« De plus en plus  de structures  fonctionnent ici  dans un cadre groupe défini ailleurs. »  (Photo : Jessica Theis)

« De plus en plus de structures fonctionnent ici dans un cadre groupe défini ailleurs. »  (Photo : Jessica Theis)

Monsieur Brandt, quel est votre rôle au sein de Swiss Life ?

« C’est un rôle classique de DRH moderne, qui se positionne, au-delà du ‘chef du personnel’ administratif, en partenaire du ‘business’. Parmi les différentes responsabilités, il y a bien sûr le recrutement et la rétention des collaborateurs compétents. J’ai toutefois envie de dire que, d’une certaine manière, c’est la partie la plus facile. Ce qui est plus complexe, c’est de réussir à créer l’environnement de travail qui permet aux collaborateurs de réellement s’engager, de donner le ‘petit plus’ qui les rendra plus performants. Pour qu’une entreprise réussisse à progresser sur le moyen et le long terme, c’est le facteur qui fera la différence. Je crois par ailleurs que les ressources humaines doivent être la fonction qui apporte la vision long terme, pour aider à voir plus loin que les impératifs commerciaux ou financiers. Swiss Life au Luxembourg, c’est une petite centaine de personnes. Chaque individu arrive avec son expertise, ses compétences, ses valeurs, mais tout cela ne vaut pas grand-chose si les gens ne sont pas correctement motivés. Or c’est cette implication qui fait la différence avec la concurrence. Il faut également faire attention à la dimension collective de la performance et de cet engagement. On a parfois trop tendance à centrer son attention sur l’individu, plutôt que sur les dynamiques de groupe et sur les complémentarités dans les équipes.

Comment créer cet environnement favorable ?

« Il faut le penser de manière large. Il faut travailler à créer une vision de l’entreprise, et à la compréhension du rôle de chacun, à titre individuel et à titre collectif. Bien entendu, il y a les parties plus concrètes, comme la rémunération, les formations, le développement personnel ou les conditions de travail. Par exemple, nous avons proposé cette année des formations pour aider nos collaborateurs à mieux comprendre, et donc mieux gérer, leur stress, sans le répercuter sur les autres. Au-delà, la responsabilité ultime d’un DRH est de créer les conditions qui permettront à l’entreprise d’atteindre ses objectifs. Pour ce faire, il faut travailler sur l’organisation, aligner les processus et pratiques sur les objectifs de l’entreprise. C’est plutôt complexe, d’autant que l’environnement nous demande de fonctionner dans un cadre strict de contrôle des coûts. Les métiers demandent toujours beaucoup, toujours plus. Il faut donc aider les gens à concentrer leur énergie sur leurs véritables missions, pour aller dans la bonne direction. Par exemple, au moment de la définition des objectifs annuels, il ne faut pas s’éparpiller. Ils doivent être en ligne avec le rôle de chacun, et la stratégie de l’entreprise. Nous avons des moyens limités, il faut les concentrer correctement, là où l’on peut faire la différence.

À côté de cet aspect classique, je suis aussi attaché à d’autres projets, comme ‘Rock against cancer’. Il se trouve que nous avons dans l’équipe deux chanteurs, dans des groupes locaux – et qui fonctionnent plutôt bien. Nous avons travaillé avec la Fondation Cancer, pour organiser, le 1er mars 2013, un concert à la Rockhal… avec des ‘groupes Swiss Life’. En tant que RH, nous aidons et soutenons l’initiative, mais j’ai fait attention à ce qu’aucun membre de la direction ne soit ‘impliqué’ dans le projet. C’est l’occasion pour les collaborateurs de mener le projet à bien, ensemble, en brisant les limites traditionnelles des différents services. Cela créé de la cohésion, et donne la preuve que notre entreprise a une vision de son environnement, qui dépasse sa simple mission économique. C’est aux RH de mener des actions de ce type… 

Le fait d’être une filiale d’un groupe international a-t-il des conséquences ?

