Robert Kocian est marketing manager au sein d'Agora. (Photo: Jessica Theis)

Robert Kocian est marketing manager au sein d'Agora. (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Kocian, Agora vient d’effectuer le point sur les travaux de la mutation de Belval, 10 ans après l’établissement du master plan. Comment peut-on résumer cette première phase de réaménagement du site?

«L’image du marathon me paraît appropriée pour un projet tel que le nôtre. Nous avons entamé une longue course qui nécessite une vision et de l’enthousiasme pour parvenir à franchir la ligne d’arrivée des différentes phases. Nous sommes actuellement dans la période du second souffle du marathonien. Une partie du chemin a été réalisée, beaucoup d’efforts restent à accomplir, mais nous tenons la distance. Notre course est avant tout caractérisée par une constance dans l'effort et dans l’engagement nécessaires, ce qui nous permet d'engranger de plus en plus de résultats concrets.

Quels sont les facteurs d’incertitude avec lesquels vous devez composer?

«Le marathonien est très dépendant des éléments extérieurs, par exemple, le vent et la difficulté du parcours. Dans notre cas, ce n’est ni plus ni moins que l’évolution du marché. Nous avons en effet débuté le projet à la fin des années 2000, dans un contexte d’enthousiasme général marqué par une croissance économique et démographique du pays. 2008 a été, comme pour d’autres secteurs et projets, un tournant dans cette dynamique.

La crise vous a-t-elle poussé à réajuster votre stratégie?

«Notre atout pour maintenir le cap suite au tournant de crise a été la mixité que nous avons toujours voulu promouvoir au sein de Belval, entre le résidentiel, le bureau, le commerce et le loisir. Cet axe permet d’équilibrer l’ensemble du développement, tout en se concentrant sur le service que nous voulons apporter à la population utilisatrice, qu’il s’agisse du chef d’entreprise, du résident, de l’étudiant ou du visiteur. Il n’était pas question de renoncer en cas de difficultés éventuelles. Nous avons donc continué à fournir beaucoup d’efforts à la persuasion du marché des opportunités de Belval pour les parties bureau et commerce, tout en utilisant le potentiel du résidentiel en période plus difficile. Un dossier nécessite généralement deux à trois ans de discussions avant de poser la première pierre pour, au final, comptabiliser cinq, voire six années afin de devenir réalité. Les projets qui sortent de terre aujourd’hui sont ceux que nous avons travaillés en temps de crise. Notre constance a donc porté ses fruits.

Comment résumer votre rôle dans la réussite du projet?

«Il faut constamment anticiper, imaginer et essayer de traduire cette anticipation et cette imagination dans un modèle qui convienne à l’attente du marché et aux occupants des bâtiments. Mon travail ne s’arrête pas à la porte du promoteur, car ce n’est pas lui qui jugera du niveau des prestations, mais ceux qui occuperont le site, y compris les ‘utilisateurs’ du patrimoine, puisque la trace de la mémoire industrielle du pays est un élément qui nous distingue de façon intrinsèque des autres projets.

Quelle est votre approche globale en termes de marketing?

«Notre philosophie repose sur celle du master plan (établi en 2001, ndlr). C’est un guide palpable que nous adaptons au fur et à mesure de l’évolution du dossier et du marché, et qui reste au cœur du processus. Il est synonyme de pérennité, de qualité, de constance d’une image du site rénové que nous adaptons, sans toutefois modifier ses lignes directrices. Le master plan donne donc des points de repère à tous les agents économiques et les utilisateurs qui gravitent autour de Belval, tout en créant de la valeur grâce à la stabilité de ces éléments de fond.

Peut-on parler d’une nouvelle ville?

«Belval est tout sauf une nouvelle ville. Il s’agit d’un nouveau quartier qui effectue le lien entre deux communes, Esch-sur-Alzette (deuxième ville du pays) et Sanem, les frontières de celles-ci traversant d’ailleurs le site en son milieu. On parlera plutôt d'une sorte d’un chaînon manquant et non d’une nouvelle entité urbaine et politique autonome. Nous travaillons main dans la main avec les deux bourgmestres des communes concernées, car notre action est premièrement dirigée vers ces deux territoires.

Comment organisez-vous la communication autour des travaux de Belval?

«Nous nous adressons principalement à trois types de publics. Le marché immobilier est le premier d’entre eux, afin de lui présenter les opportunités. Nous nous adressons aussi au grand public, car une opération comme celle que nous menons concerne toute la population, ne fût-ce que parce que l’État est une des parties prenantes et y injecte des moyens importants. Le troisième public, qui commence à poindre, est celui des utilisateurs.

Jusque fin 2006, le site n’était pas ouvert à ces derniers. L’ouverture de deux symboles que sont la Rockhal et le site de RBC, puis les premiers aménagements résidentiels en 2009 ont amené un public qui n’a cessé de grandir. Nous avons donc atteint une certaine masse d’utilisateurs à qui nous devons des informations sur les chantiers. Nous voulons les associer à ce processus pour ne pas qu’ils découvrent les éventuels désagréments en étant mis devant le fait accompli. Je pense notamment à la démolition d’un pont que nous venons d’effectuer. Nous avons tenu à expliquer l’opération en tant que telle, mais surtout les bénéfices que la population pourrait en retirer. Nous entamons donc un processus de communication partagée, de dialogue, de suggestions mutuelles, afin de nourrir une communauté qui se construit progressivement. Je constate d’ailleurs que l’enthousiasme de ceux qui nous ont suivis depuis le début n’a jamais faibli.

