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 (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Au Luxembourg, le détachement a été introduit par la loi du 20 décembre 2002 qui a transposé la directive du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (directive 96/71/CE). Les dispositions sur le détachement ont été codifiées aux articles L.141-1 et suivants du Code du travail, lesquelles ont été ensuite modifiées par la loi du 11 avril 2010.

Dans un arrêt du 27 octobre 2016, la Cour d’appel s’est prononcée sur la validité d’un contrat conclu entre un salarié et la succursale luxembourgeoise d’une banque portugaise eu égard aux dispositions applicables en matière de détachement à la date de la signature dudit contrat.

Les problématiques dans cette affaire étaient notamment les suivantes:

  • Est-ce qu’un contrat intitulé “contrat de travail à durée indéterminée” peut être qualifié de contrat de détachement et si oui, à quelles conditions?
  • De nouvelles dispositions législatives en matière de détachement impactent-elles les contrats en cours d’exécution?

 

1) Rappel des faits

Un salarié en service depuis plusieurs années auprès d’une banque portugaise (1994), s’est vu proposer, à compter du 1er octobre 2008, un poste de «directeur adjoint» au sein de la succursale luxembourgeoise de la banque.

Dans le cadre de cette affectation, le salarié a signé deux contrats:

  1. un contrat de «commission de services» avec la maison mère portugaise pour une durée de trois ans renouvelable d’année en année avec la possibilité pour l’employeur de pouvoir faire cesser le détachement à tout moment, moyennant un préavis de 90 jours et
  2. un «contrat de travail à durée indéterminée» avec la sucursale luxembourgeoise soumis à la loi luxembourgeoise et précisant entre autres les conditions du détachement.

Le 18 avril 2012, ces deux contrats ont pris fin suite à la décision de la maison mère de mettre fin au détachement moyennant respect du délai de préavis de 90 jours et la succursale de la banque à Luxembourg a suspendu le paiement du salaire et des avantages en nature à partir du 22 août 2012, date de fin du délai de préavis susmentionné. Le salarié a ensuite été prié par la maison mère de se présenter à son ancien poste à Lisbonne.

Le 4 octobre 2012, le salarié a résilié avec effet immédiat son contrat de travail signé avec la succursale pour faute grave dans le chef de l’employeur pour non-paiement des salaires au-delà du 22 août 2012.

Dans cette affaire, le salarié estimait être lié à la succursale par un contrat de travail et non par un contrat de détachement tel que soutenu par l’employeur et réclamait dans ce cadre la reconnaissance d’un licenciement absusif, le paiement d’arriérés de salaire à partir du 22 août 2012 et une indemnité compensatoire pour non-respect du délai de préavis qui aurait dû être déterminé en fonction de son ancienneté dans le groupe (i.e., plus de 10 ans).

À l’appui de ses moyens, le salarié plaidait notamment que la signature d’un contrat de travail local à durée indéterminée avec la succursale au Luxembourg était incompatible avec la notion de détachement, alors que:

  1. un contrat de prestation de services aurait dû être signé entre la maison mère et la succursale de Luxembourg conformément à la législation en vigueur en matière de détachement intragroupe;
  2. ses fonctions exercées dans la succursale luxembourgeoise n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration à l’ITM;
  3. la durée de ses fonctions exercées au Luxembourg serait incompatible avec la notion de détachement impliquant normalement une durée relativement courte;
  4. l’essentiel de son salaire et les avantages en nature lui avaient été versés par la succursale luxembourgeoise;
  5. il avait été affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise alors qu’un salarié détaché reste en principe affilié à la sécurité sociale de l’État dans lequel est établie l’entreprise d’envoi.

2) Cadre légal et définition du détachement

Afin de répondre aux moyens du salarié, la Cour pose tout d’abord le cadre légal du détachement et analyse globalement les différentes formes de détachement prévues par la loi de 2002 et la directive de 1996 qui étaient applicables en 2008, date de conclusion du contrat litigieux, pour en conclure qu’«au sens du droit de travail, le détachement d’un salarié à l’étranger vise donc la situation dans laquelle un salarié est envoyé temporairement à l’étranger pour le compte de son employeur d’origine avec lequel il conserve un lien contractuel pendant la durée de la mission».

Pour la Cour, deux conditions fondamentales caractérisent le détachement, à savoir le caractère temporaire de la prestation exécutée par les travailleurs détachés et la volonté de retour dans le pays d’origine au terme du contrat.

C’est aux contours de cette définition et des conditions énoncées par la loi de 2002 que la Cour d’appel a analysé in concreto la situation des parties et les moyens du salarié pour conclure à l’existence d’un contrat de détachement.

3) Analyse pratique des critères du détachement à l’époque des faits

La Cour précise tout d’abord que la nécessité de conclure un contrat de prestation de services pour justifier du détachement intragroupe résulte de la réforme de 2010 et n’était pas obligatoire à l’époque de la conclusion du contrat. La Cour constate en revanche que le contrat (intitulé «contrat de travail à durée indeterminée») signé avec la succursale était conforme à l’époque aux exigences de l’article L. 010-1 du Code du travail qui autorisaient l’établissement d’un tel document/contrat pour définir les conditions du détachement entre les parties.

