Magali Maillot (photo), Guy Tescher, Fabrice Delcourt et Bart Coone abordent l’évolution de la fonction RH au service du business dans le dossier RH & Formation de l’édition juillet-août de Paperjam2. (Photo: Luc Deflorenne )

Magali Maillot (photo), Guy Tescher, Fabrice Delcourt et Bart Coone abordent l’évolution de la fonction RH au service du business dans le dossier RH & Formation de l’édition juillet-août de Paperjam2. (Photo: Luc Deflorenne )

La fonction RH évolue en permanence. Aujourd’hui, un bon responsable des ressources humaines doit pouvoir déléguer les tâches opérationnelles routinières afin de pouvoir se consacrer aux aspects stratégiques, apporter des solutions pour soutenir le business, en étroite relation avec la direction générale.

Un bon responsable RH doit aussi veiller au bien-être et au développement de tous les collaborateurs de l’entreprise, s’assurer de recruter les meilleurs candidats sur un marché de plus en plus concurrentiel et offrir à tout un chacun un terrain de jeu à la hauteur de ses attentes.

Une mutation de la fonction RH dans cette direction est aujourd’hui mise en œuvre par les plus grands groupes internationaux. On constate cependant qu’elle ne peut se concrétiser qu’avec l’aval de la direction. Or, pour beaucoup de patrons, aujourd’hui encore, le service du personnel est là pour exécuter des décisions venues d’ailleurs et s’assurer que la paie tombe à la fin de chaque mois... «Pour qu’une fonction RH soit perçue comme stratégique, il faut qu’elle soit proche du business, donc forcément rattachée à la direction générale», lance Magali Maillot, human resources director au sein du cabinet d’avocats Allen & Overy à Luxembourg.

Le responsable des ressources humaines, pour la mise en place de politiques efficientes, doit pouvoir s’appuyer sur des relais managériaux très forts, disposer de la confiance d’une direction elle-même convaincue de la plus-value stratégique de sa fonction, de l’approche qu’il développe. «En sus, le gestionnaire des ressources humaines doit aujourd’hui disposer de nombreuses cordes à son arc», constate Fabrice Delcourt, associé en charge de la gestion des ressources humaines chez Deloitte Luxembourg. «Il doit maîtriser le contexte général et les cycles propres à la gestion administrative des RH, aussi bien sur les aspects du développement personnel, que dans les domaines réglementaires ou législatifs. Dans un même temps, il doit être capable de développer cette capacité à comprendre les différents métiers au sein de son entreprise, être aux côtés de la personne et apporter des solutions pour relever les défis propres à l’évolution du business dans ses multiples dimensions et ceci est au cœur de la définition du business partnering que nous valorisons.»

Se rapprocher du business, c’est s’intéresser à ceux qui le portent, comprendre le rôle de chacun d’eux, les difficultés et les contraintes qu’ils rencontrent. «Il s’agit de parler le même langage et de s’assurer d’une grande proximité avec tous les acteurs de l’entreprise», confirme Magali Maillot. «Désormais, les tâches opérationnelles quotidiennes peuvent être gérées de manière automatique ou semi-automatique. La vraie valeur ajoutée des professionnels des ressources humaines se situe au niveau stratégique. Dans un cabinet d’avocats comme le nôtre, nous avons pour mission d’accompagner les associés dans le développement des marchés et des opportunités. Déchargés des tâches plus administratives, nous pouvons nous concentrer sur la guerre des talents, le développement de nos collaborateurs sur le long terme, tout en veillant à créer une culture d’entreprise forte.»

C’est dans cette capacité à sentir et à anticiper les challenges, en faisant preuve de proactivité, que le responsable des ressources humaines peut faire la différence. «Nous devons faire partie du management. Dans nos équipes, on trouve souvent de grands techniciens, des spécialistes du droit capables de développer de nouvelles opportunités de marché, mais ce ne sont pas forcément de bons gestionnaires d’hommes pour autant. Nous nous positionnons en partenaires de la stratégie d’entreprise au quotidien. La fonction RH devient un business partner à part entière qui facilite la gestion et le développement des équipes», ajoute encore la directrice des ressources humaines d’Allen & Overy.

