Le directeur général de Chaux  de Contern, Eric Kluckers, défend l’usage de produits luxembourgeois dans les travaux publics. (Photo: Mike Zenari)

Le directeur général de Chaux de Contern, Eric Kluckers, défend l’usage de produits luxembourgeois dans les travaux publics. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Kluckers, Chaux de Contern a démarré il y a plus de 90 ans en s’installant sur un gisement de calcaire. Historiquement, comment a évolué l’activité?

«En 1923, lorsque la société a démarré, le calcaire servait à produire de la chaux hydraulique à destination du secteur de la construction et de l’industrie sidérurgique. Cette activité a été arrêtée dans les années 60 et nous avons alors pris le virage du béton préfabriqué. Désormais, nos produits en béton sont fabriqués à froid à base de ciment provenant de l’usine Cimalux de Esch-sur-Alzette.

Quels sont les grands secteurs d’activité aujourd’hui?

«Nous avons développé trois grands pôles. Premièrement, une activité de génie civil via la fabrication de tuyaux et de regards de canalisation. Nous fournissons aussi différents types de produits pour les chemins de fer et les ponts et chaussées. Nous sommes ensuite fournisseur de matériaux pour les aménagements extérieurs tels que des places publiques ou des trottoirs. Enfin, nous avons développé une activité de gros œuvre qui consiste essentiellement en la fabrication de blocs de construction et de briques.

Votre catalogue s’enrichit fréquemment de nouveaux produits. La R&D reste-t-elle un domaine important dans le secteur de la construction?

«Effectivement. Il faut bien constater que le secteur de la construction est très traditionnel, il ne change pas rapidement. C’est aussi un secteur très réglementé et, à notre niveau, nous devons satisfaire à la fois aux normes luxembourgeoises, allemandes, belges et françaises. Enfin, c’est un métier où les bonnes idées sont rapidement copiées. Pour faire face à cette situation, nous avons lancé un important programme de recherche de plus de 3 millions d’euros.

Nous avons pour première ambition de créer des matériaux plus écologiques, qui répondront à différents labels environnementaux et aux normes énergétiques plus strictes qui seront en vigueur à partir de 2017. Pour nous différencier de nos concurrents, nous devons aussi apporter de la plus-value à nos produits et développer des produits brevetables. Enfin, nous avons aussi besoin d’innovation pour nous positionner sur les marchés étrangers avec des produits bénéficiant d’une plus grande valeur ajoutée. Les autres, en raison de la relation entre le poids et la valeur du produit, ne s’exportent pas bien.

Tous les matériaux en béton ne se ressemblent donc pas. On peut encore faire des choses nouvelles?

«Oui! Par exemple, nous réfléchissons à utiliser la chaleur dans les canalisations pour chauffer les bâtiments. On peut aussi rendre intelligents les murs de retenue classiques sur les autoroutes en faisant en sorte qu’ils puissent appeler les secours en cas d’accidents. Nous allons lancer différents projets de recherche en partenariat avec l’Université du Luxembourg et financer des doctorats pour aller dans ce sens. Mais nous avons aussi fait évoluer l’esthétique des produits. Auparavant, les pavés étaient achetés uniquement pour leur fonctionnalité. Désormais, on multiplie les formats et les apparences.

Vous faites partie du groupe Eurobéton. Quels sont les rapports entre les deux entités?

«La société a été créée et longtemps détenue par la famille Rischard. En 1990, elle a décidé d’échanger ses actions contre des titres du groupe Ciments luxembourgeois, qui lui même appartenait à l’Arbed (aujourd’hui ArcelorMittal, ndlr). En 1994, nous avons été vendus au cimentier allemand Dyckerhoff, un groupe d’envergure internationale, mais repris, lui aussi, en 2004 par le cimentier italien Buzzi Unicem. C’est à ce moment que Robert Dennewald, le président de l’époque, a décidé, avec quatre confrères et l’aide de Saint-Gobain, de racheter le groupe Eurobéton pour le sortir du giron de Buzzi Unicem. Au fur et à mesure, Eurobéton s’est résumé à Chaux de Contern et Robert Dennewald – toujours président aujourd’hui – est devenu le seul actionnaire privé avec deux tiers du capital, la SNCI détenant le tiers restant. Pour nous, c’est une très bonne chose et je profite de l’occasion pour saluer son esprit entrepreneurial.

