François-Xavier Bourmaud est grand reporter au Figaro et auteur du livre «Emmanuel Macron, le banquier qui voulait être roi». (Photo: Le Figaro)

François-Xavier Bourmaud est grand reporter au Figaro et auteur du livre «Emmanuel Macron, le banquier qui voulait être roi». (Photo: Le Figaro)

Monsieur Bourmaud, la campagne électorale qui mènera à l’élection du prochain président de la République française a réservé jusqu’à présent son lot de surprises et de rebondissements. Quel(s) élément(s) avez-vous retenu de la semaine écoulée?

«Le débat télévisé de lundi soir sur TF1, évidemment, qui comportait deux choses tout à fait inédites: l’organisation même d’une confrontation entre les principaux concurrents et la participation d’un représentant du Front National. Ce qui était intéressant, c’était de voir que Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont essayé de planter le décor d’un match comme s’ils essayaient déjà de donner un avant-goût de ce que pourrait être le second tour de la présidentielle.

Du côté des autres candidats, Benoît Hamon n’était pas convaincant, peut-être pas convaincu lui-même. Cela s’est traduit dès le lendemain par un croisement des courbes dans les sondages entre lui et Jean-Luc Mélenchon. Au point que le risque est réel que le candidat du Parti socialiste finisse derrière celui de la France insoumise. Pour François Fillon, ce débat a aussi été très compliqué, même si les affaires n’ont pas été évoquées. Car même s’il a la stature et la connaissance des dossiers, on a senti un embarras lorsque des références ont été faites.

Vous avez évoqué le possible second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Vous pensez que ce scénario est crédible?

«Cette idée est tout d’abord induite par les sondages, ce qui entraîne de gros débats sur leur fiabilité. Et ce, en lien direct avec le fait que ces mêmes sondeurs n’avaient pas prévu la victoire de François Fillon et de Benoît Hamon lors des primaires, ni celle du Brexit ou la victoire de Donald Trump. Quand on va sur le terrain, on constate qu’Emmanuel Macron réussit à remplir ses salles et ce quasiment depuis le début. Idem pour Marine Le Pen. D’ailleurs, ce match entre les deux, installé par les sondeurs, correspondrait à une affiche qui n’a jamais existé auparavant. C’est-à-dire l’élimination concomitante des deux grands partis qui ont structuré la vie politique française depuis le début de la Ve République. À savoir le PS et Les Républicains. Ce serait une sorte de double 21 avril 2002. Et à ce clivage droite/gauche se substituerait un autre qui serait entre pro et anti Europe. Or, comme cela n’a jamais existé, personne ne veut y croire.

Pensez-vous que ce scénario peut se réaliser?

«Je me pose la question plutôt dans l’autre sens. Est-ce que Benoît Hamon et François Fillon peuvent remonter? Cela paraît impossible. D’une part parce que le PS se divise et d’autre part que Les Républicains pensent que la majorité silencieuse pourrait réellement faire basculer l’élection en leur faveur. Sauf que personne n’a, à cinq semaines du premier tour, réussi encore à remonter un écart de neuf à dix points dans les intentions de vote.

La notion d’homme providentiel colle à l’inconscient collectif français.

François-Xavier Bourmaud, grand reporter au Figaro

Au vu de la tournure de cette campagne électorale, qu’est-ce que cela traduit de la situation politique française?

«C’est le point d’aboutissement de 30 ans de chômage de masse et de dérive de la dette et des finances publiques. On arrive à un moment où plusieurs générations d’électeurs ont observé les politiques ne pas réussir à sortir le pays de la crise un peu permanente dans laquelle il stagne depuis le début des années 1980. On arrive sans doute à un point de bascule. La question qui se pose désormais est de savoir si la France entre de plain-pied dans l’époque moderne ou si elle se renferme sur elle-même. C’est en cela que cette campagne représente une véritable bascule dans l’histoire de France.

Est-ce que la notion d’homme providentiel reste encore fermement ancrée dans la mentalité des électeurs? Certains candidats en jouent-ils?

«Emmanuel Macron fait une analyse assez intéressante sur cette question. Lui dit que les Français ne se sont jamais remis d’avoir coupé la tête de Louis XVI et que depuis, ils sont à la recherche de la figure du roi. Ce vide aurait été comblé seulement à deux reprises depuis: par Napoléon et par De Gaulle. Ce que dit Emmanuel Macron, c’est que la période actuelle connaît de tels bouleversements qu’elle permet de rendre possible un parcours comme le sien. En creux, il se présente comme un homme providentiel potentiel. Et s’il est élu, lui se voit bien dans ce rôle. Il l’assume à demi-mot, alors que cette notion colle à l’inconscient collectif français. Marine Le Pen, elle, joue aussi sur le ressort du sauveur de la Nation, mais pour le coup avec des solutions totalement différentes.

Curiosité pour Macron, grande peur de Le Pen.

