À 49 ans après avoir dirigé la banque HSBC et l'assureur Lombard, il va prendre les manettes de la CSSF pour un mandat de cinq ans renouvelable. (Photo: Benjamin Champenois)

À 49 ans après avoir dirigé la banque HSBC et l'assureur Lombard, il va prendre les manettes de la CSSF pour un mandat de cinq ans renouvelable. (Photo: Benjamin Champenois)

Claude Marx, 49 ans, deviendra le 5 février le nouveau directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier. Une mission de cinq ans, jusqu’en 2021, et renouvelable.

Le choix, par le ministre des Finances Pierre Gramegna, d’un candidat venu de l’extérieur de l’administration luxembourgeoise et, de surcroît, d’établissements financiers comme Safra, HSBC et Lombard, ayant fait couler pas mal d’encre pour leur gouvernance, se révèle audacieux, voire risqué, même si Claude Marx, lui-même, est un homme à l’abri de tout soupçon. Pierre Gramegna n’a pas de compte à rendre, ni à justifier la sélection d’un ancien patron d’une banque privée puis d’un bancassureur pour diriger un des établissements publics les plus sensibles et les plus importants du Grand-Duché, avec ses 640 agents.

Claude Marx a le soutien à la fois du ministre de tutelle – ce qui n’est pas négligeable, son prédécesseur Jean Guill n’était pas dans les petits papiers de Gramegna –, mais aussi du secteur financier qui se réjouit de voir l’un des siens passer «de l’autre côté du miroir» et qui présente cette nomination surprise comme une opportunité pour le régulateur. Car l’homme connaît tous les mécanismes du métier et devrait, de ce fait, être pris au sérieux par les opérateurs du secteur financier. Il va apporter «un regard neuf, ce qui n’est jamais mauvais», a jugé lui-même, dans une interview au d’Lëtzebuerger Land, Jean Guill, qui va lui passer le relais début février.

Claude Marx va apporter ‘un regard neuf, ce qui n’est jamais mauvais’.

Jean Guill, prédécesseur de Claude Marx à la CSSF

C’est aussi un ami du DP et cette filiation a probablement beaucoup contribué à lui assurer un job qui avait suscité une trentaine de candidatures, selon le communiqué du ministère des Finances. Dans la vie professionnelle, Claude Marx a eu d’influents parrains qui lui ont ouvert les portes des banques. L’avocat Jean Hoss lui aurait permis de rentrer à la Safra Republic Holdings (qui fut rachetée par HSBC) au milieu des années 1990. Il est alors en début de carrière et a fait ses classes entre 1990 et 1994 à l’étude Zeyen Beghin Feider, devenue aujourd’hui Allen & Overy. Dans le même temps, son curriculum vitae mentionne un passage entre 1992 et 1993 chez Arthur Andersen, alors dirigée par Norbert Becker, son autre mentor. Ce dernier lui ouvrira, 20 ans plus tard en 2012, les portes du plus gros assureur-vie du Luxembourg, Lombard International Assurance, qu’il a présidé jusqu’au début de l’automne dernier. C’est aussi à ce moment qu’intervient le départ précipité de Claude Marx comme administrateur-délégué.

Les raisons de ce départ tiendraient à des divergences de vues sur le développement de la compagnie d’assurance entre son dirigeant, qui voyait les choses à long terme, et son actionnaire américain. Claude Marx s’est refusé au moindre commentaire sur cette séparation.

Ses bonnes relations supposées avec le ministre des Finances devraient contribuer à mettre sur les rails la réforme de la gouvernance de la Commission de surveillance du secteur financier, que Jean Guill a initiée, il y a deux ans, mais sans obtenir jusqu’alors de réponse formelle de la part de Pierre Gramegna.

Dans l’interview au Land, le 31 décembre dernier, Jean Guill indiquait que l’avant-projet de loi qu’il a rédigé n’avait pas suscité «de véritable réaction» de Pierre Gramegna, bien que ce dernier ait laissé entendre que la réforme se ferait de façon progressive (selon «une approche incrémentale», avait-il expliqué dans une réponse au député LSAP Franz Fayot), sans toucher à la loi fondamentale de 1998 qui a créé la CSSF sur les cendres de l’Institut monétaire luxembourgeois (IML).

Changement de nom

Pour autant, le ministre des Finances s’est bien gardé d’avancer le moindre calendrier de réforme. Il a bien déposé à la mi-janvier un projet de loi d’adaptation du statut des agents de la CSSF aux changements intervenus dans les grilles de carrières de la fonction publique, mais sans toucher à la gouvernance ni aux pouvoirs du régulateur. Jean Guill réclame une réforme de la loi de 1998 qui ira de pair avec les profondes modifications intervenues dans les paysages réglementaires européen et mondial depuis la crise de 2008. Rien de «révolutionnaire», avait-il précisé au printemps dernier dans le rapport annuel de sa maison.

Il s’agit d’abord de changer de nom en «Autorité du secteur financier», pour marquer à la fois l’indépendance par rapport à son ministère de tutelle mais surtout adapter l’institution à l’ère de l’Union bancaire et du Mécanisme de supervision unique dont elle est un des maillons. La réforme porte ensuite sur la gouvernance, dans un même souci d’émancipation du ministère des Finances, notamment au niveau du conseil de la CSSF. Dans le passé, y avaient siégé des hauts fonctionnaires de la rue de la Congrégation que l’on retrouvait aussi dans les conseils d’administration des banques dans lesquelles l’État luxembourgeois détient des participations comme la Bil ou la BGL. Des pratiques d’ailleurs vite corrigées après les invectives lancées par la presse internationale (et notamment le Financial Times).

