David Arendt (Cargolux) (Photo: David Laurent/Wide)

David Arendt (Cargolux) (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Arendt, pouvez-vous donner quelques éléments-clés qui démontrent l’importance stratégique de Cargolux?

«Cargolux Airlines International se trouve dans un créneau très spécifique, par nature international et cyclique. Notre métier, notre envergure européenne, nous donnent aussi une importance stratégique pour le Luxembourg, dont l’économie, très liée à la place financière, risquerait de souffrir d’un manque de diversification. Cargolux est, évidemment, un gros porteur d’emplois. Environ 1.100 emplois directs à Luxembourg et quelque 4.000 emplois indirects, induits par notre activité logistique, dans des profils très variés.

Notre société est un ensemble en mouvement, qui s’est structuré et réorganisé. A côté de l’activité principale, il y a par exemple CCS, issue en fait de notre ancien département informatique, en partie outsourcé, dont nous détenons 49%. Freight Air Leasing gère notre parc d’avions. LuxFuel assure, en partenariat avec Luxair et la société allemande Skytanking, les activités très spécifiques de stockage et de ravitaillement en carburant. Cargolux Ré est notre réassureur. Et puis nous avons créé, en 2009, Cargolux Italia, qui nous permet d’opérer au départ de Milan, un hub important sur le marché européen. Tout cela nous permet de couvrir l’ensemble des besoins et des missions, pour le fret aérien et la maintenance des appareils, y compris pour le compte de tiers.

Le CFO peut-il donner quelques chiffres et tendances?

«Notre chiffre d’affaires a connu, en 2009, une chute vertigineuse, de l’ordre de 30%. En 2010, la tendance est nettement meilleure. En juillet 2010, le chiffre d’affaires a crû de 50% par rapport à juillet 2009. Et le chiffre d’affaires des sept premiers mois fait 40% de mieux que l’année précédente sur la même période. On peut estimer que le chiffre d’affaires de 2010 va se situer aux alentours de 1,7 milliard de dollars.

Comment analysez-vous ces variations? Sont-elles liées à la crise?

«Il y a eu, très clairement, les effets de la crise internationale. Nous avons été très gravement touchés, en subissant une perte historique de l’ordre de 150 millions, et ce, alors que la dernière perte sèche de l’entreprise remontait à 1982. On s’en sort finalement sans trop de casse, grâce aux bons résultats précédents. Nous avons été bien soutenus par les actionnaires, notamment l’Etat, les banques…

Et puis maintenant, on repart à la hausse. Et, soit dit en passant, c’est plutôt un signe favorable. Nous sommes en aval de l’activité économique, en bout de chaîne. Si la demande faiblit et que l’on produit moins, nous sommes les premiers à sentir les effets négatifs. Par contre, dès la phase de redécollage économique, on est sollicité. Le fret est un assez bon baromètre…

Quelle évolution financière a été la plus marquante?

«C’est un fait, les affaires deviennent de plus en plus complexes… Luxembourg est une place internationale, mais il y a aussi des règles locales. Nous avons vécu un véritable chambardement comptable, en adoptant les normes IFRS. A l’origine, elles étaient destinées uniquement aux sociétés cotées en Bourse. Cargolux ne l’est pas, même s’il y a eu un plan en ce sens, auquel nous avons renoncé en 2001, avec le krach et l’éclatement de la bulle Internet. Cela dit, nous pouvions passer sous la comptabilité IFRS moyennant dérogation. Nous étions les premiers je pense, au Luxembourg, à le demander, en 2006. Parce que nos partenaires sont pour la plupart cotés et parce que nos partenaires financiers doivent avoir les mêmes critères de référence que nous. En clair, il fallait que l’on parle le même langage comptable…

Chaque changement est-il une source de soucis?

«Les obligations réglementaires peuvent avoir des impacts énormes. Je pense à la comptabilisation de la dépréciation des actifs ou des produits dérivés, qui induit une protection contre les flux et variations du marché… Rien n’est sans conséquence et c’est une gymnastique permanente à laquelle on est astreint. Il faut évaluer toutes les éventuelles répercussions financières de chaque décision. Il faut donc avoir tous les éléments en main: suivre l’évolution des OTC, surveiller de près les marchés boursiers, les variations de taux.

Aux Etats-Unis, comme en Europe, la tendance est à négocier les garanties via des produits cotés en Bourse uniquement, et non plus de gré à gré dans une perspective de partenariat commercial. Le revers de la médaille est que les entreprises se retrouvent dans l’obligation de mettre du cash en gage. Or les taux sont volatils, le risque est présent et on ne peut pas se permettre de perdre de l’autonomie financière. Il faut protéger cela. Et nous résistons, avec l’Atel (Association des trésoriers des entreprises luxembourgeoises, ndlr.) contre ces obligations-là qui nous font courir un tel risque…

La façon de travailler du CFO a-t-elle changé aussi?

