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La France, dit-on, n'aime pas les évolutions. Elle préfère les révolutions. En matière d'Internet, elle a attendu d'être convaincue qu'Internet est une révolution, pour commencer à évoluer. Doucement, bien sûr, car à côté du Minitel incroyablement rémunérateur, Internet semblait, question business, une franche rigolade de carabin. Puis plus rapidement quand le réseau des réseaux a envahi les Etats-Unis, puis l'Europe. Ne sous-estimons pas la rivalité franco-américaine dans la prise de conscience hexagonale. Dans un premier temps, elle fut un frein: "Laissons les ricains avec leur truc de merde". Puis un accélérateur: "On ne peut pas laisser les ricains dominer le monde en ligne".

En quelques années, en quelques mois même, la prise de conscience a eu lieu. On peut dater la conversion à l'été 99. Il y avait eu des prémisses dès l'été 97, mais le Français est long à mûrir. La seconde moitié de 1999 a été une folie. Les chiffres parlent : entre 1999 et 2000, le commerce électronique business to business a augmenté de 122% pour atteindre 59,7 milliards de francs (estimation Forrester) en 2000. Le B to B a été, et reste, le chouchou des investisseurs. Personne ne sait avec certitude comment le grand public va réagir devant le commerce en ligne. Si on peut supposer qu'il s'y convertira, on ne peut exclure des réactions subjectives fortes, des réticences culturelles ou même, chez un pourcentage non-négligeable, un rejet total. Le business, lui, est nettement plus pragmatique: s'il peut y gagner ou économiser de l'argent, il y va. Point. Or Internet, évidemment, peut lui faire gagner ou économiser de l'argent. Les places de marché comme Mercato se développent très bien: cela facilite les appels d'offres, et donc les économies potentielles. Les sociétés de service via Internet (Webagency ou autres sociétés de développement de trafic) connaissent une croissance sans heurts. Une entreprise comme Orange Art, par exemple, est passée de 7 personnes à plus de 120 en 2 ans.

Cette croissance rapide n'est pas miraculeuse. Elle est due, simplement, au retard précédent. Quand vous démarrez à retardement, vous devez faire un effort important pour rattraper le temps perdu. Elle est due aussi à (enfin) l'engagement du gouvernement en faveur de cette industrie et des technologies Internet. Le discours de Hourtin (août 97) de Lionel Jospin avait lancé le mouvement, il s'est accéléré avec Dominique Strauss-Kahn,, grand utilisateur du Net, qui a fortement remué les milieux des affaires. Elle est due, pour finir, à la conversion de sociétés comme France Telecom, qui, après avoir tout fait pour détruire le Net, concurrent du Minitel, ont retourné leur veste pour en devenir promoteurs, dès qu'elles ont compris que c'était leur intérêt premier.

L'impact sur la société et les sociétés françaises a été fort. Et la réaction rapide. Les entreprises de service Internet qui étaient solidement en place il y a un an ont, les premières, bénéficiées des investissements massifs des sociétés de l'ancienne économie désireuses de connaître le frisson du réseau.

Aujourd'hui la folie s'est calmée, mais la croissance reste forte. Logique d'ailleurs: les entreprises ayant enfin découvert Internet ont commencé à l'utiliser. Tous les services B to B se font, lentement, une clientèle. A Transfert.net, apparemment tourné vers le grand public avec le site et le magazine, nous avons aussi une activité B to B en plein développement : la fourniture d'éditorial faisant vivre les sites Web. Nos fils d'informations sur l'actualité de la société numérique (politique, économie, société, technologie, etc.) connaissent un succès dont nous ne pouvions nous douter il y a deux ans. Les entreprises ont besoin de faire vivre les sites pour lesquels elles ont payé si cher: nous proposons une solution éditoriale. Et chaque page vue sur notre contenu devient une source de revenu ou de business potentiel pour le site client. C'est un vrai modèle B to B.

Cet aparté sur Transfert.net pour mettre en lumière le changement de paradigme dans l'attitude des investisseurs. Il y a deux ans, ceux-ci adoraient le B to C. Aujourd'hui, ils vénèrent avant tout le B to B qui a l'intérêt ô combien important d'être rémunérateur à court terme. Transfert.net, qui mélange B to C (le site, le magazine) et B to B, est un modèle qui les séduit. Après s'être fait peur en 2000, les investisseurs souhaitent revenir à certains fondamentaux pour 2001 : on investit, d'accord, mais autant le faire sur des métiers où la valeur ajoutée facturable est claire et évidente. Certains diront qu'ils deviennent frileux. Peut-être est-ce aussi, et surtout, de la sagesse, après avoir cru qu'Internet était la martingale idéale.