Jennifer Cunningham: «Je veux faire des RH un endroit accueillant, sécurisant et bienveillant.» (Photo: Mike Zenari)

Jennifer Cunningham: «Je veux faire des RH un endroit accueillant, sécurisant et bienveillant.» (Photo: Mike Zenari)

Madame Cunningham, vous venez de démarrer chez East-West United Bank au mois de juin dernier. Quelles ont été vos missions initiales?

«J’ai été engagée avant tout pour bâtir un département RH capable de soutenir la nouvelle stratégie de la banque suite à une volonté de changement de nos actionnaires. Je suis arrivée en pleine transformation de l’organisation. En effet, mi-2013, toute la structure de la banque a été repensée. Sur une période d’un an, la banque a été entièrement réorganisée, l’effectif a été doublé et en grande partie renouvelé. Il nous faut aujourd’hui apprendre à vivre ensemble et trouver une culture commune à laquelle tout le monde peut s’identifier. Mon rôle est d’aider à comprendre l’organisation, de contribuer à son bon fonctionnement et d’anticiper les besoins futurs afin de participer efficacement à l’accomplissement de cette stratégie.

Votre ancien employeur était une société japonaise, vous travaillez à présent pour une équipe majoritairement russe. Quelle est la clé pour s’adapter rapidement à un nouveau contexte culturel?

«Au contact d’une autre culture, j’essaye toujours de bien en appréhender les fondements. Ce n’est jamais facile, il faut toujours faire des efforts pour s’adapter et surtout comprendre l’autre. Cette démarche permet de relativiser ses propres certitudes. Dans cette optique, je commence à prendre des cours de langue, d’histoire et de religion russes afin de mieux comprendre les besoins de mes clients internes et pouvoir donner des réponses appropriées. Tous ceux qui le souhaitent peuvent suivre des cours de langue deux heures par semaine. Notre CEO est russe, notre CFO est slovaque et nous comptons 15 nationalités au sein de nos 75 employés. Bien sûr, créer une confiance mutuelle prend du temps. Certaines coutumes comme le fait de célébrer ensemble les anniversaires, une fête importante en Russie, aident à favoriser le contact. Aujourd’hui, j’ai le luxe d’avoir une page blanche pour créer des rites et des événements communs. Je dispose des moyens et du temps pour le faire, c’est une grande chance. Pour se comprendre, il faut se voir et se parler, c’est aussi simple que cela.

Nous concevons notre département comme un service de conciergerie cinq étoiles

À quoi ressemble le département RH de la banque? Quels sont les profils qui le composent?

«Nous sommes trois, un nombre confortable pour une organisation de notre taille. Mon collègue français a une longue expérience de la banque et prend en charge l’opérationnel. La troisième personne, de nationalité bulgare, a un profil plus administratif. Nous sommes très complémentaires. Nous concevons notre département comme un service de conciergerie cinq étoiles. Nous voulons mettre en place un suivi individualisé pour chaque personne. L’ambition affichée est de faire des RH un levier stratégique. Même si certains projets sont encore à un stade embryonnaire, la volonté est bel et bien là. La première étape passe par la constitution d’un département opérationnel qui fonctionne bien. Un travailleur sur trois est un expatrié qui vient de Russie. Nous devons être une des banques de la Place qui demandent le plus de permis de travail! Leur suivi ainsi que l’intégration de leur famille nécessitent une attention particulière. Il faut les aider à comprendre leur nouvel environnement, trouver un appartement, déménager, se déclarer à la commune, choisir une école pour leurs enfants… Sans être intrusives ni ‘maternantes’, les RH sont là en support pour leur faciliter la tâche.

La banque est présente depuis plus de 40 ans au Luxembourg, mais a en grande partie renouvelé ses équipes en 2013. Quels sont vos chantiers prioritaires pour les mois à venir?

