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 (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Lekane, comment définiriez-vous votre travail au sein d’eBRC?

«Je suis head of finance & administration et membre du comité de direction. Mais je dirai que mon métier consiste d’abord à apporter mon savoir-faire acquis en milieu industriel, afin de le mettre au service de la stratégie définie par l’entreprise. C’était une volonté de la société et cela a pesé dans mon recrutement. En fait, nous voulons davantage ‘industrialiser’, fluidifier les process, travailler en flux tendus, avec plus de réactivité, tout en assurant la qualité de service irréprochable qui fait la réputation de la société. Il y a donc un travail de stratégie, avec une vision de type industriel appliquée au monde des services. C’est une vision et un challenge très motivants. Cela implique un intérêt pour tous les rouages de l’entreprise.

Quel serait le profil type d’un CFO pour vous?

«Je pense, et je constate, que le profil d’un bon leader financier s’apparente de plus en plus à celui du CEO. Il doit, par exemple, être capable de communiquer. En interne, que ce soit avec les employés, le conseil d’administration, les actionnaires… En externe aussi, pour attirer les investisseurs, par exemple. Le CFO partage la vision de l’entreprise et, avec l’équipe de direction, définit et véhicule la stratégie. Il devient, de plus en plus, aux côtés du CEO dont il est le bras droit, le garant de la réputation de l’entreprise.

La fonction finance doit être vue aujourd’hui comme un centre de profit et non plus comme un centre de coût. On lui délègue de nouvelles responsabilités, comme la planification stratégique, la gestion des risques, ou encore la gestion de projets spécifiques comme les fusions/acquisitions. La fonction finance a pour but de prévoir, d’établir une stratégie et, je le répète, de communiquer. C’est une approche évolutive.

Le CFO doit obtenir la confiance des gens. On doit lui reconnaître une maîtrise parfaite dans les champs d’application qui lui sont propres comme la finance, le controlling, le contrôle interne, les fonctions proactives et de veille dans le tax ou le legal. Le CFO doit maîtriser également, mais à des degrés divers, les autres domaines de l’entreprise comme le commercial, le risk management, l’IT mais également tout le côté opérationnel. Si je devais en faire le portrait idéal, je dirai qu’on lui reconnaît un certain charisme, une indépendance d’esprit, une confiance en soi, une éthique forte de la responsabilité financière et une sérénité face à la pression. Il est important, aussi, de savoir s’entourer de gens compétents, d’avoir un réseau de relations professionnelles qui permette de ne pas perdre en réactivité.

Le rôle du CFO a donc bien évolué au fil des dernières années…

«Oui et cela donne un métier très varié. Personnellement, je n’ai jamais fait le même boulot. C’est primordial d’avoir des challenges à relever et d’avancer, ce qui exige de s’adapter. Le CFO s’est en effet démultiplié. En plus de son statut de garant de la rentabilité, de son support aux transactions quotidiennes, son rôle est de piloter l’entreprise, d’être un partenaire actif du dynamisme, visible à travers l’organisation.
Le CFO a des missions comme le renforcement des contrôles à tous les niveaux. Il doit favoriser l’utilisation d’indicateurs avancés en regard des ‘indicateurs retardés’ (les chiffres annuels, les rapports bilantaires, etc.), qui sont utiles uniquement pour communiquer, mais pas pour piloter. On doit donc pousser la réflexion au sein même de l’organisation afin de définir précisément les KPIs (Key Performance Indicators, ndlr.), tout en les associant à des KRIs (Key Risk Indicators, ndlr.) et des KSIs (Key Service Indicators, ndlr.). En fait, le directeur financier est loin de la comptabilité pure. Il y a évidemment un ancrage fort dans le présent, mais, là où la comptabilité fait un état des lieux, sur base d’événements passés ou, au mieux, en cours, le CFO se projette dans l’avenir, en permanence.

Notre métier et notre réputation ont bien été ébranlés par la crise financière et boursière. Cela a généré une évolution en soi. Car il ne faut pas oublier qu’à côté de cela, nous sommes secoués également par tout conflit social, toute rupture technologique, tout manque structurel de profitabilité, toute perte de confiance durable des clients. A terme, toutes ces crises pourraient condamner une entreprise. Le métier doit prévenir tout cela et s’adapter sans cesse à son environnement.

Il faut donc être en veille constante et, aussi, dans une démarche proactive permanente?

«Exactement. Le monde des finances et de l’entreprise bouge sans cesse, avec de nouvelles normes, de nouvelles lois, de nouvelles contraintes de marchés, de nouveaux marchés aussi, à l’étranger par exemple. Alors, il est clair que, dans notre métier, la formation continue est primordiale et ce, dans des domaines variés et de plus en plus techniques. Les normes de référence internationales en sont un bon exemple, les IFRS, USGAAP, l’accord de Bâle III...

Le multilinguisme est même devenu un pré-requis: on se doit de maîtriser davantage de langues. Je dois d’ailleurs me mettre à un apprentissage plus poussé du Luxembourgeois, parce que, même si nous avons une approche à l’international qui se développe, nous sommes un acteur national fortement ancré et aussi parce que cela me semble une démarche assez élémentaire vis-à-vis de nos actionnaires et de nos administrateurs luxembourgeois.

