Ce courtier en assurances affirme s’être retiré définitivement des affaires et avoir «laissé ça à d’autres»: Dominique (prénom d’emprunt, pour garantir son anonymat) proposait des «solutions» aux clients de la place financière rétifs à déclarer leurs comptes au Luxembourg et a fortiori à payer des impôts. Des investisseurs à la fortune relativement modeste comparée à la taille des dépôts qui ont cours sur la place luxembourgeoise depuis le «changement de paradigme» ou la «révolution copernicienne», selon les termes du ministre des Finances Pierre Gramegna, c’est-à-dire la fin du secret bancaire pour les investisseurs étrangers. Les dentistes belges, les veuves françaises et les mécaniciens allemands, qui avaient permis à Luxembourg d’exister sur la carte du private banking de grand-papa, ont cédé la place à une nouvelle génération de clients alignant plus de zéros sur leurs comptes que leurs prédécesseurs. Et surtout «transparents» du point de vue fiscal.
Derrière le discours officiel de la mise au pas du Luxembourg, son passage à marche forcée aux standards de transparence fiscale et de coopération administrative, il y a une réalité qui détonne. Celle de clients étrangers que les banques et gestionnaires «conventionnels» ont mis à la porte, soit parce qu’ils étaient trop petits, soit parce qu’ils refusaient de régulariser leur situation fiscale et de déclarer leurs comptes à leurs autorités nationales.
Les chiffres des derniers clients «non régularisés de la Place restent tabous. Les méthodes commerciales des officines pour les recruter et les mettre à l’abri, en s’expatriant hors d’Europe tout en restant indirectement au Grand-Duché, le sont aussi. Les autorités luxembourgeoises se sont toujours montrées réticentes à commander des études (et à les publier) sur l’étendue de l’argent «gris» et ce qui en restait depuis l’annonce du printemps 2012, lorsque Luc Frieden céda à la pression de ses pairs européens et annonça la fin du secret bancaire pour les étrangers.
Délocalisation low cost
Pour autant, les «chasseurs» ont été à l’œuvre pour traquer la proie et Dominique fut l’un d’eux, à tout le moins jusqu’à l’automne dernier, avant que l’affaire LuxLeaks mette le Luxembourg sous les projecteurs et que le gouvernement de Xavier Bettel cède aux exigences de transparence et à la pression des pairs. Paperjam a eu accès à sa documentation commerciale.
«Sa» solution, essentiellement destinée à une clientèle francophone, passait par une «délocalisation» low cost via une société panaméenne, Matador Advisors Ldd Inc, improvisée gestionnaire de fortune. Dominique était dans une société de courtage en assurances, Montesquieu & Associés, ayant pignon sur rue avenue de la Liberté et opérant avec un agrément du Commissariat aux assurances. La licence a été retirée par le régulateur. La société a depuis lors été revendue à un ressortissant belge et la pancarte décrochée de la façade du siège social.
Au fil du Mémorial C apparaît, dans l’actionnariat de Montesquieu, la société offshore Sunvalley International Trading (avec un quartier général à New York, dans une suite de Madison Avenue et un bureau aux Seychelles. Le nom de Sunvalley International Trading est également cité dans la documentation commerciale de Matador pour servir de paravent aux exilés fiscaux.
Dominique avait conservé jusqu’à récemment une licence pour le compte d’une société de courtage, qui a dernièrement mis la clef sous la porte. Sur le site du Commissariat aux assurances, le registre public des courtiers mentionnait encore son existence début septembre.
La cible de Matador? Des clients «moyenne gamme» avec un niveau d’avoirs autour du million d’euros. En dessous de 500.000 euros, la «régularisation» était présentée comme une «bonne solution». «Au-delà, note la présentation, cela peut coûter cher dans certains pays.» En France, notamment, où les déposants, en délicatesse avec l’administration fiscale, peuvent payer jusqu’à la moitié des montants éludés. Avec des agents du fisc qui peuvent fouiller jusqu’à 10 ans en arrière. À ceci près que l’entraide administrative de leurs homologues luxembourgeois, dans le cadre de la réglementation de l’UE, a des limites et que le directeur de l’Administration des contributions directes ne peut pas demander la levée du secret bancaire… pour 2006 par exemple.