Des outils et des services à disposition

Les départements RH peuvent aujourd’hui s’appuyer sur des outils et des services qui simplifient la gestion quotidienne du département. Le calcul des salaires peut par exemple être confié à un partenaire externe ou être automatisé en interne, entièrement ou partiellement, au moyen d’un programme dédié. «Environ 50% des sociétés luxembourgeoises gèrent encore le payroll en interne», constate Bart Coone, directeur de Securex Luxembourg, société spécialisée dans les services RH. «Des prestataires de notre nature, aujourd’hui, peuvent facilement et rapidement reprendre la gestion des salaires d’une entreprise et les services administratifs comme le financement de la formation. Cela doit toutefois se faire étape par étape. Nous avons un rôle d’évangélistes à assumer, pour expliquer aux dirigeants tout l’intérêt de déléguer certaines tâches pour consacrer leur temps à d’autres missions à plus forte valeur ajoutée…»

Le développement des outils à même de seconder les équipes RH contribue grandement à l’évolution du métier. «À côté du logiciel de calcul des salaires, nous avons développé une gamme complète d’outils permettant de simplifier la gestion administrative des ressources humaines», explique Guy Tescher, administrateur délégué de Microtis. «Cela inclut la gestion de la formation et du cofinancement étatique, la gestion des processus de recrutement jusqu’au suivi de la performance.»

Durant de nombreuses années, les grands systèmes RH disponibles à l’échelle internationale n’étaient pas adaptés aux spécificités du marché luxembourgeois. Des solutions locales permettent désormais de simplifier la vie des départements RH. «Nous sommes mieux outillés et nous pouvons dès lors davantage travailler sur des questions stratégiques», résume Magali Maillot. En d’autres termes, cette évolution technologique récente a permis aux ressources humaines de prendre une nouvelle direction.

«Une bonne partie des tâches administratives peut être modélisée et effectuée avec l’aide d’un logiciel adapté. On constate toutefois que nombreuses sont encore les entreprises à travailler avec la suite Office pour assurer le suivi administratif de leur personnel», souligne Guy Tescher.

Externaliser pour mieux avancer

Chaque entreprise, en fonction de son activité, établira ses propres limites entre ce qui peut être confié à une société tierce et ce qui doit rester en interne. «Dans une société de services où le capital humain a le premier rôle, les opportunités d’externalisation sont plus limitées», remarque Fabrice Delcourt. «La confidentialité est essentielle. Dès lors, pour tout ce qui touche à la stratégie et notamment à la stratégie RH, il est difficile d’externaliser.» La gestion des carrières et des successions dans les rôles clés, les plans de développement et de formation, la stratégie de rémunération et les divers avantages en nature sont des éléments clés pour une société de services.

«Nous allons investir beaucoup d’énergie dans ces missions», reprend le responsable RH de Deloitte. «À côté de ça, il est évident que des fonctions plus opérationnelles, comme la gestion de la paie, la création et l’exécution de certaines formations, tout comme le design de ces formations, qui demandent des compétences très particulières et pointues, peuvent le cas échéant être confiées à d’autres prestataires.» Et Magali Maillot d’ajouter: «Tout ce qui a trait aux relations de proximité avec les collaborateurs, comme la mise en œuvre d’une approche de business partnering, et tout ce qui nécessite une excellente connaissance de la culture interne de l’entreprise ne sont pas externalisables.»

Pour améliorer encore leur efficacité et, surtout, pouvoir prouver à la direction le bien-fondé des stratégies mises en place, les services RH doivent s’appuyer sur des indicateurs de performance précis et des tableaux de bord.

«D’un management qui était essentiellement centré sur l’input, autrement dit sur les compétences requises ou le nombre de personnes nécessaires à l’accomplissement d’une tâche ou d’une mission, on évolue vers un management orienté vers l’output. En tant que professionnels du secteur RH, nous sommes convaincus de l’importance des formations. Mais un CEO veut savoir ce que tout investissement dans le développement du personnel va lui rapporter», constate Bart Coone (Securex).

Le défi est donc, aujourd’hui, de disposer des bons outils de reporting qui permettent de prouver que la politique RH menée est la bonne, qu’une formation a eu un impact sur le business et que les travailleurs sont à 100% de leurs capacités.

Sur ce point, les responsables des ressources humaines reconnaissent encore certaines lacunes. «On a encore besoin de développer des indicateurs qui soient plus pertinents pour le business. Dans un cabinet d’avocats, on va par exemple parler d’indicateurs financiers, en lien avec le business réalisé ou les revenus réalisés. Mais est-on capable d’établir une relation directe entre une formation et ces indicateurs, je n’en suis pas certaine», relève Magali Maillot. «Un important travail reste à faire pour que les indicateurs RH soient beaucoup plus pertinents pour le business.»

Des indicateurs à développer

Pour les entreprises convaincues du rôle stratégique des services RH, il est important de déterminer leur influence concrète sur la bonne marche des affaires. Certains indicateurs sont connus. Ils s’intéressent au taux de transformation des contrats à l’essai, au nombre de départs après un an de contrat, au taux plus général de turnover… «Ce turnover peut être structurel, mais s’il est plus élevé que la moyenne de l’industrie, il est bon de se poser des questions», ajoute Magali Maillot. L’absentéisme reste lui aussi un indicateur pertinent pour évaluer l’ambiance d’une entreprise.

