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Lorsque l'on retrace l'évolution incroyable de cette énorme machine cinématographique qu'est le complexe Utopolis de nos jours, c'est-à- dire un parc d'amusement se dirigeant de plus en plus vers le virtuel, on ne peut que rester ébahi. 

En vingt ans, deux petits ciné-clubs de rien du tout ont réussi à prendre en main la vie cinématographique de tout un pays, de redonner vie à ce qui semblait perdu à tout jamais (c'est à dire la cinéphilie), voire même de catapulter la consommation de films au rang du passe-temps favori des autochtones. Vingt ans pendant lesquels le squat dans une cinémathèque a été remplacé par deux vraies salles, qui firent très vite des petits sous leur même toit, et finirent par en rajouter d'autres dans le bunker que l'on connaît aujourd'hui.

Le vrai succès étant toujours très mal vu par rapport aux petites réussites, les critiques ne se firent pas attendre. On mettait même par moments les bouchées doubles, en traitant les compères engagés de "mafia". Pourtant, que serait le cinéma luxembourgeois sans eux, qui se dévouèrent corps et âmes à la survie des salles noires et à la conservation de pellicules en tous genres? Pour être honnête, et toutes proportions gardées, nous en serions sans doute au point zéro.

Néanmoins, comme les rumeurs ne se calment jamais totalement, que de nouveaux projets attendent leur réalisation dans l'année à venir, que la cotation en bourse frise le déclin alors que le chiffre d'affaires augmente de presque 50% en peu de temps, il fut temps de faire le point. Tout d'abord en allant voir le chef chantier de la redoutable "Utopia Mafia". Il faut avouer que malgré le stress qu'une expansion vers deux autres pays peut représenter avec la construction de miniplexes à Esch-Belval, Longwy, Turnhout, et sans doute à Diekirch, Nico Simon ne perd pas son calme serein. Tout du moins pas en notre présence. Il semble avoir une foi totale en l'avenir et dans le bon déroulement des choses, fort motivé par les conclusions de l'analyse effectuée sur les activités des salles Utopia-Utopolis, et dont les conclusions ne sont pas étrangères à notre collaborateur Carlo Schneider. Qui s'est amusé pour nous, en bon analyste financier qu'il est, à retracer dans une seconde partie les points forts concernant profil, analyse, et stratégie des diffuseurs d'images en mouvement.

Nous espérons avoir travaillé de façon complémentaire en vous livrant des faits chiffrés, accompagnés de propos explicatifs. Afin de faire taire certaines mauvaises langues qui se vautrent sur des détails sans importance, alors que tout vrai amateur de cinoche ne peut que se poser une question cruciale: que ferait-il de sa passion, si Utopia s.a. n'existait pas?

Après les années de vache maigre, dès qu'une entreprise commence à goûter au succès, elle constate que la plupart des sympathisants du début ont disparu pour prendre place dans les rangs des éternels accusateurs. Ainsi, votre équipe d'associés motivés s'est bien vite fait baptiser au nom d' "Utopia Mafia". Cette connotation péjorative se laisse certainement attribuer au fait que vous avez une position de monopole dans votre branche, et que bon nombre de vos actionnaires se retrouvent un peu dans toutes les cellules nationales ayant trait à la scène cinématographique. Aujourd'hui, avec le recul, comment voyez vous votre situation enviable? Plutôt comme une évolution saine, ou plutôt comme un cadeau empoisonné?

Nico Simon: Ni l'un, ni l'autre. Il faut tout simplement se dire que tout cela est ce qu'on appelle "une donnée du terrain'. L'envolée qu'a prise la vie cinématographique locale, a déjà connu ses prémisses dans les années soixante-dix. A l'époque, il existait une équipe qui avait décidé de consacrer sa vie au monde cinématographique. Celle-ci gravitait surtout autour du CinéClub 80. Tous ceux qui se sont rajoutés dans les années quatre vingt et quatre-vingt-dix, ont forcément été obligés d'une manière ou d'une autre de nouer contact avec les acteurs ou ex-acteurs de ce ciné-club.

