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Le paysage de la presse au Luxembourg évolue vite ces derniers mois. Il y a fort à parier que cela continuera encore fortement dans les mois à venir. Si aujourd'hui les principales communautés linguistiques du pays ont leurs publications, c'était loin d'être le cas il y a quelques années encore. Le Jeudi a fait office de pionnier pour la communauté francophone: cela fait aujourd'hui plus de 5 ans que cet hebdomadaire est né.

(Re)découverte avec Danièle Fonck, directrice de la publication'

La genèse

La première chose, bien entendu, à aborder, c'est la question du "Comment'": comment est venue l'idée du Jeudi, comment s'est-elle mise en place? "La Genèse du Jeudi est assez précise. Elle commence deux ans avant la parution, par une réflexion, qui d'ailleurs est devenue d'actualité dans ce pays. Nous nous demandions en effet ce que nous faisions, nous, hommes et femmes de presse, pour favoriser l'intégration, une communication plus aisée entre Luxembourgeois et non Luxembourgeois.

Ceci sachant que le nombre de non-luxembourgeois allait croissant".

Question d'actualité, en effet, mais posée il y a déjà plusieurs années. "C'était il y a 7 ans. La réponse que nous donnions nous-mêmes était: 'Pas grand-chose en fait!' Si l'on regarde les stations de radio luxembourgeoises, nationales ou locales, elles travaillent essentiellement avec la langue luxembourgeoise. La chaîne de télévision nationale est évidemment luxembourgophone. Si la presse est officiellement bilingue, en vérité, le partage n'est pas égalitaire, puisque plus des deux tiers des articles sont en allemand, et à peine un tiers en français. En plus, on ne peut pas dire que ce pourcentage soit le même dans toutes les rubriques. Donc, concrètement, un non Luxembourgeois dans ce pays n'avait pas grande chance de réellement pouvoir s'informer grâce aux journaux qui existaient à l'époque, qu'ils soient quotidiens ou hebdomadaires. Il fallait faire quelque chose".

La cible

À l'issue de ce premier constat, la réflexion a été menée plus loin. "Il y a des Luxembourgeois, et il y en a toujours eu - même s'ils ne sont pas majoritaires - qui préfèrent lire et écrire en français. Et pour ceux-là non plus, il n'y avait pas de journal adapté, si l'on fait abstraction de l'édition luxembourgeoise du Républicain Lorrain. Nous nous sommes donc dit qu'il fallait faire quelque chose et nous avons réfléchi".

Mais pourquoi un hebdo? "À l'époque, nous nous sommes dit que faire un quotidien serait trop lourd. C'est pour cela que nous avons opté pour un hebdomadaire. Nous avons également d'emblée affirmé que nous ne voulions pas forcément qu'il soit grand public. Nous voulions plutôt nous concentrer sur un hebdomadaire de niche, qui s'adresse aux deux groupes de personnes déjà cités: les non Luxembourgeois qui veulent connaître d'avantage le pays, et les Luxembourgeois qui veulent lire en français".

Le recrutement de la rédaction s'est aussi fait ex-nihilo? "Créer un nouveau journal, cela veut dire qu'il faut aller chercher des nouveaux journalistes. Nous nous sommes dit que tant qu'à faire, si nous voulons un journal imprime la déesse Europa à la Une, nous pouvions constituer une rédaction européenne, avec des journalistes de tous horizons, sans critère de nationalité. Tout ce qu'ils doivent avoir en commun: une langue, celle de leur journal, le français. D'où des Belges, des Italiens, des Français, des Luxembourgeois? Il y a même un Américain!"

Le contenu

Hebdomadaire, donc. De niche en plus. Mais quel contenu? "Hebdomadaire d'information évidemment, et hebdomadaire de réflexion aussi. À partir de là, le schéma était relativement simple: un hebdomadaire de niche, un hebdomadaire de bonne tenue. Pas intellectuel, pas prétentieux, mais de bonne tenue, exigeant par rapport à lui-même".

Pour ceux qui feuillettent régulièrement les pages du journal, la structure actuelle est celle pensée dès l'origine, et dont la directrice n'est pas peu fière: "nous avons décidé de le structurer en quatre sections: une première 'Actualité', une deuxième 'Finances', une troisième 'Réflexion' et une quatrième 'Culture'. C'était le schéma de base: il a été adopté très rapidement. En fait, nous étions au départ seulement deux dans cette maison à parler de ce problème, de cette création.

Nous avons au bout d'un moment un peu élargi le groupe, consulté des amis, luxembourgeois et européens, qui nous ont tous dit 'Et bien foncez!', et c'est ainsi qu'est né Le Jeudi".

Passons donc en revue, dans l'ordre, les composantes de ce qui, désormais, est présenté sous l'appellation de "la Semaine des Quatre Jeudi". La partie "Actualité"? "Ce sont des pages qui comprennent à la fois l'actualité économique et politique du pays, ainsi que tout son aspect sociétal. Sans oublier ce qui est, je pense, une trouvaille: le résumé de l'actualité, y compris régionale et communale. Pourquoi est-ce une trouvaille? Les personnes 'sensées' lire ce journal sont des personnes avec des professions qui les rendent mobiles. Elles voyagent, elles lisent d'autres quotidiens, elles souhaitent être informées de ce qui est essentiel, mais pas des petits détails qui peuvent intéresser le citoyen d'un pays. Ce dernier connaît l'histoire, les tenants et les aboutissants.