«Sous l’impulsion de notre nouvelle CEO, l’idée est de créer une toute nouvelle banque sur les fondations de l’ancienne. Le projet se conçoit à l’image du lancement d’une start-up. Concernant les RH, le département avait autrefois une vocation purement administrative. Nous avons récemment lancé en parallèle plusieurs grands projets, dont un axé sur la rémunération et un autre dédié à l’évaluation / formation. Je souhaite établir des plans de développement individualisés et liés aux évaluations d’ici la fin de l’année. De manière transversale, ma priorité est avant tout de consolider la base (gestion des salaires, des formations, des absences), et d’assurer tous les standards RH afin de pouvoir libérer du temps pour d’autres projets. Nous souhaitons également accroître notre visibilité sur la Place.

Comment avez-vous conçu votre processus d’évaluation?

«Dans ce domaine, le plus difficile est de trouver un point d’entrée qui parle à tout le monde. Comme pour tout le reste, nous avons souhaité garder la procédure la plus simple possible, pour ensuite l’agrémenter en fonction de l’utilisation afin d’être flexibles et de rester créatifs. Nous sommes très à l’écoute des retours éventuels. À mes yeux, les évaluations ne sont que la formalisation d’une collaboration annuelle. C’est l’occasion de remercier ses équipes et de prendre du recul. Ce moment officialise des contacts établis toute l’année.

Dans une telle entreprise de transformation, quel est le rôle alloué aux RH? Comment parvenir à rassurer ceux qui restent?

«Dans un tel contexte, mon équipe peut jouer un vrai rôle d’agent de changement. Les tâches ont été redistribuées et les départements redessinés. Tout a été remis en question. Pour certains, le changement a été particulièrement difficile, voire douloureux. Beaucoup de nouveaux arrivants proviennent de l’étranger et ont souvent travaillé dans de grandes organisations, ils ont eu l’habitude de lieux de travail très structurés, il faut bien comprendre leurs attentes. Dans ce contexte, je veux faire des RH un endroit accueillant, sécurisant et bienveillant. J’essaye d’adopter un rôle de stabilisateur et de facilitateur et d’adapter au maximum les solutions à chacun. Le rôle des RH est plus que jamais de contribuer à créer du liant et insuffler un esprit de corps pour que les équipes trouvent leur équilibre. Depuis plusieurs mois, je sens un vrai intérêt pour notre travail. On vient de plus en plus me consulter, c’est très gratifiant.

Quelles sont les difficultés majeures?

«J’ai rejoint la banque en tant que DRH il y a huit mois. La difficulté de ma fonction est de réussir à mener de front la gestion des tâches quotidiennes et les ambitions stratégiques. Pour créer un département, il faut beaucoup de persévérance, avoir une image claire du résultat à atteindre et mettre toute son énergie vers le but fixé. Gérer les attentes, ainsi que les ressources, fait partie des points les plus difficiles. Il faut connaître ses limites, trouver le fil conducteur et ne pas se disperser. Une fois la base solidifiée, mon numéro deux me permettra bientôt de me dégager de l’opérationnel et pouvoir ainsi jouer un rôle plus stratégique.

En mai 2013, Svetlana Fedotova a succédé à Sergey Pavlov, pilier de la banque pendant 22 ans. Comment travaillez-vous ensemble?

«Notre nouvelle CEO a un profil atypique. C’est une visionnaire qui parvient à donner l’envie à ses équipes de se dépasser. Elle est convaincue de l’importance stratégique des RH, c’est un atout dans notre collaboration. Fonctionnellement, je rapporte à mon CFO, qui est davantage un homme de chiffres. Ils sont très complémentaires. Avec le temps, j’apprends à appréhender leurs attentes respectives. Ils me demandent tous deux d’être force de proposition et de jouer un rôle moteur dans les transformations. C’est un vrai challenge.

Suite à la multiplication des réglementations, ainsi qu’à la fin du secret bancaire, la banque privée est en pleine transformation. Quel est l’impact sur vos équipes?

«L’environnement actuel est très compétitif. Nous recherchons des collaborateurs très compétents et qui disposent d’un esprit entrepreneurial. Chacun doit pouvoir mettre sa pierre à l’édifice afin de créer une émulation collective. Nous sommes toujours dans une phase de recrutement, nous visons les 85 personnes d’ici la fin de l’année. Tout dépendra du développement de nos activités. La formation est également essentielle car il ne sert à rien d’engager les bonnes personnes sans plan de développement à la clé.

