Pour répondre à cette question, il faut faire un peu d’histoire et revenir aux années qui ont suivi le krach de 1929, année qui a bouleversé profondément l’ordre du monde au siècle dernier. Les idées de Keynes - marginales jusqu'à l’accession de Roosevelt au pouvoir en 1932 - s’imposèrent progressivement et connurent leur apogée dans les accords de Bretton Woods en 1944. À cette époque comme le disait le Times « Tout le monde était keynésien », et il fallut l’opiniâtreté de Friedrich Hayek et de la société du Mont Pélerin pour imposer progressivement ses idées avec le soutien financier massif des lobbies représentant les classes les plus aisées (patronat et sociétés financières), ce qui est bien détaillé dans le livre de Serge Halimi Le grand bond en arrière.
Nous aurions pu penser que ces dogmes néolibéraux qui connurent leur apogée dans les années 80 - tout le monde se souvient du fameux TINA de Margaret Thatcher –, ces dogmes qui ont tous été contredits par les crises successives de 1987, 1997 (crise asiatique) et 1998 (Russie), 2001 (bulle Internet et Argentine) et enfin 2007-2008 (crise dite des subprimes) auraient dû être durablement discrédités. Et pourtant nous constatons plus de trois ans après la chute de Lehmann Brothers que c’est cette même idéologie qui est toujours mise en pratique, malgré la contestation grandissante et à l’échelle mondiale des populations qui n’en peuvent plus de payer les pots cassés d’une crise qui n’est pas de leur responsabilité.
Vision trop limitée
La réponse est peut-être à chercher dans la façon dont l’enseignement des sciences économiques est dispensé dans les universités de nos démocraties occidentales : il n’est pas un secret que les économistes représentant un mouvement de pensée contraire à celui de Milton Friedmann sont relativement marginaux dans les universités, et que les représentants de cette pensée dans le débat démocratique sont marginalisés dans les médias dominants. Ce n’est donc pas étonnant que les seuls experts financiers consultés par les gouvernements soient directement issus de l’industrie financière, ce qui peut nous questionner quant à leur indépendance pour recommander la solution la plus en faveur de l’intérêt général.
Mais les choses sont en train de changer : les étudiants en économie de Harvard contestent les enseignants qui limitent leur cours à une vision trop limitée et le documentaire Inside Job (qui sera projeté le lundi 6 février à la Cinémathèque) démontre la collusion entre les universitaires américains et le secteur financier. Les lobbyistes du secteur bancaire à Bruxelles ont désormais un modeste, mais réel contre-pouvoir avec Finance Watch, et le traitement de l’information sur la crise par les médias dominants est de plus en plus remis en cause comme c’est le cas dans le documentaire Les nouveaux chiens de garde (présenté le lundi 13 février à la Cinémathèque). Comme le dit Jean Gadrey, il est temps que la science économique devienne également une science citoyenne !