Vous parliez d’être bien entouré, d’avoir une bonne équipe. Comment cela fonctionne-t-il chez eBRC?

«Le service compte cinq personnes, une sixième doit arriver. Le volume de travail augmente, au fur et à mesure du développement de la société. Les domaines sont assez variés, puisque nous gérons aussi, par exemple, les ventes et achats de l’entreprise. Nous avons besoin de compétences diverses en interne.

Mais nous faisons aussi appel à des compétences externes, notamment celles des Big Four, pour faire valider les grandes options stratégiques. Le côté relationnel, la force du réseau, cela me paraît important, d’autant que nous travaillons beaucoup avec des contrats à long terme et qu’il faut donc des bases bien bétonnées.

Vous semblez accorder beaucoup d’importance au facteur humain…

«Vous voulez dire pour un homme de chiffres? Oui bien sûr! Je crois dans la force de la communication, dans la transmission et l’échange des connaissances. Et cela ne fonctionne pas uniquement dans la verticalité hiérarchique. On n’est plus au temps des grands argentiers dans une tour d’ivoire. Je disais que le CFO est le bras droit du CEO. Cette mission ne peut être efficace, à mon sens, que lorsque l’on se trouve vraiment dans la vie de l’entreprise, puisque chaque décision prise quelque part dans la maison est susceptible d’avoir un impact d’ordre financier. Alors oui, la proximité est une valeur ajoutée non négligeable, qui se conjugue avec la valeur des collaborateurs de l’entreprise dont nous faison partie! Je pense que, au début, cela a peut-être un peu surpris ici, mais désormais, on vient aussi me trouver et je suis ouvert à ce partage de connaissances.

Vous savez, je viens d’un milieu rural, attaché à la terre et à un certain bon sens. J’ai à la fois cette facilité de contact et ce besoin de comprendre un maximum de choses. Dans ma mission journalière, je suis un contrôleur, certes, parce qu’on garde des réflexes d’auditeur, mais aussi un messager de la stratégie, qui doit convenablement irriguer toutes les couches de l’entreprise. Si je les ignore et qu’elles ne me connaissent pas, cela ne passera pas et le temps de réaction sera trop long, alors même que cette réactivité est primordiale…

Quels sont les défis stratégiques actuels qui se présentent à vous?

«Avec les différentes formes de la crise, le domaine des services a trinqué. Il faut rebâtir sur le management services. Et il faut développer les marchés. Chez eBRC, le gros défi de 2011, c’est le développement du portefeuille clients. Nous sommes reconnus en tant que leader au Luxembourg et cela correspond bien à l’ancrage et à la vocation historique de la société et de ses actionnaires. Mais il est temps d’aller plus loin, de sortir du ‘cocon luxembourgeois’ et d’aller vers l’international.

Il ne s’agit évidemment pas de partir à l’aventure, mais de structurer un déploiement. C’est aussi pour ça que la logique des process industriels fait partie de la stratégie à laquelle nous adhérons. On ne va pas tout attaquer de front. Mais la position géostratégique, fiscale, légale, réglementaire, technologique, du Luxembourg doit nous placer comme acteur de services de proximité. Nous souhaitons aller vers les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne, la Grande-Bretagne…

Les chantiers en cours sont donc directement liés à ces défis?

«Oui, pour plusieurs raisons. Parce qu’on est à la fois dans l’immédiateté et dans le long terme. Le défi international induit une veille commerciale, une approche pointue des domaines fiscaux et légaux. Il induit aussi d’améliorer encore les indicateurs de rentabilité dont je parlais tout à l’heure, pour asseoir le pilotage, la stratégie et la vision à long terme. On doit passer outre le management de crise, qui a vu notamment un marché chahuté avec des marges tirées vers le bas et, en même temps, s’adapter au marché où la concurrence est rude. C’est un challenge en cours et le chantier est ouvert: le département est en réorganisation pour coller encore mieux à ces objectifs.»

 

CV - Entre services et industrie

Christophe Lekane, Belge de 37 ans, affiche un parcours professionnel aussi varié qu’éloquent. Après un diplôme en sciences économiques appliquées à l’Institut d’administration et de gestion de l’université de Louvain-la-Neuve (UCL) – époque durant laquelle il fait un an en Erasmus à la Lancaster University en Angleterre –, puis une maîtrise en fiscalité aux HEC de Liège, il a commencé sa carrière dans l’audit externe, chez PwC, à Bruxelles et Liège. On le retrouve ensuite dans un groupe industriel international, Nexans, d’abord au siège Benelux, à Bruxelles, puis chez Nexans Cabling Solutions, au nord de Bruxelles, en tant que directeur financier d’une subdivision du groupe dont
les quartiers généraux européens sont à Paris. «L’approche business du monde industriel et l’application de process industriels au monde financier, c’était une intersection passionnante.» Christophe Lekane y est resté directeur financier jusqu’en 2009. Il rejoint alors le Luxembourg. En décembre 2009, il devenait group controller et adjoint au CFO du groupe Recylux, au siège administratif à Rodange. Avant de prolonger dans le secteur des services de pointe. En mai 2010, Christophe Lekane entrait chez eBRC, à Luxembourg, aux fonctions de CFO et membre du comité de direction.