Vous êtes un membre actif du Personnel Officers Group depuis plusieurs années. Qu’est-ce-qui vous motive dans ce réseau?

«Je vois vraiment le POG comme ma récréation. C’est un lieu privilégié pour apprendre, se nourrir de nouvelles idées et pour échanger avec nos pairs. Je l’envisage comme une extension logique de ma fonction. Nous discutons beaucoup de notre rôle au sein des organisations, de nos ambitions pour le métier. À mon sens, c’est aussi un lieu pour rêver!

Quels sont les sujets qui animent la communauté RH en ce moment?

«Nous travaillons pour l’instant sur la maladie dans l’entreprise en passant en revue ses impacts administratifs, financiers, pratiques… Ce sujet préoccupe de nombreux professionnels des RH. Gérer la maladie d’un proche, un décès fait aussi partie de notre quotidien et ne devrait pas être tabou. Dans toute thématique, nous essayons de mettre en valeur les meilleures pratiques et d’apporter des réponses pratiques à nos membres.

Vous avez démarré dans le monde de l’hôtellerie, quel regard portez-vous sur la fonction RH?

«Mon parcours dans l’hôtellerie constitue mon épine dorsale. Cette expérience impacte qualitativement mon niveau de service, j’ai été formée à aller au-delà du besoin, à trouver des solutions par moi-même. Dans l’hôtellerie-restauration de luxe, nous sommes conditionnés à viser l’excellence, à être attentifs aux autres, ainsi qu’à leurs habitudes. C’est une excellente école, exigeante et accaparante. Je suis très fière d’avoir commencé ma carrière dans ce secteur, je pense que c’est un atout non négligeable.

Quelle évolution du métier percevez-vous?

«Le capital humain est une ressource essentielle dans une organisation, il est nécessaire de lui donner sa juste place. Il est unique et fait la différence. Nous touchons à l’humain, au cœur de l’organisation, par définition, nous abordons des sujets sensibles: vie privée, rémunération, etc. Les missions sont infinies et multiples. Le rôle RH est condamné à devenir plus stratégique. Ainsi le DRH doit être ambitieux. À l’instar du CFO, il doit gagner sa place au côté du CEO. Il doit être crédible et démontrer ses compétences. Il lui faut aussi être courageux, prendre son bâton de pèlerin, s’imposer et défendre sa fonction.»

Parcours
«Les RH sont des facilitatrices»
Après des études en gestion hôtelière et un début de carrière dans plusieurs hôtels de luxe principalement au Luxembourg, chez Sofitel, Intercontinental et Hôtel Parc Belair, Jennifer Cunningham tombe dans le bain des ressources humaines en 2009.
Après plusieurs fonctions administratives et commerciales chez Luxmark, Vodafone ou encore Louis Delhaize, et un détour par la consultance chez Hays et Edouard Franklin, elle endosse la fonction de HR BP chez FinAdmin EIG, une société d’assurance. Deux ans après, elle accepte le challenge de chapeauter les RH du japonais Mizuho Trust & Banking. Spécialisé dans les services financiers, le groupe emploie 125 personnes au Luxembourg. Pendant plus de trois ans, elle effectue un travail de promotion des services RH en interne et œuvre à la refonte de l’employer branding. «Au contact d’une culture différente, la phase de traduction des besoins des clients est plus longue. Il faut travailler deux fois plus sur son adaptabilité. Dans cette optique, les RH jouent alors le rôle de traducteur et de facilitateur», explique-t-elle. En marge de cette expérience, elle complète sa formation par un master en RH à l’université Panthéon-Assas. Administratrice du POG depuis mai 2013, elle contribue à définir les thématiques porteuses pour la communauté, ainsi qu’à l’organisation des événements. «Cinq ans avant, j’étais celle qui demandait conseil. À présent, on vient me solliciter. Ce métier est une passion pour moi, j’apprécie particulièrement de le transmettre aux plus jeunes.»