Du coup, le mandat de vice-président du board  de la CSSF reste vacant, faute de trouver dans le vivier de la haute fonction publique des candidats qui ne siègent pas dans les établissements financiers. C’est le cas de sa présidence, Isabelle Goubin, directrice du Trésor, que l’on disait d’ailleurs à un moment intéressée par le poste de directrice générale, ce qui est d’ailleurs une promotion logique pour un directeur du Trésor (Jean Guill avait occupé le poste avant d’être nommé en 2009 à la tête de la régulation bancaire). Pierre Gramegna ne l’aurait pas laissée partir, craignant pour la substance de son administration. Dans la future architecture, la présidence du conseil de la CSSF devrait rester dans les mains d’un fonctionnaire du ministère des Finances. La CSSF ne devant pas oublier qu’elle est une «administration gouvernementale», rappelle son dirigeant sortant.

La réforme de la loi de 1998 devrait prévoir un renforcement des pouvoirs de la CSSF, notamment en matière d’amendes et de sanctions administratives. Les sanctions administratives, allant, par ordre de gravité, de l’avertissement au blâme, puis l’amende (de 250 à 250.000 euros) et enfin l’interdiction d’exercice, sont jugées peu dissuasives. L’avant-projet de loi signé par Jean Guill – le texte n’a pas été rendu public – introduirait le principe d’amendes en relation avec le chiffre d’affaires de la banque pris en défaut, à l’instar de ce qui est déjà prévu dans les affaires de concurrence. C’est sans doute un des points les plus controversés de la proposition de Jean Guill. Dans «l’avertissement» qu’il avait eu le courage de lancer au gouvernement, le patron de la CSSF réclamait plus de pouvoirs, de moyens et d’indépendance: «Sans un renforcement des pouvoirs mis à disposition de la CSSF pour sanctionner ou assainir, liquider ou résoudre des entités en situation irrégulière ou périlleuse, écrivait-il déjà en 2014, elle ne saura pleinement répondre aux attentes.»

Décisions consensuelles

Claude Marx, l’ancien banquier privé, devra donc défendre la réforme de son prédécesseur avec l’avantage de la proximité de Pierre Gramegna. D’abord, il n’est pas seul à bord et devra compter avec le reste de son «collège» de directeurs qui a été partiellement renouvelé (le mandat de Simone Delcourt a été reconduit le 1er janvier dernier jusqu’en 2020 et celui de Claude Simon arrive à échéance en 2019). Andrée Billon, en retraite à partir du 21 janvier, cède sa place à la très talentueuse Françoise Kauthen-Hennico, entrée en 2003 à la CSSF et qui a mis sur les rails et dirigé le service de surveillance des marchés d’actifs financiers à la CSSF.

L’équipe qui se réunit au moins une fois par semaine pour définir ses missions et son programme est composée de quatre personnes, mais devrait compter sur un cinquième membre prochainement. Ses décisions sont prises en principe de «façon consensuelle». Le recours au vote, faute de consensus, serait assez exceptionnel.

L’équipe mise en place par Jean Guill en 2009 (il fut nommé sous Luc Frieden, CSV, dont il était réputé proche politiquement), «plus interventionniste que jamais», bien que modestement en comparaison à l’international (dixit l’intéressé au Land), est bien rodée et les effectifs, doublés depuis son arrivée, passant de 320 à 640 personnes, se trouvent désormais en adéquation avec la taille du secteur financier luxembourgeois. Il n’y aura plus de recrutements «massifs» et le régulateur du secteur financier est en quête de solutions informatiques pour devenir plus efficace et réduire les besoins de main-d’œuvre. Des embauches pourraient toutefois se faire dans les rangs des contrôleurs qui vont sur place dans les entreprises. Ils sont 30 inspecteurs actuellement et c’est insuffisant pour être pris au sérieux.

Le directeur général sortant aura été celui qui a appelé à la suppression du secret bancaire, appelant les banques à «pousser dans la bonne direction». Ce fut aussi un dirigeant visionnaire, qui a osé réclamer à son ministre de tutelle – qui traîne d’ailleurs à lui répondre sur ce point – un aménagement de la loi sur le secret bancaire pour permettre aux fintech de se développer sans entraves, offrant à certaines activités l’option de la mutualisation ou de la délocalisation. Un enjeu que son successeur devra gérer.

Collège
Bientôt cinq
Le comité de direction de la CSSF peut comprendre cinq membres. Il en compte quatre, le cinquième directeur devrait être choisi encore cette année. Voici les changements intervenus et à intervenir en 2016:

  • Directeur général: Jean Guill (jusqu’au 04.02.2016); Claude Marx (05.02.2016-04.02.2021)
  • Directeurs: Simone Delcourt (01.01.2016-31.12.2020); Claude Simon (01.05.2014-30.04.2019); Andrée Billon (jusqu’au 21.01.2016); Françoise Kauthen-Hennico (22.01.2016-21.01.2021)

En poste depuis 2009
La nouvelle vie de Jean Guill

Dans un entretien au Tageblatt, Jean Guill laisse entrevoir ses intentions pour la suite de sa carrière. Juriste de formation, il n’a jamais voulu embrasser la carrière d’avocat. Il va mettre maintenant la pédale douce et prendra le temps de regarder ce qu’il peut encore faire dans sa vie professionnelle, en lien avec son passé dans la régulation financière. Il se verrait bien dans la médiation financière ou dans le conseil en gouvernance. Manière de tester la sincérité des banques de la Place à être passées à l’ère de la transparence.