Le nouvel homme fort de la Commission nourrit rumeurs et rancœurs sur fond d’élections européennes à venir dans un an. (Photo : Flickr)

Le nouvel homme fort de la Commission nourrit rumeurs et rancœurs sur fond d’élections européennes à venir dans un an. (Photo : Flickr)

Surnommé «le Raspoutine» ou «le monstre du Berlaymont» – du nom du bâtiment hébergeant la Commission à Bruxelles –, Martin Selmayr est au centre de toutes les conversations dans le cercle des institutions après ce que Libération qualifie de coup d’État du tridi 3 ventôse (21 février).

Jean Quatremer, correspondant historique du quotidien français à Bruxelles, a été le premier à ébruiter les circonstances intrigantes de la nomination de l’Allemand de 47 ans au poste de secrétaire général de la Commission européenne – le n°1 parmi les 30.000 fonctionnaires que compte l’institution.

L’Allemand de 47 ans, chef de cabinet du président de la Commission européenne, ne pouvait théoriquement pas obtenir le poste convoité et qui n’a été occupé que par six personnes avant lui depuis les débuts de l’institution. L’exécutif européen prévoit en effet une stricte hiérarchie, du chef d’unité au directeur général (le secrétaire général étant un équivalent), et chaque nomination doit faire l’objet d’un appel d’offres public, d’un avis du Comité consultatif des nominations, d’un examen des compétences par un consultant extérieur avant tout entretien avec le commissaire concerné.

Double promotion express

Impossible a priori de brûler les étapes: M. Selmayr aurait dû figurer au moins parmi les directeurs généraux adjoints ou directeurs généraux pour pouvoir prétendre au poste de secrétaire général. Or, l’Allemand, après avoir travaillé comme juriste à la BCE puis chez Bertelsmann, a été porte-parole (2004-2009) puis chef de cabinet (2009-2014) de la commissaire Viviane Reding avant d’entrer au service d’un autre Luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, élu président de la Commission en 2014. Pas de quoi entrer dans le vivier des aspirants au secrétariat général.

Sauf que le 21 février dernier, il a vécu une double promotion en quelques minutes. Il a d’abord été nommé secrétaire général adjoint – sans que l’on sache si la procédure de recrutement a été respectée puisqu’il avait déposé sa candidature fin janvier. Dans la foulée, le Néerlandais Alexander Italiener, secrétaire général en fonction, a démissionné, pour être remplacé par M. Selmayr. Une nomination annoncée de manière précipitée par M. Juncker, que les médias ont trouvée peu assurée – et donc peut-être lui-même surpris par la manœuvre.

«Tout s’est fait en accord avec l’esprit et la lettre des règles», assurait lundi Alexander Winterstein, porte-parole de la Commission, pressé de questions en salle de presse. Toutefois, l’eurodéputé vert allemand Sven Giegold a réclamé l’ouverture d’une «enquête parlementaire» sur cette nomination express, rapporte Le Monde.

Une personnalité controversée

Il faut dire que la personnalité de Martin Selmayr nourrit les spéculations complotistes. Certains n’hésitent pas à le comparer à Frank Underwood, le président implacable, manipulateur et sans scrupules de la série TV «House of Cards», rapporte le site Politico.eu. Réputé pour tenir tête aux commissaires les plus aguerris et aux officiels des gouvernements nationaux, il est redouté pour ses méthodes autoritaires. «Il prend tout le pouvoir – complètement, mais maintenant il a davantage de légitimité et d’autorité légale pour l’utiliser», commente une source haut placée à la Commission, citée par Politico.eu.

D’autant que l’Allemand est désormais affranchi des aléas de la vie politique européenne: si son prédécesseur n’est resté que trois ans en poste avant de prendre sa retraite, d’autres ont passé plus de 20 ans à la tête des fonctionnaires de la Commission. Le président de l’institution ne peut le destituer de son propre chef, mais aurait besoin de plusieurs commissaires pour le déboulonner.

La nationalité allemande du nouvel homme fort du Berlaymont noircit également le tableau pour les tenants d’une diversité aux postes-clés des institutions européennes, puisque la secrétaire générale du service européen d’action extérieure, Helga Schmid, et celui du Parlement européen, Klaus Welle, viennent également d’outre-Moselle. Un tir groupé allemand qui aura son importance lors du choix du futur président de la BCE en octobre 2019.