Lucien Clergue, Le poète et le sphinx, 1959 (Photo: Atelier Lucien Clergue)

Lucien Clergue, Le poète et le sphinx, 1959 (Photo: Atelier Lucien Clergue)

Il y a peu, les visiteurs du Cercle Cité ont pu admirer des céramiques de Picasso, puis un ensemble d’œuvres de Jean Cocteau. Depuis jeudi soir, ce sont les œuvres d’un de leurs amis intimes, Lucien Clergue, qui sont présentées dans l’espace du Ratzkeller. Ce timide Arlésien est en fait un des grands messieurs de la photographie contemporaine et fut entre autres, le premier photographe académicien et le père des Rencontres d’Arles, auxquelles Luxembourg a pris part l’été dernier

«Les œuvres qui sont présentées ici sont une sélection de l’exposition qui a été organisée en 2015 au Grand Palais», explique Anne Clergue, la fille du photographe et commissaire de l’exposition. À travers un choix de quelque 90 tirages, il est possible de découvrir les thèmes de prédilection de Clergue. Les gitans tout d’abord, communauté qui revêt une importance toute particulière à ses yeux, et qu’il a fréquentée de près dans le quartier de la Roquette, au bord du Rhône, où ils habitent. À leurs côtés, il prend sa «première bonne photo» selon lui, celle d’un montreur de singe qui amuse les passants. Auprès d'eux, il s’immerge dans la musique gitane avec le chanteur José Reyes et le guitariste Manitas de Plata qui formeront les Gipsy Kings, et que Clergue propulse grâce à ses relations sur les plus grandes scènes internationales.

Proche de Picasso, puis de Jean Cocteau

En 1953, Clergue devient ami avec Picasso qu’il rencontre chez le collectionneur Douglas Cooper. Ils vont ensemble aux arènes, à la plage. Picasso devient un intime de la famille, si bien qu’il sera le parrain de la seconde fille de Clergue, Olivia. «Picasso était très attentif à ce que produisait Lucien», se souvient Yolande Clergue, l’épouse de Lucien Clergue également venue à Luxembourg pour inaugurer l’exposition. «Il voulait voir toutes les photos de Lucien, il était un peu comme un ogre, se nourrissant du travail des autres. Mais l’échange était réel et le dialogue fructueux.» C’est Picasso qui introduira Clergue auprès de Cocteau en 1957. Le poète est séduit par le photographe et l’invite sur le tournage du Testament d’Orphée. Cocteau lui s’inspire trait pour trait de photos de Clergue pour les dessins de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer. 

La Camargue fut aussi une immense source d’inspiration pour Lucien Clergue et la série des détails d’algues, de roseaux, de vaguelettes sur le sable est d’une incroyable puissance plastique et graphique.

Cette proximité avec Picasso et Cocteau inspire de nouvelles explorations à Clergue. En plein milieu des années 1950, il réalise des photos de nus sur la plage qui le feront entrer sur la scène internationale à travers l’ouvrage «Corps mémorable», livre publié aux éditions Seghers accompagné de poèmes de Paul Eluard et illustré par Cocteau et Picasso. Des photos qui n’ont rien perdu de leur fraicheur comme en témoigne la salle consacrée à ce thème dans l’exposition.

Cap sur l'Amérique

En 1958, Edward Steichen découvre le travail de Clergue et choisit d’acheter des tirages pour les collections du MoMA. En 1961, il est invité par Edward Steichen à exposer 66 photos au Musée d’art Moderne. Plusieurs documents présentés pour la première fois témoignent de cette relation et de ce soutien de Steichen envers le jeune photographe.

Ce voyage américain fut un choc pour le jeune Clergue, qui n’a alors que 27 ans et découvre qu’aux États-Unis, la photo est considérée comme un art majeur. Depuis lors, Clergue s’investit de la mission de faire reconnaître la photographie comme art majeur, ce qu’il parviendra à faire en 2006 avec la création de la VIIIe section de l’Académie des Beaux-Arts et son élection au premier fauteuil d’académicien à l’Institut de France. Sans oublier la transmission et l’échange avec la création en 1969 des Rencontres d’Arles et en 1983 de l’École Nationale Supérieure de photographie. Bref, une exposition, qui en quelques clichés et malgré un choix de peinture sur les murs quelque peu discutable, est d’une grande richesse et donne accès à un univers artistique vaste et prolifique.