Le nom de Chaux de Contern ne correspond plus vraiment à votre activité. Vous n’avez jamais imaginé le modifier?

«C’est vrai que ça ne rappelle en rien nos activités. C’est aussi un nom qui ne peut pas être utilisé non plus à l’international, parce que trop francophone. Nous avons déjà plusieurs fois réfléchi à l’idée de le changer, mais la société est tellement ancrée dans la vie du secteur de la construction au Luxembourg que cela nous a toujours paru néfaste. C’est une appellation historique.

Au niveau des produits, jusqu’où pourriez-vous envisager de vous diversifier? Où s’arrête le métier de Chaux de Contern?

«Dans les années 90, nous étions intégrés au sein du groupe Ciments luxembourgeois. Il fallait donc réfléchir uniquement à des produits qui consomment du ciment. Aujourd’hui, nous sommes libres d’aller vers tous les types de produits qui seraient rentables. Nous complétons donc notre propre gamme par des produits de construction de toutes sortes. Nous sommes devenu un généraliste des matériaux de construction. Nous avons aussi diversifié notre activité de base par le développement d’activités immobilières via la société Oakpark et nous sommes à la base de la création de trois start-up.

Dans quels domaines ?

«La première, e-Kenz, est une société informatique orientée vers des installations SAP. La deuxième, Stayconcrete, fabrique des meubles d’intérieur en béton (caves à vin, plans de travail de cuisine, mobilier de salle de bain, etc.) et, enfin, Apateq fabrique des systèmes d’épuration et de séparation très compacts et donc mobiles.

Pourquoi avoir effectué de telles diversifications?

«Notre métier de base n’est pas extensible à l’infini. Dans beaucoup de domaines, nous détenons déjà une part de marché relativement importante. En plus, le secteur de la construction, au Luxembourg, a diminué en taille et l’affluence de concurrents étrangers le rend plus difficile. C’est aussi un métier très saisonnier. L’hiver est une période relativement morte et nous ne bénéficions d’aucun outil de flexibilité du temps de travail. Nous espérons que les projets du gouvernement permettront ces mesures de flexibilité. Notamment de pouvoir mieux adapter les horaires et le personnel au rythme des saisons. On pourrait imaginer un compte épargne-temps qui ferait que les gens travailleraient plus en période pleine et moins en période creuse. Actuellement, nous essayons de travailler avec un certain nombre d’intérimaires et nous profitons des temps morts pour faire l’entretien de nos machines. Nous ne voulons certainement pas mettre en péril les statuts sociaux, mais l’adaptation correcte du personnel au rythme de l’activité reste quelque chose de compliqué. En plus, en tant qu’industriels, nous ne sommes pas couverts par les conventions collectives de la construction.

Vous avez aussi développé une activité immobilière avec la création de l’Oakpark. Pourquoi une telle diversification?

«Cette activité immobilière a démarré il y a cinq ans. Nous disposions de terrains en friche, qui n’étaient plus nécessaires pour l’activité opérationnelle. Nous avons donc souhaité créer deux parcs d’activités et y attirer des entreprises complémentaires. Le premier résident sera, dès octobre, la société Dussmann (Pedus), pour laquelle nous avons construit un immeuble administratif de 4.000 m2 et un hall logistique pour leurs 200 camionnettes. Une deuxième société, Mateco (location de plateformes de levage), viendra par la suite et nous sommes en pourparlers avec d’autres, sachant que la zone couvre 8 hectares. Nous n’envisageons pas de développer ce type d’activités ailleurs que sur notre site de Contern, c’est vraiment lié à l’excédent de terrain.

Une grande partie de votre chiffre d’affaires est assurée par des contrats avec le secteur public. Mais vous vous plaignez parfois qu’il est de plus en plus difficile de rester compétitif dans son propre pays. Pour quelles raisons?

«Nous sommes effectivement indirectement dépendants des investissements du secteur public, même si, en général, nous ne fournissons pas directement l’État. Mais par l’intermédiaire des projets des ponts et chaussées, des chemins de fer, des bâtiments publics ou encore des villes, nous sommes dépendants des projets étatiques pour deux tiers de notre activité.

