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Les contours du cloud sont aujourd’hui mieux appréhendés. Révolutionnant la manière dont on consomme l’informatique, le nuage doit conférer flexibilité et souplesse aux entreprises. Si le concept convainc un nombre croissant d’acteurs, il faut toutefois encore rassurer.

Voici déjà quelques années que l’expression cloud computing est sur de nombreuses lèvres. Il a toutefois fallu attendre longtemps pour que les contours exacts du concept soient largement partagés par les acteurs du secteur ICT et puissent être appréhendés pour ce qu’ils sont vraiment par ses utilisateurs. Concept valise, justement parce qu’il était dans le vent, le nuage a été mis à toutes les sauces. « Il y a certainement eu des abus dans l’utilisation des mots. Le terme, par exemple, était utilisé à mauvais escient pour parler de virtualisation de serveurs, de plates-formes mutualisées ou de managed services. S’ils sont souvent sous-jacents au concept de cloud computing, ces technologies et services n’en présentent pas toutes les caractéristiques », constate Ludovic Gilles, global technology services sales manager d’IBM Luxembourg. 

Le concept de « cloud computing », en s’appuyant sur les dernières avancées technologiques et des infrastructures réseau de plus en plus performantes, est plus large. Il révolutionne littéralement la manière de consommer l’informatique, tant au niveau de la sphère professionnelle que privée. « Plus qu’une technologie, c’est un changement d’approche que l’on trouve derrière ce concept, estime Marco Houwen, CEO de Luxcloud, qui a mis en place une plate-forme de distribution de solutions en mode software as a service. Le cloud, c’est avant tout la livraison de services ou de solutions informatiques en mode pay as you go. L’utilisateur choisit son service délivré à distance, depuis un data center, en quelques clics, et paie en fonction de l’utilisation qu’il en a. Il n’a plus à investir dans l’infrastructure ou dans le software, avec l’achat de licence. » 

Le cloud transforme les coûts liés à l’ICT en dépenses d’exploitation et permet, pour ainsi dire, d’annuler les dépenses d’investissement de capital. Avec le cloud, l’ICT devient réellement ce que les Anglo-saxons qualifient de commodities. 

Le CEO de LuxCloud, toutefois, note que le concept de cloud n’est pas forcément nouveau. Au début des années 2000, si on n’en parlait pas sous cette qualification, les termes ASP (Application Service Provider) ou 'on demand' faisaient référence aux mêmes modes de fonctionnement. « Le concept, toutefois, a gagné en intérêt avec les évolutions technologiques. Il a fallu attendre que les réseaux gagnent en performance, que des infrastructures de pointe voient le jour pour que les opportunités que présente le cloud se révèlent au grand jour. Avec ce modèle, aujourd’hui, on peut enfin profiter de toutes les potentialités apportées par Internet et les réseaux », explique M. Houwen. 

D’abord de l’espace 

C’est d’abord en mode « infrastructure as a service » , que les services cloud se sont popularisés. Au cœur des data centers, les entreprises sont avant tout allées chercher de l’espace de stockage et de la puissance de traitement à distance. « Les solutions qui suivent ce mode sont sans aucun doute les plus répandues, quand on parle du cloud aujourd’hui, ajoute Ludovic Gilles. Leur réel avantage réside dans le fait que l’entreprise ne doit plus investir dans une infrastructure lourde, et pas toujours adaptée à ses exigences. Avec ce concept, elle peut bénéficier de ce dont elle a réellement besoin, en matière de ressources serveurs, à un moment donné. On peut augmenter et réduire facilement les ressources nécessaires à son fonctionnement, et ne payer qu’en fonction de leur utilisation effective. » 

Le mode « platform as a service » est une deuxième forme de solution cloud. Dans ce cas de figure, le provider met au service de son client une configuration middleware. Sur des serveurs hébergés dans le nuage – en réalité un data center à distance –, il offre une plate-forme qui permet à son client de faire tourner ses logiciels lui-même. 

« Le « software as a service », enfin, est la forme la plus aboutie du cloud. À distance, on accède aux outils bureautiques ou métiers dont on a besoin. On paie en fonction du nombre d’utilisateurs, sans devoir acquérir des licences, ni installer les logiciels soi-même. Cela octroie donc une flexibilité plus importante à l’entreprise, poursuit M. Gilles. On n’a plus, par ailleurs, à se soucier de l’infrastructure ou de l’operating system sous-jacents au fonctionnement de ces outils. Ce qui, en soi, constitue un bénéfice considérable. » 