«Elle induit une information permanente, en temps réel. Je lis la presse internationale spécialisée de façon quotidienne. Il faut mener une veille de chaque instant, consulter les marchés. Je participe aussi à des formations et des séminaires très spécifiques. La gestion des risques est vitale. Il faut avoir l’appui de toute une équipe, des auditeurs externes qui sont sur la balle, une garde rapprochée multidisciplinaire, dans les domaines les plus pointus de la comptabilité, des finances, des aspects juridiques. Et il ne faut jamais perdre de vue les fondamentaux: le CFO a pour premier devoir de protéger les actifs, contre vents et marées.
Les dossiers ont des contours de plus en plus complexes et stratégiques, avec des implications économiques et politiques. Des tendances, comme l’outsourcing, sont inévitables et à gérer de façon à la fois efficace et socialement acceptable. Il y a un besoin accru de souplesse, de réactivité, qui implique un rythme de travail intense. Durant la vague de crise, il n’était pas question de rester simplement assis en attendant que ça passe!

Ce métier voit s’élargir la palette des domaines d’activité et de compétences requises, en comptabilité analytique, en macroéconomie, en ingénierie financière, en gestion courante, en informatique… Bref, il faut mettre tous les atouts de son côté pour être capable de capturer, en permanence, l’image de la santé de l’entreprise, et pour la projeter sur un horizon mesuré. Ce qui a changé aussi, ce sont les relations entre le CFO et le CEO. Nous sommes ici dans une logique de partenariat plutôt que dans une approche hiérarchique, plus horizontale que verticale. A l’intérieur de l’executive committee, toute décision stratégique est collégiale

Le Luxembourg a-t-il un contexte particulier pour un CFO?

«Bien évidemment. Ici, la plupart des sociétés ne sont pas cotées. Mais il y a une présence de l’Etat qui reste forte, directement ou indirectement, via l’actionnariat public, la participation de la SNCI, etc. En outre, nous avons, ici, un accès plus difficile à un vivier de collaborateurs aux compétences spécifiques. Je trouve plus facilement des spécialistes à Londres, Francfort ou Paris. Au Luxembourg, il y a une grosse pression sur le marché de l’emploi de profils pointus, sans parler de la concurrence de la fonction publique… Et puis surtout, les décisions de gros crédit ne sont plus prises à Luxembourg depuis longtemps. Nos interlocuteurs sont ici mais les centres de décision sont à Amsterdam, à Londres, aux Etats-Unis… C’est une difficulté.

Pour sortir de la crise par exemple?

«Il faut gérer l’après-crise, avec nos qualités et nos handicaps. Luxembourg n’est pas l’idéal, dans l’absolu, comme base pour une activité comme la nôtre. L’aéroport est près de la ville, nos activités dérangent, par le bruit, la pollution, le charroi engendré. Il y a un couvre-feu; or chaque vol qui ne se fait pas la nuit est une perte de temps et de rentabilité. Nous devons aller vers de gros clients et éviter de gros concurrents, à Francfort ou Milan. C’est pour cela que nous avons pris pied dans le nord de l’Italie d’ailleurs. Et puis il y a les coûts salariaux…

Le débat sur l’indexation? 

«Oui! Nous avons préparé des simulations. Nous sommes partis des contrats collectifs actuels, sans variation de base, et nous avons projeté l’évolution des coûts sur la période 2011-2017, liée à une indexation maintenue. Sans augmentation de personnel, on passe de l’indice 100 à 134,25. En prenant l’hypothèse d’une augmentation de la flotte, et donc du personnel, on passe à 145,28. Et on parle en millions d’euros sur la masse salariale. On a calculé que, pour récupérer en amont l’augmentation linéaire des coûts salariaux, il faudrait que chaque kilo de fret transporté rapporte 0,10 euro en plus. Rapporté en tonnes et en centaines de tonnes, cela fait des différences énormes. Répercuter sur le client, c’est prendre des risques de compétitivité sur un marché concurrentiel… Le débat sur l’indexation n’est donc pas que politique. Il faut pouvoir gérer un modèle à long terme…»

 

 

 

CV
Une riche carrière internationale

 

David Arendt, directeur financier et vice-président de Cargolux, a d’abord mené une carrière internationale.
Juriste diplômé du King’s College, London University et de la New York University School of Law, il a été avocat à Luxembourg (Arendt et Medernach) puis au barreau de New York, au sein de cabinets d’avocats d’affaires (Shearman & Sterling, Debevoise & Plimpton) et à Paris.
Il a ensuite été recruté par la banque d’affaires Merrill Lynch, pour laquelle il a travaillé à New York, à Londres et à Paris, en en devenant le vice-président. A l’époque, un de ses gros clients était l’Arbed (pas encore Arcelor, encore moins ArcelorMittal) qui, au sortir d’une passe difficile, a été orientée vers le marché des capitaux...
Fin 1994, David Arendt est rentré au pays, rejoignant le management de la Banque Générale de Luxembourg: la grande époque des émissions en francs luxembourgeois, de la privatisation de Deutsche Telekom... Quatre années plus tard, Cargolux lui a proposé de remplacer le directeur financier qui s’envolait pour la présidence de Luxair. «Certains m’avaient prédit de la routine. Mais je ne me suis jamais ennuyé», conclut-il. 

A. D.