Sur le papier, la culture in vitro est séduisante: pas d’abattage de bêtes, davantage de terres cultivables, de la viande pour les 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050.  (Photo: Fotolia / Dmytro Sukharevskyi)

Sur le papier, la culture in vitro est séduisante: pas d’abattage de bêtes, davantage de terres cultivables, de la viande pour les 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050.  (Photo: Fotolia / Dmytro Sukharevskyi)

«Pour un steak tartare, prenez un amas de cellules musculaires et laissez-les se multiplier dans des boîtes de Petri où vous avez déposé un milieu de culture riche contenant notamment des hormones, des facteurs de croissance et du sérum de veau fœtal. Ajoutez des antibiotiques et fongicides. Maintenez la température à 37°C.» Cette drôle de recette est signée Jean-François Hocquette, directeur de recherche à L’Inra, premier institut de recherche agronomique en Europe, qui a notamment coordonné la publication scientifique internationale «La viande in vitro est-elle une solution d’avenir?».

Cinq années d’expérimentations

La première dégustation de viande cultivée en labo remonte à 2013, quand le professeur Mark Post et son équipe de l’université de Maastricht avaient réussi à fabriquer trois steaks hachés de 140g. Si les goûteurs étaient visiblement indulgents quant au résultat, Jean-François Hocquette admet qu’«on est encore loin d’un vrai muscle, qui mêle des fibres organisées, des vaisseaux sanguins, des nerfs, du tissu conjonctif et des cellules adipeuses. Le premier steak in vitro a été assaisonné avec de nombreux ingrédients pour se rapprocher du goût de la viande».

Depuis, les expérimentations se sont multipliées aux quatre coins de la planète. Dans la Silicon Valley, Memphis Meats a ainsi produit sa première boulette à base de cellules musculaires animales début 2016. Ont suivi des morceaux de poulet et du canard, eux aussi «in vitro», en mars 2017. Des essais qui ont convaincu Bill Gates, Richard Branson, le fondateur de Virgin, et Jack Welch, ancien PDG de General Motors, d’investir dans la start-up. On évoquait alors le lancement de produits commerciaux pour 2020 au mieux.

Et puis, surprise, tout récemment, un autre acteur de la viande de labo, Just (ex-Hampton Creek) a annoncé que ses produits seraient en rayons avant fin 2018! Une date jugée optimiste par certains spécialistes qui notent qu’à ce stade, personne n’a mordu dans ce produit, qui serait d’ailleurs encore impropre à la consommation, mais qui reflète une avancée majeure: Just aurait trouvé la solution miracle pour réduire drastiquement les coûts.

Une viande à 5.000€ le kilo

En 2013, le steak issu du labo de recherche hollandais frôlait en effet les 290.000€. Le kilo de boulettes de Memphis Meats revenait encore à 5.000 dollars il y a deux ans. Un coût de production très élevé dû à la prolifération des cellules, qui impose l’utilisation de sérums issus de sang animal, très onéreux. Par quel subterfuge Just réussit-elle à s’en passer? Mystère, le secret reste bien gardé. Pour gagner l’adhésion des consommateurs, cette viande qu’on dit parfois «propre» («clean meat») aurait tout intérêt à jouer la transparence et à se passer de l’utilisation de sérum de fœtus de veau.

Les résidus des molécules de synthèse utilisées pour la culture se retrouveraient dans les eaux usées des usines.

Jean-François Hocquette, directeur de recherche à L’Inra

Mais laissons de côté les papilles délicates et nos préjugés. Sur le papier, la culture in vitro est séduisante: pas d’abattage de bêtes, davantage de terres cultivables, de la viande pour les 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050. L’impact bénéfique sur l’environnement reste toutefois à démontrer. Si les défenseurs de la «viande propre» estiment qu’elle utiliserait à peine 1% de la terre et 10% de l’eau nécessaires à l’élevage traditionnel, Jean-François Hocquette est plus mesuré. «Différentes estimations n’accordent à ce procédé qu’un impact modéré pour réduire les gaz à effet de serre et la pollution par les nitrates, et un intérêt limité quant à l’utilisation des énergies fossiles, voire très limité pour l’économie en eau. De plus, les résidus des molécules de synthèse utilisées pour la culture se retrouveraient dans les eaux usées des usines», explique-t-il. Au final, il reviendra aux consommateurs de trancher en achetant ou non la viande in vitro.