De Verband, la fédération agricole, sème le trouble et récolte la tempête, depuis des mois, dans ce qui apparaît comme une véritable saga, aux enjeux assez variés, touchant l’administration, la politique, l’environnement et, bien sûr, le monde agricole et ses implications économiques. S’y ajoute une pincée d’atteinte à la fierté nationale.
Le climax vient probablement d’être atteint, avec l’annonce, commentée en sens divers, de la décision prise par le conseil d’administration de la coopérative – à l’issue d’un vote plutôt serré – d’implanter de nouvelles installations… en Allemagne, à Perl, face à Schengen.
D'un site unique à la scission
Le berceau de la fédération et des activités agricoles du pays est à Mersch depuis 60 ans. Mais les installations (stockage de céréales, de produits phytosanitaires, d’aliments, de matériel) se faisaient vieilles, et De Verband caressait, depuis plusieurs années, le projet d’un nouveau centre agraire, stratégiquement situé, au centre du Luxembourg.
Dans un premier temps, Pettingen (16 hectares) tenait la corde. Puis, au printemps dernier, la quête d’un site alternatif – notamment motivée par l’opposition de mouvements écologistes et citoyens – a mené les pas des responsables de la fédération vers Colmar-Berg (deux possibilités sur Bissen, près de la piste Goodyear ou près de Luxlait). Alors qu’une étude environnementale désignait Pettingen comme site le plus approprié, le conseil communal de Colmar-Berg, toujours saisi, accordait, en décembre 2010, son feu vert à la construction du centre agraire le long de l'A7.
Les procédures d'autorisation du nouveau centre sont sur le feu depuis plus de six mois. Mais une idée alternative continuait de mûrir en coulisse: scinder le projet pour adjoindre, au site de Colmar-Berg, une seconde implantation. Et de fait, De Verband a informé le ministre de l'Agriculture, Romain Schneider, et le ministre délégué au Développement durable, Marco Schank, de la décision prise: installer une filiale en Allemagne limitrophe…
Raisons économiques et financières
L’affaire ne fait pas l’unanimité. Ni dans le monde agricole, ni dans le monde politique, gêné aux entournures par le site bicéphale et qui plus est délocalisé.
La scission du centre agraire, avec délocalisation d’une partie des activités, se nourrit de raisons économiques et financières. L’accès direct à la Moselle est un argument pour Perl, comme l’A7 en est un pour le site de Colmar-Berg.
Les 3 hectares acquis sur la rive allemande sont de fait moins coûteux, puisque le mètre carré y est jusqu’à dix fois moins cher qu’au Luxembourg.
La décision prévoit donc d’investir à Perl (une dizaine de millions d'euros, selon des sources convergentes) dans un centre complémentaire à celui de Colmar-Berg. Le site allemand accueillera la production fourragère et devrait aussi récupérer des silos jusqu’ici exploités sur le port de Metz.
L’envergure de la Grande Région
L’ampleur de l’affaire tient aussi à la fédération en elle-même. Moins puissante aujourd’hui, en tant que lobby, que lors du siècle écoulé (De Verband est née en 1900), elle n’en reste pas moins une entité importante, qui a pris du volume économique en misant sur la Grande Région. Des responsables du Verband indiquent d’ailleurs que l’option allemande est aussi liée au marché, orienté sur la Grande Région.
En effet, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 26.985, la coopérative est au centre d’un groupe dans lequel on retrouve, pêle-mêle, des sociétés de transport et logistique (Agrofeed), de services techniques (Mecan), d’immobilier (Sogim), de production alimentaire et phytosanitaire (l’allemande Pro Agri, la française Gamm Vert et son ancrage luxembourgeois Gamm Lux), de négoce agricole, de commercialisation de céréales et d’aliments pour l’élevage (Versis, détenue à 72% par De Verband, ou C3F ProAgri, à Messancy en Belgique, qui gère aussi une jardinerie-animalerie, Silolux)…
C’est ainsi une petite galaxie qui mise, aussi, sur l’ovni posé outre-Schengen…