Tout le monde se connaissait finalement, et ceux qui avaient décidé de devenir actifs, finirent tous par s'engager dans les différents organes de presse. Lorsqu'un jour il ne se fit plus rien au niveau de l'exploitation des salles, ils se regroupèrent pour prendre en main la survie. C'est comme cela que tous ceux qui ont commencé par écrire sur, se sont retrouvés dans le cinéma. Avec le recul, je peux dire que cela n'aurait pu se passer d'une autre manière. D'ailleurs je ne ressens pas cette hostilité dont vous parlez. Personne ne nous a tourné le dos, et ce que le Feierkrop a insinué à notre sujet est plutôt mignon (n.d.l. r.: il sort une plaque minéralogique avec l'inscription "mafia").

Pour le reste, c'est finalement pareil pour tout: plus vous levez la tête, plus vous avez de chances d' attraper des baffes. Comme je faisais déjà cela quand j'étais prof, je ne manque pas d'entraînement en la matière. C'est plutôt la philosophie des choses qui m'inquiète plus que les faits. Dans une société judéo-chrétienne, tout ce qui mène au succès est suspect, si ce succès n'est pas déjà acquis de façon traditionnelle depuis des générations. Ce sont plutôt les protestants (et surtout les américains) chez lesquels cela se passe de façon tout à fait opposée. Toutes leurs valeurs sont bâties sur le succès. Ce qui est encore plus surprenant, c'est de voir ceux qui se proclament les plus progressifs, avoir par moments les réactions les plus conservatrices.

Au sein de votre conseil d'administration, les décisions se prennent-elles le plus souvent de façon unanime, ou y a -t-il souvent désaccord, le succès croissant ne consolidant plus de la même façon la cellule d'idéalistes du départ?

N.S.: La chose est la suivante: la majorité de ceux qui étaient concernés il y a vingt ans, ne se retrouvent plus dans le lot, car beaucoup d'eux n'ont plus été à mêmes de participer. Il reste peut-être deux ou trois membres de l'ancienne équipe qui continuent aussi à rester des actifs professionnels dans le secteur, le reste ce sont plutôt des financiers. Les nostalgiques peuvent regretter l'amateurisme et la spontanéité des premières années. Mais le club est devenu une vraie société et les problèmes ne se règlent donc plus de la même façon. Mais les quelques uns qui sont restés, partagent encore les mêmes avis, défendent les mêmes principes, et veulent toujours montrer le même genre de films. D'ailleurs, si vous suivez bien le programme, vous constaterez qu'il y a plus de films cinéphiles à l'affiche de nos jours.

Pour en revenir à l'ambiance interne: depuis 1994, époque à laquelle nous avons commencé à travailler avec l'équipe actuelle, nous avons peut-être procédé au vote l'une ou l'autre fois, le reste du temps les décisions furent pratiquement prises à l'unanimité. Même si des discussions assez animées précédaient les décisions, mais une fois qu'elles furent prises, tout le monde fut d'accord. Même le conseil d'administration semble à chaque fois d'accord avec nos propositions, ce qui doit d'ailleurs aussi expliquer le succès de l'entreprise. Des associés, comme les gens de Luxempart, nous ont de notre côté beaucoup appris au niveau financier, et ont donc beaucoup contribué à la dynamique. Disons que tout le monde essaie de respecter les compétences de tout un chacun. La "success story" naît de là . Je dirais que le conseil actuel est le mix idéal pour trouver à chaque fois le consensus parfait.

Pourquoi avoir étendu votre réseau jusqu'en Flandre, surtout lorsqu'on constate que votre chiffre d'affaires se fait à 90 % dans le centre du Kirchberg? Est-ce dû à l'association avec Kinepolis, dont il s'agit aussi de respecter la volonté?

N.S.: Ce taux me semble suspect, peut-être est-il plutôt applicable à la globalité du pays. Pour la logique de la chose: si nous avons investi en Flandre, c'est parce que nous étions désireux de nous diversifier. Il est trop dangereux à long terme de ne se spécialiser que dans un domaine et d'agir sur un seul terrain. Il est aussi logique qu'une société ne se repose pas sur ses lauriers si elle désire évoluer.

