La zone euro vit-elle une situation «à la japonaise»? Muriel Bouchet, senior économiste à la Fondation Idea, propose quelques éléments de réponse. (Photo: japon-voyage)

La zone euro vit-elle une situation «à la japonaise»? Muriel Bouchet, senior économiste à la Fondation Idea, propose quelques éléments de réponse. (Photo: japon-voyage)

La crainte suscitée par le «spectre japonais» de la déflation a été ravivée par l’évolution récente des prix à la consommation au sein de la zone euro, où le taux d’inflation en glissement annuel se serait établi à -0,2% en décembre 2014.

Déflation? Les faits

L’inflation annuelle est désormais négative en zone euro, à -0,2% en décembre 2014. Ce taux négatif résulte du recul marqué des prix de l’énergie, l’inflation hors énergie étant toujours positive. La désinflation se diffuse cependant à d’autres segments de l’indice des prix que l’énergie. En outre, la moyenne de la zone euro cache certaines évolutions nationales plus négatives encore. On citera notamment le Luxembourg, avec -0,9% en glissement annuel en décembre (indice harmonisé).

La zone euro se trouve actuellement à la croisée des chemins.

Pourquoi la déflation serait-elle dangereuse?

Un phénomène de déflation peut facilement devenir auto-réalisateur.

En période de déflation, les ménages et les entreprises risquent de différer leurs achats, pensant profiter plus tard de prix moins élevés. Pour que ce canal soit réellement opérant, le recul des prix doit cependant être très prononcé.

Un canal plus préoccupant est celui du «stock» d’endettement des ménages ou des entreprises. En situation de déflation, ce stock tend à augmenter par rapport aux ressources respectives de ces secteurs, avec à la clef une possible diminution de la consommation ou des investissements, des ventes groupées d’actifs induisant des effets richesse négatifs et un affaiblissement du portefeuille des banques, ou encore un risque de défaut accru pénalisant l’octroi de crédits.

La déflation rehausse également les ratios d’endettement public. Les autorités doivent alors accentuer de manière pro-cyclique les efforts budgétaires.

Enfin, les entreprises subissent en cas de déflation une moins-value sur leurs stocks, donc une diminution de leurs marges. Elles font en outre face à une plus grande rigidité des salaires réels.

Ces canaux tendent à se renforcer mutuellement. C’est pourquoi il convient d’étouffer dans l’œuf tout phénomène de déflation.

Une évolution «à la japonaise»?

Il existe un important point commun entre la zone euro actuellement et le Japon à partir de 1997, illustré par le graphique suivant où le PIB en volume est exprimé en base 100 l’année t (t=1997 au Japon, 2008 en zone euro) – soit l’année précédant la première année de décroissance. Il est frappant de constater qu’en termes d’activité économique sinon d’inflation (les séries de prix sont pour leur part divergentes), la zone euro connaît déjà de 2009 à 2014 une situation «à la japonaise».

Graphique: PIB en volume – le Japon (centré sur 1997) et la zone euro (centrée sur 2008). Base: année centrale (précédant la récession) = 100

Source: Base de données Ameco de la Commission européenne.

Source: Base de données Ameco de la Commission européenne.

Un élément important distingue cependant les deux épisodes. Alors que le yen est demeuré globalement assez fort tout au long de l’épisode japonais de déflation, il en est tout autrement au sein de l’actuelle zone euro. La dépréciation marquée de l’euro enregistrée depuis mai 2014 est de nature à atténuer les risques d’ancrage de la déflation dans la zone euro. Les mesures qui devraient être annoncées par la BCE le 22 janvier sont également susceptibles de changer la donne.

Une vigilance de tous les instants s’impose toutefois en matière de déflation, un phénomène pouvant aisément prendre un tour auto-réalisateur. En outre, le recul moyen des prix japonais n’a été que de 0,3% l'an de 1998 à 2011. La déflation n’a donc pas besoin d’être très marquée pour produire ses effets délétères…