Marc Glesener (Groupe Saint-Paul) (Photo: Etienne Delorme)

Marc Glesener (Groupe Saint-Paul) (Photo: Etienne Delorme)

Comme on pouvait s’y attendre, et contrairement à ce que Léon Zeches avait pu nous laisser entendre l’été dernier, le groupe Saint-Paul n’a finalement pas tardé à réagir à la sortie de L’essentiel, premier quotidien gratuit au Luxembourg, lancé le 10 octobre dernier par le tandem Editpress/Tamedia (lire paperJam septembre-octobre 2007, page 47). Point24, publication au format tabloïd de 24 pages, verra donc le jour le 27 novembre prochain, tiré à 60.000 exemplaires.

Une dizaine de journalistes, avec à leur tête Jean-Marie Denninger (voir aussi en page 101) composera une rédaction issue, pour moitié, de trans-fuges d’autres titres du groupe. Les recrues, elles, sont aussi bien des novices que des journalistes plus expérimentés. «C’est un sacré challenge pour un journaliste, reconnaît M. Denninger. Nous disposons d’une équipe aguerrie, mais pour une forme de journalisme un peu différente. Sous un certain point de vue, nous devons presque réapprendre notre métier. Les fondamentaux sont là, mais il y a de nouvelles façons de traiter les informations».

Officiellement, l’arrivée sur le marché de ce deuxième journal gratuit (d’aucuns espèrent qu’il s’agit plutôt du second…) n’est nullement précipitée ni dictée par l’obligation de réagir face à l’initiative prise par «l’ennemi juré» eschois. Le projet était en effet en gestation depuis un moment déjà. «Un groupe de médias observe forcément de près ce qui se passe à l’étranger, surtout dans le domaine du print, confirme Marc Glesener, sous-directeur du groupe Saint-Paul et responsable des nouveaux médias, un des plus fervents partisans d’un projet qui n’a, d’ailleurs, pas forcément fait l’unanimité au sein du groupe. Nous n’avons pu que constater la tendance au développement des ‘gratuits’. Nous avons donc nous-mêmes commencé les réflexions concrètes il y a un an environ».

Initialement, une approche collégiale avait été initiée par RTL, qui avait successivement approché Editpress et Saint-Paul (mais aussi le Lëtzebuerger Journal), en vue de réfléchir à la façon de créer un média gratuit commun, dont la première raison de vivre aurait été surtout d’empêcher toute velléité de la part d’un groupe étranger. La voie finalement choisie par Editpress a évidemment changé la donne et Saint-Paul a donc suivi son chemin tout seul. «Il s’agit aujourd’hui d’une des priorités du groupe», annonce clairement M. Glesener, sans préciser le budget consacré à ce produit qui se démarquera totalement des autres publications du groupe. «Il ne s’agit pas de faire un d’Wort light ou une Voix light. Le layout sera différent. Nous misons sur un produit grand public, divertissant, même dans le traitement de sujets sérieux et très réactif sur l’actualité. Nous donnerons aussi une grande importance à la photo et l’infographie. Le seul point commun entre tous ces supports sera la qualité du journalisme, avec le respect d’un code de déontologie. Un produit de chez nous ne peut pas être un sex and crime».

Selon Marc Glesener la cible visée par Point24 – le plus large public possible, luxembourgeois et/ou frontaliers – se démarque de celle, tradi-tionnelle, du d’Wort ou de La Voix. Pas de risque, donc, selon lui, de phagocyter un lectorat fragile, ni de prendre une part supplémentaire dans un gâteau publicitaire qui n’est pas non plus extensible à l’infini. «A l’étranger, nous avons constaté une croissance du marché publicitaire en presse écrite, sans doute au détriment d’autres médias, constate M. Glesener. Mais il se peut aussi que le marché augmente à tous les niveaux. Nous avons reçu un feed-back très positif de la part des agences lorsque nous avons présenté nos nouveaux tarifs. Pour le milieu publicitaire, l’offre croissante des produits constitue une grande chance pour mieux répondre aux besoins des annonceurs. Il y a de la place au Luxembourg pour un journal gratuit de qualité. Il sera très intéressant de savoir comment les choses vont évoluer dans les budgets publicitaires».

Comme pour L’essentiel, la diffusion de Point24 se fera notamment par l’intermédiaire de boîtes, de couleur noire, fabriquées au Luxembourg, qui seront environ 150, réparties dans les lieux les plus fréquentés. Mais Marc Glesener promet aussi quelques innovations en matière de diffusion de la publication.

Avec ou sans synergies?