Au Grand-Duché, une fois que nous aurons réalisé nos deux projets restants (Esch-Belval et Diekirch), il y aura saturation. Comme nous avons reçu une proposition de Flandre qui nous semblait intéressante, nous n'avons pas hésité. Car au niveau international, il est aussi plus facile d'acquérir notrotiété et crédibilité si l'on fait partie d'un groupe plus important. Il faut dire quand même que le projet de Flandre va réclamer pas mal de changements conceptuels, et au départ il y a eu et il y aura encore pas mal d'investissements avant exploitation. Ce qui explique aussi les chiffres tellement supérieurs de l'exploitation luxembourgeoise pour le moment.

Pour construire votre multiplex de 7 salles à Longwy, vous cédez vos parts (25%) dans Kinepolis Thionville. Etait-ce nécessaire à cause d'autres projets comme Esch-Belval, Diekirch ou Turnhout, ou le complexe thionvillois ne vous semble-t-il pas assez rentable?

N.S.: En ce qui concerne la relation avec Thionville, nous avons soudain réalisé que nous étions dans une situation beaucoup trop passive. Or nous désirons avoir de l'impact grâce à notre pouvoir de décision. Comme cela était totalement impossible dans cette situation, nous n'avions plus aucun intérêt à continuer. Mieux valait à ce moment-là retirer les fonds et les investir dans des projets propres.

Quelle est votre stratégie de développement? Est-elle effectivement basée sur des études révélant que le besoin cinématographique est plus grand dans des régions défavorisées? En d'autres termes, peut-on généraliser en disant que ce qui marchera à Belval marchera sûrement aussi à Longwy?

N.S.: Des études démontrent la même chose en nos frontières qu'à l'étranger. A savoir que de nos jours le taux de fréquentation est relié à la distance à parcourir jusqu'à la prochaine salle. Dès que l'on réduit la distance, le taux de fréquentation augmente. Il s'agit donc de créer une nouvelle clientèle dans les endroits à habitation forte, mais qui restent sans salle. Il est envisageable qu'après ouverture des complexes d'Esch nous perdions quelques clients à l'Utopolis. Mais cela produira aussi un désengorgement qui permettra de nouveau un peu plus de confort dans les salles du Kirchberg. Mais les clients que nous perdrons sont ceux qui ont formé le surplus que nous n'avions pas prévu au départ.

Et puis, il est plus ou moins certain que si nous perdons 100.000 personnes sur l'année d'un côté, ce sera pour en gagner au moins 250.000 de l'autre. D'ailleurs le site de Longwy constitue encore moins de danger à ce niveau, car il y a des différences culturelles et linguistiques qui éliminent la concurrence directe. Les francophones échangeront à la limite Esch contre Longwy. Thionville n'a d'ailleurs pas du tout influencé la fréquentation de nos salles, parce que les films sont synchronisés là-bas, alors que chez nous ils passent en version originale. Par contre, ce qui est sûr, c'est que Thionville et Longwy vont être concurrents.

Le fait que depuis votre introduction en bourse en décembre dernier les titres Utopia aient subi une baisse de 15.23%, vous affecte-t-il sensiblement alors que votre chiffre d'affaires a augmenté de 44% dans le premier semestre 2000?

N.S.: Cela prouve qu'il n'y a pas de lien direct entre l'effet en bourse et la fréquentation des salles. Nous ne sommes bien sûr pas fiers de cette perte de valeur. Mais il faut aussi dire clairement que notre entrée en bourse était prévue en premier lieu pour nous donner l'occasion de prélever des fonds pour l'acquisition de nouvelles salles. La cotation en bourse n'était pas prévue pour émoustiller ceux qui aiment jouer.

Il faut aussi savoir que certains de nos projets ne sont pas encore réalisés et que les actions sont susceptibles de re-prendre de la cote dés que les nouvelles salles seront exploitables. D'autant plus qu'il n'y a aucune raison de trop s'inquiéter, car avec une perte de 15%, nous nous situons finalement encore dans une norme honorable par rapport à d'autres acteurs boursiers. Mis à part cela, j'aurais bien sûr préféré que nous ayons augmenté de 15%. Nous avons toutefois toujours dit qu'il nous faudrait trois à quatre ans pour en faire un succès. Il s'agit donc de ne pas calculer à court terme, et de garder ses titres pour le moment.

La baisse s'explique soi-disant par le manque de parkings et le retard considérable qu'ont pris certains de vos projets. Ces problèmes semblant résolus, les actions devraient par conséquent remonter en flèche?

