« Si les DRH  n’ont pas le même vocabulaire que leurs interlocuteurs,  ils ne peuvent pas se faire comprendre. »  (Photo : David Laurent / Wide)

« Si les DRH n’ont pas le même vocabulaire que leurs interlocuteurs, ils ne peuvent pas se faire comprendre. »  (Photo : David Laurent / Wide)

Madame Binda, quels sont les grands chantiers, sur le plan des ressources humaines, en cours au sein de l’Entreprises des Postes et Télécommunications (EPT) ?

« Ils sont trois. Tout d’abord, il y a le passage d’un service qui s’appelait Administration du Personnel, à un véritable Service de gestion des ressources humaines, qui dépasse les limites de la gestion de la paie et des congés – même si ces questions restent, évidemment, très importantes. Nous voulons construire une équipe qui soit capable de répondre aux défis qui se posent à l’entreprise pour ces dix prochaines années. Depuis le premier octobre, cette structure est en place. Il y a, bien entendu, encore des réglages et des améliorations à réaliser, mais cette partie là est faite. Ensuite, il y a un objectif plus générique, à savoir la mise en place d’une gestion plus active du capital humain. Cela veut dire améliorer le dialogue social, en prenant en compte la complexité des statuts au sein de l’entreprise, et améliorer la gestion des carrières. Depuis 2005, nous n’embauchons plus de fonctionnaires, mais des employés. Cela veut dire que différents profils cohabitent actuellement chez nous, et qu’il faut mettre en place de nouveaux outils. Nous visons une mise en œuvre d’une nouvelle solution pour la fin 2013 dans ce domaine. Enfin, nous devons travailler à attirer les talents, en travaillant sur l’attractivité de l’entreprise. Je sais qu’en externe, la ‘Poste’ peut apparaître une machine lourde, lente, mais je vous assure, qu’en interne, les choses sont bien plus claires et efficaces. Cela tient au fait que nos processus de décision sont très clairement définis, et, qu’en conséquence, une fois des décisions prises, il n’y a plus de doute, elles sont mises en œuvre.

L’EPT a trois divisions opérationnelles, et différentes filiales, de tailles variables. Y a-t-il un fil rouge entre elles ?

« Au sein de l’EPT, les métiers de la poste, des télécoms et des services financiers sont effectivement très différents au niveau opérationnel –, et ce, de par la nature même des métiers et des profils. Les métiers dans un centre de tri n’ont pas grand rapport avec celui d’ingénieurs télécom. En revanche, en ce qui concerne la stratégie, nous ne faisons pas de différence.

Quelles sont les différences fondamentales entre une administration du personnel et la gestion des ressources humaines ? Cette évolution a-t-elle été bien accueillie ?

« Ce qui compte, c’est le terme ‘ressource’. Nous voulons le gérer comme un capital, en l’améliorant, en l’augmentant… Cela signifie concrètement plus de disponibilité, avec une politique de la porte ouverte – même au sens propre du terme. Cela se traduit également par une présence sur le terrain plus forte, pour rencontrer le personnel en direct, et découvrir et comprendre les différents métiers. Par exemple, nous avons trois ‘HR business partners’ qui vont assister certaines divisions et LuxGSM. Cela voudra dire qu’il y aura une plus grande proximité avec les employés, que nous regardons maintenant comme des clients internes. Et concrètement, cette démarche génère plus d’échos positifs que négatifs… Nous répondons à un besoin, qui s’exprimait dans les équipes : les gens voient une amélioration, ils se rendent compte que l’on va plus vers eux, et donc ils acceptent ce changement.

Quelles sont les nouveautés de gestion qui vont être introduites ?

« Nous allons insister pour développer les carrières transversales, plutôt qu’uniquement verticales. Autrement dit, si une personne espère un jour pouvoir faire partie du comité de direction, elle devra être passée par différents services. Cela lui aura ainsi permis de construire des compétences transversales. En même temps, pour que cela soit possible, nous devons créer les passerelles pour permettre ces mouvements. Nous devons également aider les ‘techniciens’ à sortir de leur expertise, et les sensibiliser aux questions financières, commerciales ou managériales. Cela passera par différentes options de formation, mais qui pourront être autres que des cours classiques. On pourra mettre en place du tutorat, par exemple, afin de sortir des conceptions classiques de transmission de savoir et d’expérience.

Comment construire une crédibilité pour un service RH ?

« C’est à nous d’acquérir cette crédibilité, et pas aux autres de nous la donner, a priori. On l’aura en créant de la valeur ajoutée, et donc en allant au-delà d’une gestion administrative des choses. Au fur et à mesure, il s’agira de s’impliquer dans des projets, en montrant que nous apportons des choses. Je pense que cela passera notamment par une pratique transparente, même pour les ‘mauvais’ messages. Les gens vont croire notre discours, s’il n’est pas toujours uniquement positif –, et ce, même si cette transparence fait quelques fois peur.

Attirer des talents est un défi pour toutes les entreprises. Quelles sont les armes de l’EPT dans ce domaine ?

« Tout d’abord, d’un métier à l’autre, la pénurie de talents est plus ou moins générale. Par exemple, dans le domaine de l’ICT, toutes les statistiques montrent que l’on manquera de compétences pendant quelque temps encore. Ceci dit, nous avons plusieurs cordes à notre arc pour nous défendre. D’abord, l’EPT, en tant que telle, n’a pas une mauvaise image. Nous sommes le cinquième employeur de pays, et nous devons apprendre à le mettre plus en avant, à davantage nous impliquer pour faire partie du paysage. Par exemple, je trouve dommage que, même si nous avons été parmi les premiers signataires, nous n’ayons pas été impliqués dans la définition de la charte de la diversité. Nous devons simplement nous impliquer plus dans l’écosystème économique. Ensuite, nous devons montrer que sur un certain nombre de métiers, nous sommes à l’avant-garde, que nous sommes loin d’être une entreprise poussiéreuse.