"Un Français de Steinsel, lui, par exemple fonctionnaire européen, souvent absent, devra savoir ce qui se passe dans sa commune dès lors que cela touche aux taxes, aux infrastructures, aux écoles s'il a des enfants. Il n'a pas pour autant besoin ni envie de connaître en détail les débats du conseil communal. De la même manière, il voudra savoir si un gros fait divers s'est produit, mais il ne s'intéresse pas forcément à toutes les petites collisions qui peuvent se produire dans n'importe quelle localité, tous les jours".

Danièle Fonck poursuit son explication sur la façon dont s'articule le contenu de la partie "Information': "nous y mettons de l'information pure, de l'analyse, des enquêtes. Cette première partie, en fait, nous a amenés à d'autres réflexions. Nous voulons rendre compte de toute l'actualité, nous voulons que nos lecteurs puissent discuter avec des Luxembourgeois dans les dîners en ville, dans le cadre de leur profession, des sujets que nous traitons. La question, de fait, devient alors: 'comment devons-nous aborder ces problèmes, cette actualité?' La réponse est simple: nous devons forcément faire un journal qui est au-dessus de la mêlée.

Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'il n'est pas lié à tel ou tel parti, tel ou tel syndicat, telle ou telle association, tel ou tel club, non, il est au-dessus de la mêlée. Cela ne signifie pas qu'il n'ait pas d'opinion, non. L'opinion est libre, elle n'est pas partisane".

Après cette partie actualité, la finance et la réflexion: "Là encore, puisqu'il s'agit de faire un journal de niche et de qualité, nous y faisons de la finance autrement, en y intéressant les décideurs. La troisième section du journal, la réflexion, prend de nombreuses formes. De grands entretiens, des interviews avec des personnalités de renom, qui comptent, qui font l'événement, dans le pays et à l'étranger. Ces entretiens nous rendent assez fiers. Nous accueillons également des papiers de réflexion qui nous sont envoyés par des personnalités de tous bords. Enfin, nous accueillons également l'expression des lecteurs. Il faut tenir compte de l'opinion publique, de l'opinion citoyenne".

Dernière composante, la culture. "Ça a été depuis le début un aspect très important du Jeudi. Elle veut être la plus complète possible, nationale, transfrontière et parlant de tous les grands événements à l'étranger, dans la mesure où ils valent la peine qu'on s'y intéresse. Avec une autre grande trouvaille pour conclure le journal et qui commence d'ailleurs à faire des émules à l'étranger: la météo culturelle, qui permet en un clin d'?il de voir où se passe quoi chez nos voisins plus ou moins proches".

La progression

Une fois le concept posé, une fois la rédaction recrutée, quel accueil a-t-il donc été fait au Jeudi? "Je crois que ce qui caractérise le plus Le Jeudi, depuis ses débuts, que ce soit en termes de lectorat ou de progression interne, c'est une très grande stabilité. Autrement dit, Le Jeudi n'a jamais connu de pic conjoncturel. Il a toujours eu une progression, continue, régulière. De cela, finalement, nous en sommes très contents".

Voici pour le quantitatif. En terme qualitatif, y-a-t-il eu progression' "Oui et non. Oui, dans la mesure où la rédaction était cosmopolite, ce qui est un avantage en termes de dynamique, mais un handicap terrible dans la mesure où il faut d'abord forger une entité, une solidarité, avec des gens venant d'horizons divers, avec des traditions, des m'urs, des approches diverses? Il faut réussir à créer un tronc commun, une identité par rapport au journal. Il ne faut pas oublier que ces personnes-là, ces journalistes, avaient et ont un journal à faire. Un journal luxembourgeois en français. Cela veut dire qu'ils devaient essayer de découvrir, d'apprendre à connaître ce pays. Essayer de comprendre pourquoi en politique une décision est prise d'une certaine façon, et pas autrement. Le modèle social luxembourgeois ne ressemble pas au modèle français ou belge. Pour quelqu'un qui vient de l'étranger, il peut paraître incompréhensible à première vue".

Après cinq ans, l'équipe a pu se forger son expérience. "C'était une étape très importante, l'équipe était jeune. Depuis je crois qu'elle est également plus équilibrée, grâce à de nouvelles arrivées. Les jeunes journalistes faisaient à la fois l'apprentissage de leur métier et l'apprentissage d'un pays. Donc, entre temps, le fond est plus solide, et cela se sent. Évidemment, il reste beaucoup de choses à faire; je suis très confiante. Ce qui me charme et me séduit dans cette publication, c'est que cette équipe est liée par une grande amitié. C'est une rédaction qui discute beaucoup, de façon très animée, mais qui fait preuve d'une grande solidarité.