N.S.: Je ne pense pas du tout que le problème du parking ait été lié de quelque façon que ce soit à la chute boursière. Vous avez bien pu constater vous même qu'il n'a même pas affecté le taux des visiteurs. Tout ça, c'est du blabla spéculatif.

Une étude a révélé que le fait d'exploiter directement ou indirectement des bars et autres commerces situés dans les complexes vous rend moins vulnérables aux effets saisonniers. Cela voudrait-il sérieusement dire que les gens se rendent dans les complexes même lorsqu'ils se détournent de leur rôle premier de spectateur?

N.S.: Le concept de l'Utopolis était tout à fait nouveau dans ce sens que l'exploitant était en même temps propriétaire des lieux, et donc responsable de ce qui se passe autour. Par les loyers que nous encaissons, nous pouvons par exemple faire face aux périodes de vaches maigres. En contrepartie vous avez des exploitants allemands ou américains qui louaient des lieux à des prix exorbitants.

Ces frais étant fixes, les mois à faible fréquentation, comme en été, se révélaient être fatals pour eux. Nous n'avons jamais eu l'intention d'aller dans un centre commercial et d'y devenir une attraction parmi tant d'autres. Nous désirions un immeuble avec notre propre centre de loisirs. Cela aurait été trop facile d'attirer des gens dans un lieu pour que les autres commerces en profitent peut-être plus que nous. L'important pour nous à l'Utopolis est que le cinéma reste l'attraction numéro un, et que les gens y viennent d'abord pour voir un film. C'est un concept différent, et nous y tenons énormément.

Pensez-vous que votre succès est dû au moins partiellement à un effet de mode, ou au contraire êtes-vous persuadés d'avoir trouvé une niche de besoins permanent, tels les centres commerciaux?

N.S.: Il n'y a jamais de certitude à 100%. Mais les dernières années ont démontré que la fréquentation du cinéma aussi bien que d'autres loisirs dépendent de l'offre. Celle-ci crée les loisirs. Ce n'est donc pas un effet de mode, bien qu'il s'agisse pour l'exploitant de tenir compte de tous les courants possibles que la mode suscite. Car le cinéma est tout à fait différent de ce qu'il était il y a vingt ans, et dans vingt ans, il est fort à parier que tout aura à nouveau changé. Le challenge pour les dix ans à venir sera surtout de tenir compte du centre de loisirs comme lieu interactif et électronique. Fini la nostalgie, ou alors il n'y aura plus d'évolution. Même si l'offre est beaucoup plus révélatrice, cela ne veut pas dire par ailleurs qu'il faut évincer tout à fait la demande. Car même si elle est plus infime, il faut rester à l'écoute de ceux qui la formulent.

Au niveau programmation, si la commercialisation fera régresser de plus en plus la consommation de cinéma de qualité, celui-ci disparaîtra-t-il totalement des écrans, ou essayerez-vous d'éviter le nivellement vers le bas?

N.S.: Il faut tout faire pour éviter le nivellement vers le bas, car commercialement parlant, le film pour cinéphiles a toujours et encore son marché. Donc, si nous ne voulons pas perdre cette partie du public, il faut à tout prix continuer. Tout comme il faut faire des efforts pour ne pas perdre de l'autre côté celui qu'on désignera comme spectateur de province. Il y a aussi les spectateurs qui sont ouverts à plusieurs genres. S'ils sont une cible pour un cinéma commercial de qualité aussi bien que pour un cinéma plus intellectualisant, nous courons le risque de le perdre si notre offre ne tient plus compte de l'un des deux genres.

Dans certains pays ils se sont trop laissés aller, et ils ont ainsi tué une certaine clientèle pour ne plus garder que le spectateur "burger king". Lorsqu'on développe une stratégie à long terme, il ne s'agit pas d'éliminer un genre trop vite lors d'une période un peu plus néfaste. N'oubliez pas que le cinéma américain était à une certaine époque des années soixante-dix, tout d'un coup, totalement hors mode. Qui sait de quoi sera fait demain' Qui nous dit que la nullité artistique du cinéma américain ne l'aura pas tué d'ici vingt ans, s'il ne se réadapte pas lui-même. A force de voir la même chose, les spectateurs se fatiguent et se lassent. Voilà pourquoi chaque exploitant devrait veiller à diversifier sa programmation autant que possible, et à mettre aussi le cinéma d'autres cultures à l'honneur.