Quels sont les rapports que vous entretenez avec les filiales du groupe ?

« Jusqu’à présent, l’intégration – sur le plan RH – était faible. Dans le futur, nous travaillerons ensemble de manière plus efficace et plus étroite, pour trouver des synergies. Par exemple, nous allons favoriser la mobilité interne. Ce n’est pas une décision qui vient de haut, mais nombre de filiales souhaitent, en fait, cette intégration. Il va, par exemple, y avoir la mise en place d’un comité de liaison RH – sans que pour autant nous nous immiscions dans le quotidien de chaque structure. Le processus a commencé, nous en sommes aux premiers pas.

Vous êtes arrivée à l’EPT il y a moins d’un an… Ce que vous avez vécu sur place correspondait-il à vos attentes ? Les relations avec vos interlocuteurs internes sont-elles parties sur de bonnes bases ?

« Il faut dire que j’avais déjà une fois mené une mission, lorsque je travaillais pour Deloitte, au sein de la division Telecoms. Je n’arrivais donc pas dans un terrain totalement inconnu. Ceci dit, s’il y a eu des surprises, elles ont plutôt été bonnes. Comme je l’ai dit, l’image poussiéreuse de l’entreprise est fausse. C’est une société qui veut aller de l’avant, qui souhaite évoluer. Mon arrivée, il est vrai, a pu surprendre certaines personnes, qui m’ont demandé les raisons de mon choix… ils sont très peu à l’avoir compris… Dans le même temps, je pense que je peux apporter des choses, grâce à mes expériences professionnelles précédentes. Les équipes ont bien compris que nous ne sommes plus dans une situation de monopole… Il y a de la concurrence, et partout les numéros deux se rapprochent de nous. Ceci dit, nous avons la capacité de mettre les moyens et de réagir. Une autre chose à souligner, c’est que les organisations syndicales comprennent que l’entreprise doit se développer et s’adapter, pour pouvoir protéger et conserver ses salariés. Nous ne sommes bien évidemment pas d’accord sur tout, chacun a son point de vue, mais il n’y a d’opposition frontale. On parle, on échange, on négocie, et chacun doit faire une partie du chemin.

Pour parler plus généralement de la fonction RH dans les entreprises, quelles sont les faiblesses habituelles des DRH dans les entreprises ?

« Je pense que malheureusement, trop de DRH n’ont jamais fait autre chose de leur vie que des RH… Ils n’ont jamais été de l’autre côté, ils n’ont jamais été ‘client d’eux-mêmes’. Par exemple, ce n’est pas une surprise si, dans les banques, les DRH font rarement partie des comités de direction… Ils ne parlent pas le même langage, ne sont pas capables de parler métier… S’ils n’ont pas le même vocabulaire que leurs interlocuteurs, ils ne peuvent pas réussir à se faire comprendre. Je ne parle pas de la même chose lorsque je m’intéresse au centre de tri, ou à des besoins en compétences dans les télécoms !
Je pense qu’en premier lieu, les DRH doivent être humbles. Nous sommes au service des employés, et pas le contraire. C’est un métier avec beaucoup de responsabilités, très complexe. Il y a une diversité des métiers RH qui est réelle. Mais, quoi qu’il arrive, ce sont des métiers ‘sociaux’, et non des métiers ‘glamour’. Il faut avoir de nombreuses connaissances généralistes, et des compétences, qui peuvent être aux antipodes l’une de l’autre… Il faut être à la fois empathique et autoritaire, par exemple… En fait, pour être un bon DRH, il faut admettre dès le début que, si l’on fait les choses bien, on n’aura pas d’ami, car jamais on ne pourra satisfaire tout le monde, tout le temps.

Quel est, en fait, votre plus grand défi ?

« Réussir à construire la crédibilité du service. Le bon indicateur, d’après moi, sera le nombre de fois où nous serons interpellés en amont, plutôt qu’en aval, lorsqu’il y aura un problème à régler… Je ne veux plus jouer au pompier, comme je l’ai fait à d’autres endroits. Je résume cette ambition avec un anglicisme : ‘coming together’. On y arrivera ensemble, en tant qu’équipe, en tant qu’entreprise, en tant que groupe. »

 

PARCOURS - Du global au local
Âgée de 45 ans, Daniela Binda a suivi des études en traduction anglais, français, italien à l’Université de Paris-Sorbonne. « J’ai commencé ma carrière en Italie, en tant que commerciale. C’était une expérience clé pour apprendre ce qu’est la culture du service au client. » Elle revient ensuite au Luxembourg, et passe par la finance, l’industrie, puis le conseil, chez Deloitte. « C’était une occasion pour apprendre de nombreuses choses, en très peu de temps. » Après un passage chez Brown Brothers Harriman, Amazon et Ernst & Young, c’est février 2012 qu’elle rejoint l’EPT : « Après 20 ans dans des entreprises internationales, j’avais envie de rejoindre une grande entreprise luxembourgeoise… Et j’avais dit que ce serait les CFL ou la Poste… Alors quand l’offre m’a été faite de rejoindre l’EPT, je n’ai pas vraiment hésité… »