« Il faut comprendre la structure du groupe. Nous faisons partie de la division internationale de Swiss Life. Ce qui nous caractérise par rapport à d’autres entités du groupe, en France ou en Allemagne, par exemple, c’est que nous travaillons ‘hors des frontières’ du Luxembourg, et non pas uniquement pour le marché grand-ducal. Pour simplifier, notre marché, c’est le Luxembourg, mais aussi toute l’Europe et le Moyen-Orient. Nous y fournissons des solutions de pension et d’assurance de groupe. Du côté des clients privés, nous offrons des solutions dédiées à une clientèle fortunée. Nous faisons partie d’un tout dans lequel nous devons nous inscrire : la division internationale pense sa stratégie comme une seule entreprise virtuelle. Avant d’arriver ici, je travaillais dans une banque à fort ancrage luxembourgeois, avec un management local qui, à l’époque du moins, bénéficiait d’une forte autonomie de décision. Ici, toutes les décisions ne sont pas forcément locales… Je pense d’ailleurs que nous sommes assez représentatifs d’un nombre croissant de structures dans le pays, qui fonctionnent en devant respecter un cadre ‘groupe’ défini au-delà de nos frontières. Pour en revenir à votre question, j’ai en fait un double reporting à faire. Le premier à destination du CEO de Luxembourg, et le second vis-à-vis du DRH de
la division internationale. Mon rôle est de mettre en œuvre des décisions globales, en les adaptant aux pratiques, aux modes de travail, à la mentalité et la législation luxembourgeoises.

Il arrive qu’il y ait des différences réelles avec la Suisse. Cet aspect international peut, de temps en temps, effectivement, créer des défis qu’il faut gérer. En fait, du point de vue purement luxembourgeois, je fais partie du senior management. Du point de vue du groupe, je fais partie du middle management. Je suis comme
un rouage qui doit faire deux choses : tenter d’influencer les décisions avant qu’elles ne soient prises, pour qu’elles respectent aussi notre situation particulière ; et,une fois les décisions prises, je dois m’assurer de leur mise en œuvre et de l’adhésion des équipes, même lorsque ces décisions peuvent sembler nous
être défavorables.

La gestion du groupe est donc très centralisée ?

« Oui et non. Il y a des mouvements de balancier dans les méthodes de management. Il y a six ans, les filiales avaient une très grande autonomie. Le groupe a alors décidé de les centraliser, et donc, indirectement, de déposséder le management local d’une partie de son pouvoir et de ses responsabilités. Pour simplifier, la plupart des choses se faisaient en rapportant directement à Zurich. Du point de vue RH, la conséquence a été un désengagement assez fort du management, lié à un sentiment d’impuissance. Certaines personnes sont parties, d’autres sont restées, avec une motivation en berne, à l’effet en cascade sur les équipes. Nous nous en sommes rendu compte et, depuis 18 mois, le mouvement est reparti dans l’autre sens, en redonnant au management local plus d’importance. Autrement dit, si la stratégie est encore globale, la mise en œuvre est à nouveau dans les mains des équipes qui sont proches des clients et des partenaires.

Swiss Life est une entreprise dynamique, en mouvement permanent. Notre organisation évolue, nos produits évoluent, nos métiers évoluent, nous lançons de nouvelles initiatives en permanence. Les législateurs, d’ailleurs, nous y poussent, en changeant régulièrement les règles nationales. Ceci dit, concrètement,
la croissance est forte. Il y a cinq ans nous étions 50, aujourd’hui nous sommes plus de 90, notre bénéfice a plus que triplé, et notre chiffre d’affaires a été multiplié par cinq.