D’autres indicateurs aident au développement du personnel dans les entreprises. Combien de personnes parvient-on à amener jusqu’à un poste de direction? A-t-on été capable de répondre à nos besoins par la mise en place de parcours de développement des salariés en interne? «Je pars toujours du principe que ce qui ne se mesure pas ne se gère pas», confie Fabrice Delcourt. «D’un côté, on retrouve les indicateurs opérationnels, qui donnent des mesures sur la qualité du service et la capacité à atteindre certains objectifs. D’autre part, on trouve des indicateurs plus soft, qui donnent des perspectives sur l’aboutissement des politiques RH sur le long terme. Certains peuvent être relativement factuels. On peut mesurer le taux de rétention ou de turnover sur une population ciblée de high performers par exemple. Nous avons également la capacité de mesurer le nombre de nouvelles recrues qui sont référées par des collaborateurs ou d’anciens collaborateurs, ce qui traduit leur attachement à la firme, à la culture d’entreprise et à ses valeurs.»

Même s’il est important pour les services RH d’améliorer la qualité des indicateurs business, la palette des KPI disponibles est déjà vaste et répond aux besoins du plus grand nombre. «Beaucoup de sociétés nous demandent simplement des KPI sur les heures supplémentaires, leurs effectifs, l’absentéisme. C’est le point de départ», explique Guy Tescher. «On constate une prise de conscience accrue des employeurs à ce niveau. Si la bonne ambiance ne se mesure pas, on peut par contre s’intéresser au turnover. La gestion du congé restant est également un point crucial pour beaucoup. Il s’agit souvent d’informations basiques, mais au final très importantes. Il est souvent difficile d’aller plus loin. La gestion de la performance est encore un concept étranger à beaucoup d’entreprises. Nous devons jouer le rôle d’apôtres et convaincre.»

Même si les agendas des uns et des autres diffèrent, les services RH prennent une importance croissante dans la gestion globale de l’entreprise, ainsi que dans la définition des stratégies et leur mise en œuvre. Proches du business et attentifs à l’humain, ils ont pour mission de trouver le bon équilibre entre bien-être individuel et performance globale.

RH
De l’approche collective à l’individualisation
Dans un environnement international de plus en plus concurrentiel, les entreprises ont le devoir de se différencier pour attirer de nouveaux talents. «La relation avec l’employé s’individualise», constate Bart Coone (Securex). «Les besoins et les attentes des candidats sont devenus très variables et les contrats ne sont plus identiques d’une personne à l’autre.» Le grand enjeu est de répondre aux attentes des employés, alors que celles-ci varient fortement en fonction de leur âge et de leur origine. «Le concept de ‘job for life’ n’existe plus, c’est une évidence», souligne Fabrice Delcourt (Deloitte). «Pour les nouvelles générations, le besoin de se réaliser apparaît beaucoup plus tôt dans la carrière que pour des personnes qui ont aujourd’hui 40 ou 50 ans, et qui ont d’abord veillé à atteindre un certain niveau de compétence. Le besoin de reconnaissance et de satisfaction, et pas uniquement financières, apparaît beaucoup plus tôt dans la carrière, et quasiment même avant que la carrière ne commence.»

Amenés à recruter des jeunes sortant tout juste de l’université, les employeurs sont obligés de se vendre. «On doit faire face à la concurrence d’autres grands cabinets internationaux. Ce sont notre image employeur et la culture d’entreprise du cabinet qui nous permettent de faire la différence. Les nouveaux collaborateurs sont avant tout intéressés par les avantages et bénéfices qui composent notre offre, ‘what’s in it for me’ devient leur devise», explique Magali Maillot (Allen & Overy). «Lors des rencontres avec les étudiants de dernière année, on se rend compte qu’ils ont des degrés d’exigence très importants par rapport au contenu et à la variété de leur futur travail, ainsi qu’à leurs perspectives de développement», ajoute Fabrice Delcourt. «C’est évidemment un modèle un peu en rupture avec ce qu’on a connu par le passé et nous veillons à y apporter des réponses basées sur des opportunités de formation continue, de mobilité et de défis professionnels renouvelés.»

Les services de conciergerie, les activités en lien avec la responsabilité sociétale des entreprises, le sport ou les événements culturels sont autant de moyens de veiller à la bonne intégration des nouvelles recrues. «Ces nouveaux collaborateurs viennent de partout dans le monde et sont très attentifs à l’ensemble de l’offre qu’on propose en matière d’intégration et de connexion avec les collègues», conclut Fabrice Delcourt. «Lorsqu’on les attire au Luxembourg, on les déracine en quelque sorte de leur environnement culturel, social et familial. À nous de leur offrir ce nouveau substrat dans lequel ils vont construire leur vie future, à la fois personnelle et professionnelle.»