François-Xavier Bourmaud, grand reporter au Figaro

Quels sont les remèdes mis en avant par les différents candidats pour proposer un autre avenir?

«Pour Emmanuel Macron, il y a une dose de libéralisme qui est tempérée par une dose de socialisme. En un mot, du social-libéralisme sur le modèle de Tony Blair, mais actualisé. Marine Le Pen propose, elle, du protectionnisme hardcore. François Fillon est sur de l’ultralibéralisme qu’il est toutefois en train d’édulcorer, car il se rend compte que ça ne prend pas. De l’autre côté, Benoît Hamon est dans une sorte d’ultrasocialisme utopique. Sur le plan économique, on retrouve le clivage traditionnel droite/gauche, mais en plus, il est traversé par un clivage pro et anti Europe. C’est aussi pour cette raison que cette campagne est illisible, car à droite comme à gauche existent des candidats pro et anti Europe.

Est-ce que les candidats ont conscience de la vision qu’ont les pays européens de leur action?

«Ce que je constate à titre personnel, c’est que les journalistes étrangers ont d’une part une vraie curiosité autour d’Emmanuel Macron et d’autre part une grande peur de Marine Le Pen. Cette curiosité s’explique en partie par son côté Kennedy et sa jeunesse, mais aussi par le couple un peu improbable qu’il forme avec son ancienne prof de théâtre qui a 20 ans de plus que lui. C’est une sorte de cocktail qui attire l’œil. Ce couple est d’ailleurs bien plus important qu’il n’y paraît au premier abord, car quand il est arrivé sur la scène politique, il y a deux ans, c’était un parfait inconnu. Mais son couple va tout de suite susciter l’intérêt de la presse people, ce qui va lui permettre de rattraper en très peu de temps le manque de notoriété qu’il avait.

Est-ce suffisant pour endosser le costume de président de la République?

«Face à Marine Le Pen, vous avez qui? Emmanuel Macron, quelqu’un qui était inconnu et dont on se pose des questions sur sa carrure. François Fillon, un type qui apparemment a un problème avec l’argent qui va d’affaire en affaire depuis deux mois et que son propre camp a essayé de déboulonner tant la situation est intenable. Ensuite, un apparatchik du Parti socialiste entré en campagne plus pour mettre la main sur la direction du PS que pour être élu et un tribun d’extrême gauche extrêmement talentueux, mais qui, sur les solutions, est aussi effrayant que Marine Le Pen… Donc pour faire barrage par défaut, vous allez vers le jeune type qui a l’air à peu près propre sur lui et qui est encadré par des personnalités qui ont l’air à peu près de s’y connaître. Mais il reste encore cinq semaines, il peut se passer encore beaucoup de choses.

Seriez-vous prêt à vous lancer dans un pronostic dans ce contexte?

«Non… Ce qui paraît improbable, c’est que Marine Le Pen soit élue. Lors des dernières régionales, elle a fait son plus haut score avec 7 millions de voix. Pour une élection présidentielle avec un taux de participation normal, la victoire se joue à 19 millions de voix. Ce qui signifie qu’entre les deux tours, il faudrait qu’il y ait 12 millions de personnes qui se décident à voter pour elle. Et donc, qu’elle double quasiment son score du premier tour. La marche paraît très haute quand même… Pour qu’elle soit élue, il faudrait une très forte abstention et des mécaniques de report de voix de la droite, mais aussi de l’extrême gauche vers elle. Elle peut faire un gros score, sans doute le plus important enregistré par le FN, mais de là à être élue…

La question des travailleurs frontaliers n’a jamais été évoquée.

François-Xavier Bourmaud, grand reporter au Figaro

Les résultats des élections aux Pays-Bas pourraient-ils servir de référence aux électeurs français ou cela est passé totalement inaperçu en France?

«L’extrême droite néerlandaise n’est pas un sujet que les Français regardent beaucoup. C’est une toile de fond, mais ça n’a pas imprégné le débat public. Je pense que cela a plus rassuré les politiques que les Français.

Au-delà des affaires, les questions économiques sont-elles tout de même évoquées, comme les conséquences du Brexit par exemple?

«Dans ce cas précis, c’est un poison à diffusion tellement lente que les effets n’en sont pas encore mesurés en France. Le seul sujet économique qui ressort est celui de la sortie de l’euro portée par Marine Le Pen. Et sur ce point, beaucoup de retraités risquent de se poser des questions quand on leur dit que leur épargne risque de s’effondrer.

L’autre thème fort du FN aux conséquences économiques potentielles importantes est la fermeture des frontières. Cela est-il un point évoqué?

«La question de la fermeture des frontières est abordée sous un seul angle: empêcher les migrants d’arriver. Et pour le coup, la question de travailleurs frontaliers qui seraient empêchés d’aller travailler n’a jamais été abordée. Cet aspect peut sortir dans un débat politique, mais vraisemblablement pas plus. Le FN a imposé ce thème uniquement comme lutte contre l’immigration.»