Avec un environnement très mouvant, vous devez malgré tout être attentif au moment de recruter…

« Dans les entretiens, pour le dire de manière un peu caricaturale, on essaie toujours de mesurer la ‘flexibilité mentale’ des candidats. Quelqu’un qui souhaite travailler dans un environnement stable, avec un travail récurrent et répétitif, ne se sentira pas bien chez nous. Il faut être prêt à changer de service, de poste, de marché, bref à avoir un rôle qui évolue… et donc nous cherchons des personnes qui peuvent vivre cela de manière positive. Pour faciliter les choses, nous passons beaucoup de temps en interne à expliquer ce que l’on fait, et pourquoi, même de manière informelle, au moment du déjeuner, ou pendant des pauses. Je sais qu’il y a de grandes théories sur le ‘change management’, mais je pense qu’en fait l’essentiel se fait au jour le jour, ce qui d’ailleurs souligne à nouveau l’importance du management local et de sa capacité à expliquer les décisions. 

Comment travaillez-vous sur la maîtrise des coûts ? Entre les salaires élevés et l’index…

« Il ne faut pas oublier une chose : Swiss Life est une entreprise suisse. Et la Suisse est un pays où le cadre des rémunérations est également plutôt élevé. Donc, par rapport à d’autres entreprises qui auraient une maison mère dans d’autres pays, nous sommes un peu plus gâtés et il n’y a pas le même degré de distorsion à expliquer. De plus, tout le monde a conscience du fait que, pour attirer et garder les bonnes compétences au sein de l’entreprise, la rémunération est un critère important. Pour ce qui est de la réduction des coûts, il faut trouver d’autres manières de faire. Il faut chercher des solutions qui permettent d’optimiser la satisfaction des collaborateurs
à des coûts raisonnables. Un certain nombre d’avantages extra-légaux permettent d’aller dans ce sens : les véhicules de leasing en sont un exemple, le régime complémentaire de retraite aussi. Il faut aussi avouer que les systèmes d’aide à la formation professionnelle continue, gérés par l’INFPC, sont un grand soutien pour nous.

Enfin, l’entreprise a une tradition d’attention portée aux coûts. Nous n’avons jamais vécu dans le luxe et avons toujours été prudents au niveau de nos dépenses. Cela fait partie de notre culture. Ainsi, malgré notre croissance, nous n’avons jamais choisi de ‘trop’ embaucher. Il n’y a pas de ‘gras’ à supprimer. Je prends un exemple : en Italie, des décisions du gouvernement risquent de compromettre une partie de notre activité sur ce territoire… et donc d’impacter nos équipes en charge, ici, au Luxembourg. Dès que l’on a appris la nouvelle, nous les avons rassurées, en leur disant que si jamais le marché italien devait se contracter, ils ne devaient pas s’inquiéter : nous aurions de quoi les occuper, en les redéployant sur d’autres postes. Cela ne veut pas dire que nous n’avons jamais dû nous séparer de quelques personnes, que ce soit pour des raisons économiques ou de performance, mais cela veut dire que nous voulons respecter le contrat social. Il est par exemple hors de question de remettre en cause notre convention collective. Par contre, il est question de s’assurer que notre politique RH soit en ligne avec les objectifs financiers de la société. Pas pour faire plaisir au CFO, mais pour limiter les risques économiques, tout en apportant le maximum de satisfaction et de sécurité à nos employés, comme aux clients. »  

 

Parcours - Praticien
Âgé de bientôt 42 ans, David Brandt est ingénieur commercial, diplômé de l’ICHEC à Bruxelles. Il a également obtenu un Master en strategic HR management à la Rotterdam School of Management. Il commence sa carrière en tant que commercial dans une société informatique, avant de rejoindre la Banque de Luxembourg, en tant qu’auditeur interne. Il y deviendra par la suite responsable des services Back office du département RH et adjoint du DRH. Il rejoint Swiss Life il y a six ans :
« Je ne suis pas seulement un théoricien des RH, mais un praticien. Si les membres de mon équipe sont les ‘employees champions’, mon rôle à moi est d’assurer le dialogue avec le top management, la maison mère et le milieu RH à Luxembourg – je suis notamment administrateur du POG. Mes collègues assurent le fonctionnement au jour le jour du département. Mon rôle est de compléter leur travail en coordonnant les processus, projets et tâches qui sortent du quotidien, comme la préparation et le suivi des budgets. »