Aujourd’hui, ces solutions ont fait leur preuve, au Luxembourg et ailleurs. « Le nuage n’a jamais été aussi concret qu’aujourd’hui, assure Éric Hausman, cloud director chez Dimension Data Luxembourg. Chacun a désormais la possibilité de consommer et d’arrêter de consommer des ressources informatiques en fonction de ses besoins. Et de n’avoir, au final, qu’une facture adaptée à l’utilisation effective des outils qu’il a mobilisés. » Si le monde de l’entreprise s’intéresse progressivement aux opportunités que pourrait présenter un basculement vers le cloud, la sphère privée y est,quant à elle, passée naturellement. « L’offre cloud d’Amazon est actuellement le premier cloud public, poursuit-il. En découvrant, au quotidien, des offres cloud intéressantes, les responsables d’entreprises se demandent progressivement comment ils pourraient bénéficier d’une telle flexibilité dans le cadre de leur travail. » Au-delà d’Amazon, les exemples populaires ne manquent pas. Citons par exemple iCloud d’Apple ou encore Office365 de Microsoft. 

Le faux débat de la localisation 

Au cœur de l’entreprise, d’autres facteurs doivent être pris en compte. Et l’on se montre souvent plus réticent à l’adoption de nouvelles technologies. La question de la localisation des données, par exemple, revient de manière lancinante. Même si, selon les acteurs du secteur ICT, en général, elle n’a pas lieu d’être. « C’est un faux débat. Ce n’est pas parce que les données sont localisées à côté de chez soi qu’elles sont forcément plus en sécurité, commente Marco Houwen (Luxcloud). Ce n’est pas parce que je ne sais pas où elles se trouvent, qu’elles sont plus exposées à un risque. Par ailleurs, les données d’une petite PME, stockées sur des serveurs dans une cave, avec une climatisation bancale, sont sans doute plus menacées que d’autres, hébergées dans un data center opérationnel et sécurisé. L’important, c’est d’avoir de la redondance, des garanties inscrites au sein de service level agreement, en fonction des besoins que l’on a et du caractère critique des données. À ce niveau, le client paiera en fonction de son niveau d’exigence. » 

Au cœur d’une place financière fortement réglementée, hors de question de disperser les données n’importe où. Le Luxembourg a donc a pris l’option de contraindre les professionnels du secteur financier, s’ils désirent placer leurs données et logiciels de traitement des données sensibles dans le cloud, à recourir à des providers ou des data centers établis sur le territoire national. Ce qui a conduit à l’émergence d’un cloud typiquement luxembourgeois, ancré dans les data centers du pays. Le Grand-Duché dispose en effet d’une infrastructure de pointe, en matière de réseaux et de data centers, ainsi que les compétences nécessaires pour opérer des clouds privés, hybrides ou publics depuis le Luxembourg. Le marché étant certes plus petit, le potentiel de mutualisation est certainement moins important. Les prix auront donc tendance à rester élevés. En effet, le cloud peut aussi être public, privé ou hybride. Dans le premier cas de figure, les services et solutions proposées par le provider cloud sont ouverts à tout le monde. C’est le cas des services populaires précités (iCloud, Amazon, Office365) ou encore Salesforce, solution cloud de CRM (gestion de relation client). 

Privé, public ou hybride 

Avec cette formule, les utilisateurs bénéficient, sans nul doute, des prix les plus attractifs, pour des services qui peuvent être considérés comme courants. En effet, le cloud public permet une plus large mutualisation des infrastructures, pour des services s’adressant aux publics les plus variés.

À l’opposé, on trouve le cloud privé, développé par les entreprises elles-mêmes, afin d’offrir un catalogue de services à plusieurs de leurs départements ou entités. En d’autres termes, elles mutualisent l’ensemble de leurs infrastructures informatiques, dans un data center personnel afin de proposer les différents services informatiques de l’entreprise en mode cloud. « Certaines installent le cloud dans leurs murs. En effet, si cela reste un investissement privé dans l’infrastructure, c’est la manière dont sont déployés les services qui fait que l’on peut parler de stratégie cloud, précise Éric Hausman. Si bien qu’en quelques clics, les utilisateurs en interne peuvent disposer d’un nouveau service ou mettre en place un nouvel environnement, alors que, précédemment, il aurait sans doute fallu des heures et des jours pour le déployer sur les différents terminaux. En développant ce genre d’outils, les entreprises recherchent cette agilité et rapidité de mise en œuvre. » 

Entre les deux, on trouve le cloud hybride. Ce troisième concept est utilisé quand une entreprise utilise les deux formules : une partie privée pour le stockage et le traitement de ses données, et une partie publique pour faire fonctionner d’autres applications. Mais il est aussi utilisé, notamment au Luxembourg, pour parler d’un autre usage du cloud. « Au Luxembourg, certains providers mettent des solutions cloud à la disposition d’un certain nombre d’acteurs différents, avec des conditions d’entrées et de sorties très claires », explique Ludovic Gilles. 