La collaboration reste souvent bonne mais parfois, notamment sous l’influence de prescripteurs étrangers, nous devons faire face à des produits qui n’ont pas de tradition au Luxembourg et contre lesquels il n’y a aucune préférence nationale. Le lycée de Belval, par exemple, a été construit avec des matériaux en silico-calcaire, alors qu’au Luxembourg nous avons une tradition de brique de laitier, un produit équivalent et moins cher. Par contre, nous constatons que, quand nous essayons de nous imposer sur des marchés étrangers, le donneur d’ordre préfère toujours le fournisseur local.

Vous voulez faire appel autant que possible aux matières premières locales. Dans quelle mesure est-ce réalisable?

«C’est effectivement un élément important. Il faut savoir que le Luxembourg dispose de peu de matières premières. Nous avons pu profiter pendant de nombreuses années de laitier de haut-fourneau que nous utilisions dans nos blocs de construction. Mais les stocks touchent à leur fin. Depuis ce constat, nous avons développé l’idée d’utiliser des matières premières recyclées. C’est doublement intéressant: ça permet, en partie, de faire face à une pénurie de matières premières et, en même temps, nous nous inscrivons dans la logique du cradle-to-cradle pour redonner vie à un déchet. Désormais, nous allons proposer aux communes de reprendre leurs trottoirs quand elles veulent en changer le revêtement. Nous pourrons les concasser et en faire de nouveaux produits. Mais nous travaillons aussi sur des matériaux renouvelables comme le bois, le chanvre ou le miscanthus, une plante similaire au bambou qui pourrait être utilisée comme matériau de construction et qui est déjà cultivée au Luxembourg. Ça fait partie de nos axes de recherche.

Selon vous, le béton serait un produit écologique. En quoi l’est-il plus que certains matériaux?

«Il a parfois une mauvaise image. Pourtant les produits en béton peuvent être très esthétiques si on les utilise à bon escient. Certains de nos produits sont aussi écologiques par leur fonction. Des pavés drainants, par exemple, qui laissent s’infiltrer les eaux de pluie. En outre, le béton est un produit complètement naturel, composé de sable, de gravier, d’eau et de ciment. Lorsqu’on fait le bilan carbone, on constate donc qu’il n’y a que la partie ciment qui détériore le bilan écologique. Mais il n’intervient que pour 8% dans le mélange complet. Or, comme la production se fait à froid, le produit en béton affiche une meilleure empreinte écologique qu’une brique en terre cuite, pour prendre un exemple. Notre producteur de ciment cherche d’ailleurs, lui aussi, à réaliser un produit plus écologique.»

Parcours
Un plan en béton
Eric Kluckers est arrivé de Belgique en 1997 et est actif chez Chaux de Contern depuis 15 ans, dont sept à la tête de la société.

Citoyen belge originaire de Saint-Vith, en région germanophone, Eric Kluckers (47 ans) est arrivé au Luxembourg en 1997. «Pour un nouveau défi et parce que mon épouse y habitait», explique-t-il. Il a d’abord travaillé comme directeur marketing pour le groupe Ciments luxembourgeois avec pour mission de gérer le nouveau centre d’excellence marketing. Mais, en 2000, il rejoint déjà Chaux de Contern, à l’époque une des sociétés du groupe, en tant que directeur commercial puis directeur adjoint. En 2008, suite au décès de l’ancien directeur, il prend le gouvernail de l’entreprise. Marié, père de deux enfants, il est aujourd’hui parfaitement intégré dans son pays d’accueil. Président du syndicat d’initiative de Wellenstein (Moselle luxembourgeoise), où il habite, il est aussi membre du club cycliste de Schengen et de la Fédération des jeunes entrepreneurs. Ses premières armes, c’est cependant en Belgique, dans le secteur du transport, qu’il les a faites. Après l’obtention d’un master en sciences économiques de HEC Liège (1989), il est engagé au sein de la société Ziegler. Il travaille d’abord depuis Bruxelles avant de rejoindre Ziegler Eupen. Là, il est chargé de mettre en place un service de livraison express 24 heures pour des pièces de rechange dans les domaines automobile, agricole et machines de construction sur l’ensemble du territoire belge. Lorsqu’il quitte la Belgique, il est marketing & sales manager de Ziegler Road Belgique et Luxembourg.