La société de wealth management encourageait les clients à transférer leurs avoirs hors d’Europe et à bas coûts, dans des «zones protégées», sous influence américaine, «hospitalières pour les Européens» (les Bahamas et Panama), ou sous influence de la Grande-Bretagne et d’Afrique du Sud. Matador faisait miroiter aux clients européens des économies de plus de 14.000 euros par an sur un portefeuille de 1 million d’euros, sur la base d’intérêts de 40.000 euros. Il s’agissait ainsi d’éviter de payer la retenue de 35% sur les intérêts, prélevée depuis 2013 dans le cadre de la directive «épargne». Un texte bientôt obsolète, puisque l’échange automatique d’informations deviendra la norme à partir de 2017.
Régler le problème de 2015
«Ne rien faire, c’est la pire des solutions. C’est les ennuis fiscaux assurés», assure la documentation commerciale.
Matador Advisors, grâce à des accords signés aux Bahamas avec Hottinger Bank & Trust Limited (la banque de Nassau a depuis lors changé de nom en Lyford International Bank & Trust, ainsi que d’actionnaire) et à Maurice avec Afrasia Bank et Investec Bank («grande banque d’Afrique du Sud» ayant un bureau à Port-Louis), faisait des offres bon marché aux candidats à une «délocalisation» de leurs avoirs au Luxembourg, sans qu’ils aient à se déplacer. La boîte à outils du «spécialiste du wealth management» au Panama offrait également du trust néo-zélandais, avec toute une gamme de «facilités» permettant de «garder une discrétion absolue, y compris après 2015». «Fuyez les amateurs – appelez nous», vante encore le prospectus.
Les clients ayant pris l’option de la «solution mauricienne» se voyaient promettre dans leur package de parfaits fraudeurs du fisc une «carte HNWI» – pour high net worth individual, c’est-à-dire les clients très fortunés –, présentée comme «totalement anonyme», 100% gérée à Maurice et moins risquée qu’une carte Visa suisse prépayée ne comportant qu’un numéro de compte et permettant des retraits d’argent.
L’ouverture d’un compte en banque aux Bahamas, alternative à l’île Maurice, via Hottinger Bank & Trust à Nassau où les informations sur les clients étaient conservées, offrait certains avantages. D’abord, parce que la banque appartenait, bien qu'indirectement, à un groupe bancaire européen. Ensuite, parce que la banque dépositaire de Hottinger Bank & Trust était à Luxembourg. Troisième atout: un back-office réalisé également à Luxembourg. «Bref, souligne la présentation, vous régler (la faute est d’origine, ndlr) le problème de 2015 en restant indirectement au Luxembourg.» Économies promises en cinq ans: 72.000 euros, toujours pour un portefeuille à 1 million d’euros.
La question est de savoir combien de clients, avec ou sans la complicité de leurs banques luxembourgeoises, ont cédé aux sirènes de Sunvalley ou de Matador. «Certains établissements bancaires du Luxembourg ont marché», assure une source avisée, qui requiert l’anonymat.
Dominique, refusant de répondre à nos sollicitations, nie avoir jamais «développé ce genre de choses», en dépit de la documentation commerciale qui le trahit, faisant apparaître son nom et ceux de Sunvalley International Trade et de Matador Advisors. Les dirigeants de la société de participation financière Hottinger Luxembourg se sont pour leur part formellement distancés de celui qui avait travaillé pour le groupe Hottinger avant de le quitter, il y a plusieurs années. Ils ont en outre fait savoir que le groupe financier n’assurait plus de services de back-office pour la banque des Bahamas et qu’aucun client du Luxembourg, à l’ère de la transparence fiscale, n’y avait été transféré.