Réglementation rassurante 

Si le marché du cloud a un potentiel important de développement, il faut rassurer, encore et toujours, les entreprises. Beaucoup sont tentées de sauter dans les nuages, mais restent hésitantes. « On a fait beaucoup de chemin, en quelques années. Aujourd’hui, des offres intéressantes, capables de séduire les PME, voient le jour sur le marché », explique Amal Choury, présidente d’Eurocloud Luxembourg, qui fédère les acteurs du cloud au Grand-Duché. Mais le travail d’évangélisation doit se poursuivre. On ne lésine d’ailleurs pas pour créer un environnement favorable à l’émergence de solutions cloud au service des entreprises. À travers l’association, les acteurs présents sur le créneau du cloud exercent un lobbying important, en vue de faire évoluer le cadre légal et de permettre le développement d’infrastructures adéquates. « L’un des enjeux, au départ, est de démontrer à tous comment profiter des opportunités du cloud, en développant des infrastructures qui permettent de le faire fonctionner, mais aussi en garantissant une protection des utilisateurs, par la mise en place d’un cadre légal adapté, explique Amal Choury. Au sein de notre association, nous avons donc travaillé sur trois axes : la règlementation, la promotion et la technologie. » 

Avec des résultats intéressants. En effet, l’une des avancées dont le Luxembourg peut se targuer est la mise en œuvre d’une réglementation devant permettre aux entreprises, en cas de faillite d’un provider, de récupérer leurs données, avant que le premier curateur venu ne coupe les serveurs et ne les revende. « C’était une priorité essentielle, pour nous, d’être les premiers à mettre en œuvre une telle législation, garantie importante pour les utilisateurs, devant les rassurer à l’égard du cloud computing, poursuit Mme Choury. C’est aujourd’hui un avantage dont dispose le Luxembourg. Notre rôle, dès lors, est de promouvoir les services cloud qui sont proposés ici à l’étranger. » Car – c’est l’un des principes de la mutualisation, sous-jacente au concept de cloud computing – plus les utilisateurs seront nombreux, plus les services clouds proposés au Luxembourg seront attractifs et rentables. 
 

MÉTIERS - Un secteur en mutation

L’émergence du cloud bouleverse non seulement notre manière de consommer l’informatique, mais chamboule aussi la chaîne des valeurs des métiers du secteur. On constate, de manière générale, une internationalisation et une consolidation des acteurs, afin de proposer des solutions cloud « clé en main », au même titre qu’une internationalisation des infrastructures. Pour pouvoir proposer des solutions complètes, en mode software as a service, il faut que les acteurs, des éditeurs de software aux développeurs d’infrastructures, en passant par les providers et les intégrateurs, se parlent et coopèrent. L’époque où l’on vendait du hardware, puis des softwares, en ligne directe avec le client semble révolue. Les business model changent. Les utilisateurs finaux cherchent à trouver un interlocuteur unique, capable de les accompagner dans leur migration vers le cloud. On voit dès lors des rapprochements entre opérateurs, intégrateurs et éditeurs. IBM, par exemple, s’apprête aussi à proposer, dans les semaines à venir, des solutions verticales, incorporant toutes les couches nécessaires à l’établissement d’une solution cloud, pour différents métiers au Luxembourg. Dimension Data, par ailleurs, développe des infrastructures dédiées pour ses clients.

 

LÉGISLATION - L’Europe, morcelée face au cloud
La Commission européenne a révélé, au début de l’automne, son plan d’action pour le développement du cloud computing, avec l’espoir qu’il puisse réduire les craintes et les incertitudes, relatives notamment à la protection des données des uns et des autres. Du moins, c’est ce que les optimistes espéraient. La Commission, en effet, a identifié
le cloud computing comme un levier de croissance pour les entreprises de la zone. L’enjeu de ce plan d’action est de définir des standards à l’usage des États membres, afin de définir
un cadre légal optimal pour l’émergence du cloud. Toutefois, des doutes subsistent encore. Et les pragmatiques constatent que le chemin à parcourir est encore long. En matière de cadre légal autour de la protection des données, l’Europe des 27 apparaît encore très morcelée. Les différentes législations sont loin d’être uniformes. Pour de nombreux observateurs, des lois relatives à la protection des données, comme on en connaît au Luxembourg, mais aussi en Allemagne par exemple, s’apparentent à des freins au développement d’Un réel cloud computing. Ils ne manquent d’ailleurs pas de rappeler que le véritable cloud est sans frontière.