Isabelle Goubin, directeur du Trésor, a écrit à Me Noesen le 2 décembre dernier qu'il fallait une décision de justice spécifique pour déconsigner des fonds consignés. (Photo: Charles Caratini / archives)

Isabelle Goubin, directeur du Trésor, a écrit à Me Noesen le 2 décembre dernier qu'il fallait une décision de justice spécifique pour déconsigner des fonds consignés. (Photo: Charles Caratini / archives)

Résumé de la situation: «Mon client est amené à devoir faire consigner par son adversaire de l’argent qui lui revient à la Caisse de consignation et lorsqu’il essaie d’en obtenir la restitution, l’État refuse», explique l’avocat Jean-Paul Noesen, qui peine à récupérer la somme de 25.854 euros et s’étonne de la complexité de la procédure que l’État luxembourgeois oppose à l’un de ses clients à la suite d’un impayé qui a mal tourné et débouché sur une procédure en justice.

L’État, qui a mandaté un avocat du cabinet Clifford Chance, suite à une assignation du client de Me Noesen, cherche à faire dire au juge des référés que pour obtenir la déconsignation d’une somme consignée, il faut une décision de justice donnant précisément cette instruction. Or, le client de Me Noesen avait obtenu devant la Cour d’appel la condamnation de son débiteur. Mais l’arrêt ne s’était pas prononcé sur le sort à réserver au montant consigné.

Retour sur une incroyable affaire d’impayés entre deux entreprises autour d’un marché public qu’elles avaient remporté.

Le 15 mars 2012, une société allemande X adresse deux factures à la société Y pour fourniture de matériel et commission d’intermédiation dans le cadre de la construction d’une maison relais à Noertzange. Y refuse de payer, ce qui amène le 30 mai X à l’assigner devant le tribunal de Luxembourg. Le 23 août, cette société fit procéder à une saisie-arrêt auprès de deux banques pour garantir le paiement de sa créance. Le 30 décembre 2012, le tribunal condamne Y à payer la somme demandée. Le 31 janvier 2013, Y fait appel du jugement. Et parallèlement, assigne X devant le juge des référés pour obtenir la libération de la saisie-arrêt moyennant la consignation de la somme litigieuse. Ce sera chose faite. Dans une ordonnance du 14 octobre 2014, le juge des référés demande le cantonnement de 25.854 euros auprès de la Caisse de consignation.

Nouvelle étape le 1er octobre 2015: la Cour d’appel confirme le jugement du 20 décembre 2012 condamnant Y au paiement des deux factures qu’elle contestait. Toutefois, l’arrêt ne dit rien sur la restitution des 25.854 euros.

La lettre d’Isabelle Goubin

Nonobstant cet «oubli», l’avocat de X, Me Jean-Paul Noesen, écrit le 29 octobre 2015 à la Caisse de consignation en lui demandant de lui faire savoir les démarches à entreprendre pour se faire créditer le montant qui fut consigné en sa faveur par ordonnance du 14 octobre 2014. L’avocat précise que l’arrêt du 1er octobre 2015 est exécutoire et qu’une éventuelle cassation ne serait donc pas suspensive. Il indique aussi que l’accord de Y n’est pas nécessaire dans la démarche qu’il a entreprise pour se voir restituer l’argent.

Le 2 décembre 2015, en accusant réception de sa demande, Isabelle Goubin, directeur du Trésor, écrit à l’étude Noesen en lui rappelant la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’État stipulant que «la restitution intervient suite à l’acte qui l’autorise», ce qui veut dire que le montant ne pourra être rétrocédé que «sur présentation d’une décision des autorités judiciaires compétentes, en l’occurrence une ordonnance ordonnant la restitution à l’ayant droit de la caution demandée dans l’ordonnance du 14 octobre 2014 (…) ou un document équivalent du tribunal d’arrondissement de Luxembourg».   

Le 2 février dernier, Me Jean-Paul Noesen, pour la société X, assigne la Caisse de consignation (ainsi que son débiteur, Y) devant le juge des référés en réclamant la libération des fonds consignés en faveur de son client.

L’État mandate Clifford Chance

L’État a donc mandaté l’avocat Albert Moro du cabinet Clifford Chance pour défendre la position, ce qu’il a fait le 10 mars dernier dans des conclusions de 11 pages plaidant l’irrecevabilité de l’assignation ainsi que l’absence de base légale (une décision de justice ordonnant expressément que les sommes consignées par Y soient déconsignées en faveur de X). «En refusant de déconsigner les fonds consignés tant qu’une décision de justice rendue dans le litige opposant la demanderesse (X, ndlr) et la défenderesse (Y, ndlr) ne l’ait ordonné, le concluant (la Caisse de consignation, ndlr) n’a commis aucune voie de fait», note Me Moro dans ses conclusions, en rappelant encore que «les textes légaux impliquent donc que les montants consignés ne soient remis qu’à la personne qui a droit aux biens consignés de manière définitive (irrévocable) – et non pas seulement ‘à titre provisoire’».

Cette affaire ne serait pas isolée et serait le fruit d’un changement de cap au sein de la Caisse de consignation. Jusqu’à une époque récente, explique un avocat du Barreau de Luxembourg, les fonctionnaires de la carrière moyenne qui y travaillent pouvaient décider eux-mêmes de la restitution des montants consignés au vu des pièces fournies. Les choses ont changé depuis quelques mois. Il faut désormais une décision de justice en plus d’une décision de justice pour obtenir une déconsignation.  

Un cauchemar pour les justiciables?