Il en est de même de l’obligation d’informer préalablement l’Inspection du Travail et des Mines (ITM). La Cour constate en effet que la déclaration préalable au détachement qui incombe à l’employeur a été rendue obligatoire seulement depuis 2010. En 2008, cette obligation ne pouvait donc être imposée à l’employeur.

Quant au caractère temporaire du détachement, la Cour précise d’une part que le détachement peut être mis en place en droit du travail pour une durée de plusieurs années, contrairement au droit de la sécurité sociale qui limite le détachement à deux années, et d’autre part, qu’une durée de détachement de quatre ans comme en l’espèce, n’est pas de nature à préjuger de la qualification du contrat de détachement.

La Cour précise par ailleurs à cet égard que le caractère temporaire du détachement est essentiellement déterminé par rapport à la volonté de retour après l’exécution de la mission du salarié et non au contenu même de la mission du salarié détaché. En l’espèce, peu importe puisque les fonctions de «directeur adjoint» occupées par le salarié qui étaient nécessaires pour assurer la direction de la succursale en l’absence du directeur local pour raisons médicales, étaient bien temporaires.

La Cour poursuit son analyse et précise que les autres critères du détachement sont le maintien du lien contractuel entre l’employeur d’origine et le salarié durant toute la durée de la mission de détachement et la volonté des parties du retour du salarié détaché dans le pays d’origine au terme du contrat de détachement.

En l’espèce, la Cour constate que l’employeur a gardé son pouvoir de direction et de surveillance sur le salarié, a continué de lui octroyer des promotions et de le faire bénéficier d’une ancienneté comme s’il avait continué à travailler à Lisbonne. De plus, même si le salarié était affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, il est également resté affilié à la sécurité sociale portugaise privée pendant toute la durée de son séjour au Luxembourg. Enfin, le salaire était payé par la maison mère et seul un complément était versé par la surccursale luxembourgeoise pour compenser la différence de niveau de vie.

La volonté de retour dans le pays d’origine au terme du contrat est également bien présente dans les faits. La Cour note en effet que le contrat signé avec la maison mère prévoyait la réintégration du salarié dans l’entreprise au Portugal. De plus, les frais de voyage pour permettre le retour au Portugal à la fin du détachement étaient pris en charge par la banque pour le salarié et sa famille.

En conclusion et sur base de l’analyse factuelle qui précède, la Cour d’appel a constaté que le contrat signé avec la succursale luxembourgeoise remplissait bien les critères du détachement et ce indépendamment de son intitulé «contrat de travail». En effet, même si les parties ont retenu que ce contrat était conclu pour une durée indéterminée, «elles ont fait référence au préambule du contrat à une période triennale renouvelable pour une année et retenu qu'en raison de la nature de l’emploi exercé par l’employé, il pourra être muté au siège à Lisbonne».

La Cour conclut donc que le contrat a pris fin le 22 août 2012, à savoir la date de fin du délai de préavis de 90 jours et de la désaffiliation du salarié auprès du Centre commun de la Sécurité sociale au Luxembourg.

Le contrat de travail n’ayant pas été reconnu, la Cour d’appel n’a pas fait droit à la demande en paiement d’arriérés de salaire du salarié après le 22 août 2012 et d’une indemnité de départ légale.

En ce qui concerne le délai de prévenance qui aurait dû être respecté, la Cour fait cependant droit aux prétentions du salarié qui demandait la prise en compte de son ancienneté dans le calcul du délai (i.e., soit un délai de 6 mois au lieu du délai de 90 jours mentionné au contrat de commissions de services) en lui accordant le bénéfice de la disposition mentionnée au contrat de travail conclu avec la succursale qui était plus favorable.

4) Ce qu’il faut retenir de l’arrêt

Cet arrêt rappelle que peu importe la qualification donnée par les parties à un contrat, le juge reste toujours libre d’apprécier souverainement la nature de la relation contractuelle convenue. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un contrat est intitulé «contrat de travail à durée indéterminée» que la qualification de contrat de détachement ne peut être retenue. Le juge procède à une analyse rigoureuse des circonstances de faits pour déterminer la volonté des parties et le régime juridique applicable.

Il ressort également de cet arrêt que pour analyser la validité d’un contrat, il est nécessaire de se placer à la date de conclusion de ce contrat. Par conséquent, l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives n’a en principe pas de conséquences sur un contrat en cours d’exécution, à condition toutefois que le législateur ne leur attribue pas d’effet rétroactif. Ainsi, en l’espèce, le contrat de détachement soumis à analyse était parfaitement valable, les nouvelles dispositions en matière de détachement issues de la loi de 2010 n’ayant eu aucun impact sur ce dernier.

Cour d’appel, 27 octobre 2016, n°40954 du rôle.