Pendant ce temps, L’essentiel grandit et suit son petit bonhomme de chemin. Après des premiers pas assez laborieux, marqués par quelques défauts de jeunesse dans le style ou la mise en pages, le petit dernier d’Editpress trouve progressivement son rythme de croisière, pour la plus grande satisfaction de son directeur, Emmanuel Fleig. «Le journal plaît et est harmonieusement complété par un site Internet très attractif, mis à jour tout au long de la journée, nous indique-t-il. Il plaît à ses lecteurs et les messages de félicitations pleuvent quotidiennement. Il plaît aussi aux annonceurs qui nous lisent avec beaucoup d’attention et, enfin, il plaît à nos deux actionnaires, ce qui est loin d’être négligeable compte tenu de leurs références en matière de presse quotidienne de qualité». Et d’annoncer que L’essentiel dépasse désormais allègrement les 60.000 exemplaires fixés comme base de lancement.

Forcément, vu de Differdange, où le premier gratuit a établi ses bureaux, la «riposte» de Saint-Paul est tout sauf une surprise. «Nous travaillons sur le dossier depuis près de deux ans. Notre business plan prévoyait plusieurs scénarios et une réaction du groupe Saint-Paul a bien entendu été analysée, modélisée et quantifiée, assure M. Fleig. Le contre-feu de Saint-Paul ne modifie en rien l’axe stratégique que nous nous sommes fixé et même si Point24 essaye, tant bien que mal, de faire un copy/paste de notre concept, son positionnement semble diverger du nôtre en plusieurs points».

Il place, en tout premier lieu, le concept de neutralité du support. Alors que Point24 dispose, tout naturellement, d’un certain nombre de synergies avec les autres supports du groupe Saint-Paul, dont il partage, entre autres, les locaux et la régie commerciale, L’essentiel se positionne davantage comme un électron un peu plus libre dans la galaxie Editpress.

Sa tarification publicitaire est, ainsi, exclusive, aucune formule «package» regroupant plusieurs supports de parution n’étant, par exemple, prévue, contrairement à son concurrent de Gasperich, qui a développé une tarification très ciblée, assortie de tarifs de couplage pour le moins agressifs (voir encadré ci-contre).

Quand on sait, par ailleurs, que selon des données établies par IP Luxembourg, le coût pour mille d’un support tel que d’Wort (29,9 euros) est largement inférieur à celui du Tageblatt (44,1), on se rend compte combien le contexte économique est fort différent, à la base, entre les deux nouveaux concurrents.

A un mois des agapes de Noël, voilà en tous les cas un très savoureux conflit de canards qui se profile à l’horizon. Reste à savoir lequel des deux y laissera des plumes. Le milieu attend, en tous les cas, non sans une certaine impatience, la prochaine étude médias, dans laquelle il sera intéressant de savoir si, enfin, le lectorat des frontaliers sera pris en compte. De même, l’analyse du temps de lecture, mais aussi et surtout du taux de reprise en mains de ces deux gratuits sera fort intéressant, sachant qu’il est généralement plutôt faible par rapport à une publication «traditionnelle».

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Tarifs: stratégies divergentes

Pour un format 210x280 mm, la pleine page publicitaire en couleurs dans L’essentiel est facturée au prix HTVA de 3.280 euros. Il en coûte un peu moins cher pour une page plus grande dans Point24 (251x376 mm), puisque celle ci est affichée au prix HTVA de 2.450 euros. Cette différence se retrouve évidemment dans la tarification au millimètre/colonne pour les pages d’annonce: elle est de 1,46 euro à L’Essentiel contre 0,85 euro à Point24.

Les remises de répétition sont également sujet à une approche très différente. Alors qu’il faut 10 insertions dans Point24 pour arriver à 5% de re-mise et 52 insertions pour bénéficier de 10% de réduction (le maximum prévu dans la grille), ces taux sont appliqués à L’Essentiel respectivement dès les 3e et 6e annonces, et montent jusqu’à 20% de rabais à partir de 26 annonces.

Mais la différence majeure des deux tarifications publicitaires réside dans la possibilité, ou non, de coupler une annonce dans un de ces supports gratuits avec d’autres médias du groupe. Structurellement, un tel couplage est, évidemment, plus facile dans le cas d’un actionnaire unique (le groupe Saint-Paul) plutôt que d’une joint-venture (Editpress/Tamedia). Pas de tarifs groupés, donc, pour L’essentiel, alors que deux formules existent pour Point24: le tarif P+ (avec d’Wort) ou la formule Puissance3 (avec d’Wort et La Voix).

Dans le premier cas, pour deux pleine page couleurs classique, le coût d’une page de Point24 est «ramené» à 641. Dans le second cas, les trois pleines pages couleurs sont facturées plus de 3.000 euros de moins que pour trois pages «séparées». Autrement dit, la page Point24 est, dans ce cas, largement «offerte» …