autres peuvent m’apporter, grâce à leur expérience souvent plus riche que la mienne.
Le monde financier a subi de nombreux soubresauts ces dernières années. Comment se fait l’adaptation de l’entreprise ?
« Il y a des challenges à relever et du débat entre tous les responsables. Tout le monde n’est pas d’accord sur tout, ce qui permet la construction d’une stratégie pertinente, car remise en question.
Il y a encore de nombreuses choses à régler. Par exemple, le contrôle des coûts peut encore s’améliorer, au niveau de la banque. Une partie plus importante des dépenses doit être approuvée par le comité de direction. Le fait de devoir faire une demande et de la motiver fait réfléchir un peu plus sur la nécessité de la dépense. Le fait de mettre en place des procédures et de faire savoir qu’elles existent a un effet en soi. On met une discipline en place. Attention, l’idée n’est pas de plomber la banque en la figeant ou en empêchant son développement !
La planification financière doit être plus difficile que dans d’autres structures, ou qu’à d’autres époques…
« Lorsque l’on monte un plan d’affaires, on sait d’avance qu’il ne sera jamais juste. Mais il permet de penser aux questions stratégiques, et au type de retour sur investissement que l’on attend.
Par exemple, dans la filiale suisse, nous travaillons sur l’hypothèse de l’ouverture d’un bureau à Genève. Il y a différentes questions à se poser. Est-ce le bon moment ? Le secret bancaire en Suisse n’est-il pas en danger ? Quelles en seraient les conséquences ? Quels sont les clients que nous souhaitons avoir ? Ceux que nous souhaitons éviter ? Et l’on fait des simulations. Et si l’opération n’est finalement pas rentable, comment faire ? Quelles immobilisations devons-nous prévoir ? Comment recruter ? Quelle forme juridique adopter ? Une filiale ? Une succursale ? Un bureau ? C’est en multipliant les questions – et les réponses – que l’on réussit à se construire un ensemble d’indicateurs pertinents qui permettent de prendre une décision éclairée.
La liquidité étant une question clé dans un établissement financier, que faire si la moitié de nos clients viennent du jour au lendemain retirer leur dépôt ? Il y a des ratios réglementaires que nous devons bien entendu respecter, mais il y a également nos propres ratios internes de surveillance des liquidités. Notre risk manager fait le point très régulièrement.
Nos clients influent également sur notre situation, selon leurs choix d’investissement. À la fin 2011, ceux-ci ont changé. La visibilité de l’économie et des marchés était mauvaise à l’époque, et nombre d’entre eux souhaitaient rester avec du cash à disposition pour pouvoir saisir les occasions lorsqu’elles se présenteraient. Par rapport à d’autres établissements qui avaient des difficultés de trésorerie, de notre côté nous sommes plutôt exposés à un excès de liquidité. »
Parcours - Construire…
Âgée de 35 ans, Delphine Weisse a suivi ses études à l’ESC Bordeaux, et a commencé sa carrière dans l’audit. « Je suis ensuite devenue l’assistante personnelle du ‘global CFO’ d’Ernst & Young, Norbert Becker. J’ai eu la chance de l’aider sur de nombreux dossiers. » Après quelques temps, elle rejoint Atoz, qui travaillait notamment sur la constitution d’une nouvelle banque… CBP. « Je connaissais tous les gens du comité de direction depuis 2006. Avec la fusion avec Quilvest, j’ai eu l’occasion de rejoindre l’entreprise à un moment clé de son évolution. J’y ai retrouvé un environnement hyper dynamique, avec un projet d’intégration à mener à bien. Mettre en place une nouvelle consolidation, un planning fiscal, une intégration effective des différentes entités, c’est un vrai challenge. S’il fallait simplement procéder à la gestion d’une continuité, je ne serais pas forcément venue. »