Jean-Yves Leborgne: «Une inflation supérieure à 2% ne sera pas confortable longtemps pour la Fed.» (Photo: DR)

Jean-Yves Leborgne: «Une inflation supérieure à 2% ne sera pas confortable longtemps pour la Fed.» (Photo: DR)

Depuis le début de la troisième phase d'assouplissement quantitatif, le marché de l'emploi est au centre de la politique monétaire américaine et les résultats sont là: le taux de chômage est redescendu sous les 7% depuis novembre 2013 et le nombre d'emplois créés aux États-Unis depuis janvier 2010 a atteint les 9 millions… soit le nombre d'entre eux qui avaient été perdus en 2008 et 2009. Il aura tout de même fallu attendre près de cinq ans pour revenir au nombre d'emplois d'avant crise!

Cependant, les créations d'emplois et le taux de chômage ne rendent pas compte de tout. Aussi, pour justifier ses rachats d'actifs (35 milliards de dollars par mois), la Fed regarde-t-elle d'autres statistiques qui rendent mieux compte de la réalité. Car si le nombre d'emplois est en effet le même qu'en 2008, la population active, elle, a augmenté, et le nombre de chômeurs aussi.

Au fur et à mesure que des emplois se créent, les travailleurs qui s'étaient eux-mêmes exclus du marché vont retourner chercher du travail, ralentissant la baisse de la statistique du chômage. De même, la durée moyenne d'inactivité, si elle a diminué, reste élevée: elle est de 17 semaines, contre 10 avant la crise. La baisse de celle-ci est sans doute également une condition nécessaire pour que la Fed montre plus de considération à l'égard de la situation du marché de l'emploi.

Conflit avec l'objectif d'inflation

Ces chiffres permettent donc de relativiser la situation sur le marché du travail américain. S'il va mieux, un soutien reste nécessaire et c'est ce qu'entend fournir la Fed. Cependant, il devient évident que cet objectif va bientôt rentrer en conflit avec l'objectif d'inflation. En effet, on constate déjà une croissance des salaires horaires (d'environ 2% par an) et la reprise du marché immobilier (plus de 5% par an depuis le début de l'année). Ces deux phénomènes mettent la pression sur les prix: l'inflation a ainsi atteint 2% en mai, après 1,8% en avril.

Les prochains mois vont donc être délicats pour Janet Yellen, qui devra jongler avec un marché de l'emploi toujours affecté par la crise et un secteur immobilier dont le dynamisme impacte les prix.

Jouer sur les fonds propres des banques

Une solution pourrait être d'agir comme la Banque nationale suisse, qui veut endiguer la forte hausse des encours hypothécaires induits par des taux bas en imposant aux banques des fonds propres plus élevés. Ceci permet de maintenir des taux bas pour le reste de l'économie tout en limitant le risque de bulle immobilière et d'inflation trop élevée.

En attendant ce type de mesures, il est clair qu'une inflation supérieure à 2% ne sera pas confortable longtemps pour la Fed (d'autant que les salaires suivent le même chemin). Autrement dit, le rythme de démantèlement de l'assouplissement quantitatif ne devrait pas faiblir et le programme ne devrait pas prendre fin avant fin 2014. Vu le rebond observé dans les salaires et les bons indicateurs de croissance, il faut s'attendre à ce que les taux d'intérêt soient relevés avant l'été 2015. Toutefois, ils resteront bas pendant plusieurs trimestres encore, ce qui pourrait nécessiter d'autres mesures (par exemple sur le mode suisse) pour éviter un dérapage de l'inflation dû à la composante immobilière plutôt qu'à celle de l'énergie.