Quels outils utilisez-vous pour parvenir à communiquer adéquatement?

«Nos deux sites internet permettent d’envoyer des messages, en sus des réunions organisées à destination de la presse. Nous réunissons aussi le Club Belval, une association informelle où l’on retrouve l’ensemble des décideurs, exploitants ou propriétaires, que nous informons, mais surtout que nous écoutons. Leur retour d’expérience nous permet, le cas échéant, de rectifier certains éléments. Il nous manque encore un instrument de dialogue automatique avec les occupants, en évitant l’écueil qu’il devienne un réseau social où les informations échangées seraient difficiles à canaliser. Son objet devra être de mutualiser les points de vue pour avancer.

Par ailleurs, le meilleur marketing s’effectue par le biais des réalisations et des innovations qui y sont liées. Moins je fais de marketing, plus je peux prouver via des éléments concrets et mieux je me sens dans ma fonction. D’où l’importance de faire intervenir les habitants dans une plaquette de présentation que nous venons de réaliser. C’est une sorte d’hommage que nous leur rendons, un remerciement, tout en ayant le souci de retranscrire la réalité via leurs témoignages.

Qu’en est-il des commerçants?

«Nous avons toujours eu la chance de pouvoir compter sur le soutien de commerçants, mais aussi d’entreprises ou de résidents, convaincus du projet et qui ont accepté d’être des pionniers. Les fruits de leur patience dans cette aventure commencent à être récoltés. J’en veux pour preuve la fréquentation en hausse de la galerie commerciale, ou la véritable référence en Grande Région qu’est devenue la Rockhal. Je note que l’intérêt se porte aussi sur la construction de nouveaux quartiers, puisque les promoteurs viennent désormais frapper à notre porte, plutôt que l’inverse.

Quel sera votre défi dans la nouvelle phase de travaux?

«Il faudra continuer à étonner, à innover, à partir du matériel existant et qui est stabilisé. Je pense ainsi à l’infrastructure publique, au parc, au patrimoine industriel mis en valeur ou encore à la Rockhal. Ce sont sur ces bases solides que nous pouvons nous appuyer pour aller de l’avant, pour servir les occupants, les habitants, les visiteurs du site avec une qualité constante.

Pourquoi avez-vous choisi de relever ce challenge à titre personnel?

«Mon choix tient à mon histoire professionnelle, qui m’a amené à travailler sur des projets de reconversion de sites industriels français où il était avant tout question de ‘sauver les meubles’. Lorsque l’occasion vous est donnée de passer à une phase plus dynamique, combinant la préservation patrimoniale et le développement territorial, vous ne pouvez rêver mieux. Je vois, ceci dit, une logique entre ces expériences, car la phase de reconstruction nécessite toujours une phase de destruction, qui ne fait que mieux apprécier le nouveau visage d’un site.

Votre principale mission est donc de combiner les temps du marketing, de la communication et du déroulement des chantiers…

«Le temps de la communication, souvent immédiat, doit faire face aux temps longs de la décision d’investir et de la construction, qui reposent sur des cycles de cinq, voire six ans. Je connais peu de sociétés qui communiquent sur leurs produits cinq ans à l’avance. Ceci implique de ne pas communiquer par surprise, mais d’anticiper les produits et de faire en sorte d’attirer les opérateurs et partenaires intéressés de le réaliser avec nous.

Pourriez-vous imaginer vivre à Belval?

«Absolument. Le quartier comporte un cadre de vie que l’on ne pourra retrouver nulle part dans le pays et dans la région avant longtemps, tant d’un point de vue d’organisation pratique de la vie que de la qualité et de l’esprit de convivialité qui y règnent. Je reste surpris par la manière dont les gens se saluent et prennent le temps de discuter même s’ils ne se connaissent pas.

Quelle contribution peut apporter Belval à l’image du pays?

«Un exemple de modernité, de capacité à innover, notamment en matière de développement durable. C’est l’exemple grandeur nature qui montre que la reconversion d’une friche en un quartier urbain est possible. Il s’agit aussi d’un symbole de la reconnaissance d’un pays pour l’une de ses régions qui lui a donné beaucoup d’un point de vue économique dans le passé et sur laquelle il s’appuie pour assurer une partie de son essor futur. Le développement territorial fait partie des éléments non marketing qu’il faut, in fine, souligner comme véritable élément structurant.»

Parcours

D’une reconversion à l’autre

Âgé de 55 ans, Robert Kocian fait partie des pionniers de l’aventure Belval. Arrivé au sein de la structure Agora en 2001, il a connu une époque, pas si lointaine, où des conteneurs étaient utilisés comme bureaux pour coordonner le premier phasage du chantier. Il faut dire que la gestion de la reconversion de sites autrefois industriels constitue le sillon de sa carrière. Principalement côté français. Entre 1987 et 1992, il a été conseiller technique aux restructurations industrielles auprès de la Préfecture de la région Lorraine, avant d’y endosser le rôle de conseiller technique aux affaires européennes. Durant quatre ans (1996-2000), il a été le directeur de la mission interministérielle du pôle européen de développement au sein de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale. En tant que marketing manager d’Agora, il coordonne une équipe de cinq personnes, couvrant les champs de la communication, du marketing, du développement et de l’événementiel.