Un autre secteur de vos activités est l'organisation d'événements et réceptions. Ne considérez-vous pas que ce domaine est un peu à la traîne par rapport à vos ambitions, en se limitant par exemple à organiser des avant-premières la veille des sorties officielles?

N.S.: Sur ce point, je vous donne entièrement raison. Il est vrai que nous devons développer ce secteur, et d'ailleurs nous allons devenir beaucoup plus conceptuels à ce sujet dans les mois, voire les années à venir.

La guerre du diktat avec les distributeurs belges est-elle moins grave depuis que vous pouvez aussi avoir recours à des copies venant de France ou d'Allemagne?

N.S.: Cela dépend beaucoup des films et de l'importance que nous leur donnons de façon ponctuelle. Si par exemple nous n'avons pas la place sur nos écrans pour placer un film simultanément avec sa sortie bruxelloise, le distributeur va tirer une copie en moins. A ce moment là, il faudra attendre que la copie bruxelloise se libère pour atterrir sur nos écrans. Ce qui, en cas de succès belge, pourra durer un certain temps.

Il est donc logique que nous soyons mis sur la liste d'attente, du moment que nous ne pouvons accepter la livraison immédiate des copies.

Comment se fait-il qu'un chef d'oeuvre comme "Man on the Moon' soit programmé dans les salles de Caramba sans se retrouver sur vos écrans? Un manque de volonté de coordination, ou un vrai procès d'intention'

N.S.: Il s'agit là d'une raison acadabrante, trop longue et difficile à expliquer. Sachez seulement que parfois, pour des raisons mystérieuses, les droits des films pour le Luxembourg se retrouvent parfois, allez savoir pourquoi, chez des distributeurs allemands au lieu des belges, que ceux-ci ne sont simplement intéressés qu'à une exploitation vidéo, et que, pour mettre une cerise sur le gâteau, il y ait en plus de cela des intermédiaires de la distribution que l'on appelle des ayant droits. Dès qu'une machinerie pareille se met en route, il arrive que vous vous retrouviez dans une solution tellement stupide que vous stoppez les frais. D'autant plus, que si l'on vous propose à ce moment là une version synchronisée en allemand, le deal se voit vite confronté au mot "Fin', car vous le savez bien, chez nous, on ne montre que des versions originales. (NDLR: vous aurez donc pu le constater rien qu'à cette dernière réponse: quoi qu'on dise d'eux, puristes ils étaient, puristes ils sont, puristes ils restent. En mettant juste autant d'eau dans leur vin, pour qu'il soit comestible par tout le monde sans saouler personne).

Annexe: Dream Factory

Les apparences sont trompeuses: Utopia S.A. n'est pas un exploitant de cinémas ni un vendeur de popcorn. Utopia est un fournisseur de divertissement, un facilitateur de rêves. Portrait d'une société que beaucoup croisent mais que très peu connaissent. (par Carlo Schneider,  analyste financier auprès de Foyer Asset Management).

Créé en 1983 par une poignée de cinéphiles dans un vieux garage, Utopia S.A. est l'exemple type d'une société qui s'est développée presque contre son gré. Cotée en bourse depuis fin 1999, la société exploite aujourd'hui sept cinémas/ multiplexes, dont quatre au Luxembourg avec son vaisseau amiral l'Utopolis au Kirchberg. Elle exerce un de facto monopole au Luxembourg et est le numéro trois sur le marché belgo-luxembourgeois (avec 8% de parts de marché).

Et ce n'est pas fini : actuellement, la société prépare la construction de trois nouveaux miniplexes, à Esch-sur-Alzette, Longwy (F) et Turnhout (B), qui seront opérationnels au plus tard en 2002. D'autres projets sont à l'étude.