Elle croit en son journal, elle y a toujours cru, et elle a la volonté farouche de le faire progresser, quitte à travailler énormément. Et ça, c'est extraordinaire!"

La rédaction

La rédaction, donc, a impressionné. Danièle Fonck: "elle a réussi très vite à former une entité. Elle était considérée par tout le monde avec un certain scepticisme? Cela a eu pour résultat de la faire commencer à travailler comme marginalisée par rapport à tous les autres journalistes. Je crois que, quelque part, ça a rendu nos propres journalistes plus forts. Il y a aussi le fait d'avoir pu travailler, dès le départ, en étant indépendants. Cela étant, on peut poser une autre question: 'Qu'est-ce que la création du Jeudi a eu comme conséquences pour tous les autres titres du groupe Editpress?' Je crois que Le Jeudi a servi à bien des égards de laboratoire. Par exemple, pour le Tageblatt, cela a permis que sa rédaction ait également un statut de rédaction. C'est-à-dire qu'elle travaille elle-même en toute indépendance. Il y a une émulation et c'est quelque chose d'extraordinaire.

"Ça a aussi permis de changer à l'extérieur le regard qu'on portait sur nous et sur l'ensemble de notre groupe. Sans compter que, depuis, Revue nous a rejoint, et nous avons lancé - avec Le Républicain Lorrain - Le Quotidien, qui est lui aussi un quotidien indépendant. Ce qui nous caractérise, c'est que nous ne voulons pas faire des doublons, nous ne voulons pas créer des titres pour en créer, et faire de la concurrence au sein même du groupe. Tout simplement parce que nous pensons que dans le monde et la société d'aujourd'hui, il faut proposer une offre presse qui soit à la fois beaucoup plus ciblée et beaucoup plus diversifiée".

Les 'Unes'

Tout magazine, tout support a une 'Une', qui se choisit plus ou moins longtemps à l'avance. Le Jeudi n'échappe pas à la règle. "Je peux dire que nous avons fait ce choix difficile qui est une 'Une' sur un seul sujet, ce qui s'est avéré très rapidement être un problème. Quel sujet choisir? Si on a un dossier, on peut le choisir. Cela ne veut pas dire que c'est un bon sujet de Une. D'autre part, si vous avez ce que vous considérez comme un bon sujet de Une, et que par ailleurs vous avez un scoop, comment faire? Comment capter le regard et l'attention du lecteur? Nous avons également remarqué autres chose? Le Jeudi a un extraordinaire handicap au kiosque! Nous sommes un journal plié, et sa une, avec un seul sujet, ne se laisse pas complètement découvrir. Même si l'on annonce un gros scoop, on peut n'avoir que l'entame du sujet. Le lecteur potentiel ne découvre tout le titre qu'une fois le journal déplié, sorti du présentoir. Nous avons d'ailleurs changé la formule de la Une, en ce sens qu'auparavant, le dossier fournissait toujours la Une. Actuellement, nous ne décidons que le lundi, voire le mardi, ce qui va être repris en première page. Nos Unes ont cependant dû frapper les esprits: Le Jeudi est l'un des rares journaux, le premier hebdomadaire de ce pays je crois, qui a eu un prix international pour ses Unes".

Les projets

Quand on lui demande si elle a des projets pour l'hebdomadaire, la réponse fuse: "Bien sûr, mais je ne vous les dirai pas! On doit progresser, on doit subir des mutations, parce que la société tout simplement évolue, au même titre que notre lectorat. Quand on commence un journal, les lecteurs vous accompagnent, pendant un certain temps, vous pardonnent vos maladresses. Ils vous suivent, jusqu'à exiger que vous franchissiez un cap! Nous en avons franchi un certain nombre. Le Jeudi ne nous a pas déçu, il a rempli ses attentes très vite. Son lectorat progresse.

"La principale surprise vient de la manière dont il est acheté. Nous pensions au départ qu'il serait un journal vendu en kiosques et nous nous sommes aperçus très vite qu'il est un journal d'abonnement. Les lecteurs sont très fidèles. Est-ce que nous allons cibler différemment? Non, c'est un journal de niche. Est-ce à dire que nous n'avons pas d'objectif en termes de lectorat? Si! Évidemment! Plus j'y pense et plus je suis persuadé que Le Jeudi est voué à un bel avenir, dans la mesure où il correspond assez exactement aux exigences de ce type de lectorat. Les cadres ont de plus en plus de travail. Nous sommes également devenus de plus en plus mobiles dans nos professions respectives. Et je crois que cela concerne un nombre croissant de personnes. Le résultat en est que, même si ce n'est pas l'envie qui manque, on n'a plus le temps de lire des quotidiens, de moins en moins de personnes ont la possibilité de le faire. Le Jeudi répond donc exactement au besoin qu'on peut avoir d'être informé sur ce qui est important, sans oublier la culture et la réflexion. Le Luxembourg est destiné à devenir un pays de plus en plus cosmopolite. Là aussi, on a besoin d'une approche beaucoup moins sectaire. Et je crois que sur ce plan-là, Le Jeudi correspond à cette évolution. Le journal est tout sauf sectaire".