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Comment conserver efficacement ses données, surtout si elles sont sensibles, si elles conditionnent, tels des liens contractuels, la marche des affaires? La question n’est pas nouvelle, les technologies numériques sont adaptées et le Luxembourg a déjà sérieusement balisé le terrain. Mais la valeur probante de documents archivés et leur conformité à l’original restent un enjeu de taille. Luxembourg, coffre-fort numérique?

Juriste, avocat chez Allen & Overy, Cyril Pierre-Beausse est aussi chargé de cours associé à l’Université du Luxembourg et est particulièrement pointu sur les questions juridiques liées aux nouvelles technologies. Il fait partie de ceux qui planchent, actuellement, sur la préparation d’une nouvelle loi sur l’archivage électronique des données. «Le coffre-fort électronique est une appellation de services business to consumer, explique-t-il. Dans le BtoB, on est davantage sur l’archivage électronique. On se place là dans un marché lié à la dématérialisation des données, dont les débouchés potentiels sont énormes, mais qui doit encore vaincre une forme d’insécurité juridique.»

Au Luxembourg, le cadre législatif actuel en la matière remonte à 1986. Le frein au changement des mentalités réside essentiellement dans la valeur probante de la copie numérique. Car si, par souci de réduction des coûts, de traitement des archives ou de rationalisation de l’espace de stockage, la plupart des entreprises se livrent aujour­d’hui à une dématérialisation des données, en cas de litige, ce sera généralement le document original qui sera privilégié au détriment de sa copie numérique. «Il faut, dans le cadre législatif actuel – qui existe et qui était à l’époque déjà très novateur par rapport aux techniques disponibles – démontrer que la copie est conforme à l’original. Ce qui n’est pas toujours évident», indique M. Pierre-Beausse.

Cela ne sera peut-être bientôt plus que de l’histoire ancienne, avec la préparation d’un projet de loi devant baliser le terrain en matière d’archivage numérique et, surtout, de sa valeur légale. «L’objectif est d’inverser la charge de la preuve, afin qu’une copie archivée sur un serveur puisse être présumée conforme à l’original, parce qu’elle a été créée et traitée par un organisme dûment reconnu et accrédité à cet effet.»

Pour une présomption de conformité

Selon M. Pierre-Beausse, la relative absence de sécurité juridique qui prévaut actuellement rend le marché très hésitant. A contrario, la fin de cette insécurité juridique permettrait un véritable boum. «Le Luxembourg n’est pas du tout un désert en la matière. Mais il vit une situation particulière. Beaucoup de sociétés internationales ont une base dans le pays. Certaines entreprises signent plusieurs centaines de contrats par semaine. Un volume important de données pourrait être dématérialisé. Il n’y a pas d’alternative en fait: conserver des tonnes de papier génère des contraintes lourdes et a un prix, que l’on augmente encore si l’archivage électronique vient en sus. Il faut donc, au-delà du seuil psychologique, aller vers un tri, le stockage intelligent, l’archivage numérique, les dossiers que l’on peut utiliser en ligne, de façon pratique, mobile… et sans risque. Les besoins, voire les demandes, sont considérables.»

Le dilemme auquel les entreprises doivent aujourd’hui faire face est donc plus stratégique qu’opérationnel. Personne ne veut prendre de risques sur les données sensibles, opposables à des tiers. Et personne ne veut non plus essuyer les plâtres en matière de jurisprudence… «Et ce sera le cas tant que ces données dématérialisées ne bénéficieront pas de la présomption de conformité», prévient M. Pierre-Beausse.

Les enjeux sont donc réels, puisque tout le monde veut réduire ses coûts, améliorer ses processus de gestion et garantir la fiabilité et la durabilité de ses données. Le marché est dans les starting-blocks. «Ce nouveau texte est donc attendu avec un certain enthousiasme. Il doit mettre en place tous les garde-fous nécessaires. Il y a des arbitrages à bien négocier, entre la sécurité absolue, qui pourrait s’avérer inabordable, ne fût-ce qu’au niveau des coûts, et la tentation de la démocratisation totale. Il faut des balises technologiques, éthiques et juridiques. On va vers un nouveau métier, ouvert, mais accrédité, un agrément supplémentaire aux PSF de support, défini par un cahier des charges, comparable à ce qui a été mis en place pour la signature électronique notamment. Quand le Luxembourg en disposera, il aura concrétisé l’avance concurrentielle qu’il a déjà prise.»