Le dynamisme d'Utopia S.A. s'affiche aussi au niveau du nombre de tickets vendus, qui restent le principal paramètre de détermination du chiffre d'affaires. Au cours du premier semestre de cette année, Utopia a enregistré 666.000 entrées pour ses salles luxembourgeoises (ce qui équivaut à une hausse de 11% en moyenne annuelle) et 363 000 entrées en Belgique (en hausse de 18%). Si les entrées de cinéma représentent plus de deux tiers des recettes brutes, le succès de l'Utopia s'explique surtout par l'élargissement des activités de la société: Utopia S.A. n'est plus un simple projecteur de films. La société exploite des complexes multi-fonctionnels qui proposent une offre complète en matière de divertissement. En misant sur une approche plus globale et plus complète, le management d'Utopia a créé de vrais dream factories.

En effet, le concept des multiplexes version Utopia se base sur la prise de conscience de la dimension sociale d'une visite de cinéma. Restaurants, bistros, magasins de produits multimédias et salles de jeux s'ajoutent au confort personnel supérieur et l'équipement technique de pointe à l'intérieur des salles de cinéma. L'idée est aussi simple que performante: exploiter une chaîne de valeur plus complète au niveau de l'industrie des loisirs, et par ce fait devenir moins dépendant à l'égard des recettes de cinéma, qui elles sont soumises à des facteurs externes et donc incontrôlables comme la qualité des films disponibles et les conditions météorologiques.

Facteur secondaire mais pas moins négligeable : en installant des restaurants à l'intérieur des enceintes de cinéma, Utopia a réussi de diversifier le profil de ses clients. Si les jeunes et adolescents aux budgets plutôt réduits constituent toujours la majeure partie de la clientèle, l'exploitation de multi- et miniplexes intégrés (la différenciation se fait au niveau du nombre de salles et de fauteuils) attire aussi, de plus en plus, un public adulte plus varié et plus liquide. à ne pas oublier que la société poursuit une politique de programmation complémentaire à travers ses différents cinémas. Si le cinéma grand-public reste une véritable vache à lait, le cinéma de programmation attire un nombre non moins considérable d'amateurs de films.

Face à la mégalomanie des grands acteurs européens (Kinepolis, Cinemaxx, Gaumont, UGC) qui sont entrain de mener une bataille sanglante dans les grandes villes européennes, Utopia poursuit une politique de niche en visant prioritairement des agglomérations de moyenne et petite taille. Cette politique se confirme actuellement autour des trois cinémas belges exploités à Malines, Aarschot et Lommel et sera poursuivie à travers les projets de Turnhout, Longwy et Esch-sur-Alzette.

Se situant dans la moyenne européenne en termes de nombre de résidents par écran (20 000 pour le Luxembourg et 21 400 pour la Belgique), ces régions privilégiées par Utopia permettent encore un développement d'activité de cinéma de proximité moderne. Ceci est confirmé par différentes études internationales prouvant que, nonobstant le développement technologique qui se traduit par les nouvelles possibilités de diffusion de films à travers la digitalisation de la télévision, l'accès Internet à bande large et la banalisation des systèmes de sonorisation, le cinéma n'a rien perdu de son attrait, bien au contraire. Le nombre de visiteurs ne cesse d'augmenter depuis le milieu des années 90 et ceci partout en Europe. Utopia - donc une success story totale?

Ceux qui ont souscrit des actions de la société dans le cadre de son introduction en bourse en décembre 1999 ne seraient très certainement pas d'accord avec cette affirmation. Le cours de l'action se situe effectivement en dessous du prix d'émission, avec un cours moyen de 45 à 46 Euros pendant les dernières semaines. Les explications possibles sont multiples: retard dans la réalisation des projets annoncés lors de l'introduction en bourse, mauvaise presse autour du problème de stationnement des voitures à l'Utopolis au Kirchberg, problème d'ailleurs résolu depuis quelques semaines et manque de liquidité du titre d'une société qui, il est vrai doit être considerée à l'échelle internationale comme ce que les analystes financiers et investisseurs institutionnels appellent une micro-cap (très petite capitalisation).

Il n'en demeure pas moins vrai que la société affiche un développement remarquable, qui se traduit non seulement par une croissance regulière du chiffre d'affaires, mais aussi par le fait qu'elle réalise depuis des années des bénéfices, contrairement à de nombreuses sociétés dotcom. Et puis, il suffit de regarder les performances de centaines de vedettes boursières de la nouvelle économie depuis mars dernier pour apprécier à sa juste valeur l'évolution du cours de l'action Utopia!