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«Nous nous sommes concentrés sur des produits de niche pour faire face à la concurrence chinoise et indienne», explique Aloyse Hermes, scientifique senior chez ArcelorMittal. 

M. Hermes, pourquoi l’innovation est-elle importante pour votre secteur?

«Dans la sidérurgie, que l’on parle du Luxembourg ou de l’Europe, l’innovation est notre seule chance de survie. Nous devons proposer des produits de niche ou de haute qualité, car il est impossible de faire concurrence à l’Inde ou à la Chine sur les produits basiques. C’est pour ça qu’on concentre nos efforts sur des biens ou services à forte valeur ajoutée. Nous sommes leader mondial dans les palplanches en acier utilisées dans les ports. C’est notre produit phare depuis une dizaine d’années. Et nous disposons maintenant d’un know-how spécifique. C’est la seule façon d’être en avance sur nos concurrents.

Combien de temps cela prend-il entre l’idée et la commercialisation d’une innovation?

«Dans le cas de notre nouvelle technique de laminage, il a fallu compter trois ans. Il y a d’abord eu l’idée, puis les simulations numériques et puis les tests grandeur nature. Mais rien que pour commander l’outillage nécessaire à la mise en place de cette innovation, il a fallu attendre un an. Cette nouvelle technique nous permet de laminer des palplanches plus larges. À l’origine, nous avions prévu d’investir dans une nouvelle unité de production exclusivement réservée au laminage de ce genre de produit, mais notre innovation nous a permis de réaliser ce processus dans les locaux actuels, sans avoir à construire de nouveaux bâtiments. Ça a donc été un grand avantage économique.

Quand avez-vous pris la décision d’innover plutôt que d’investir dans de nouveaux locaux?

«C’est la crise qui nous a poussés à réfléchir et à trouver des solutions pour faire des économies. Quelque part, elle a eu un effet bénéfique pour nous.

Comment qualifieriez-vous l’industrie luxembourgeoise dans son état actuel?

«En ce qui concerne la sidérurgie, je trouve qu’on a quand même réussi à s’adapter à l’évolution du secteur. À Belval, nous nous sommes spécialisés dans les palplanches et à Differdange dans les poutrelles de grosses tailles. Quand nous avons été rachetés par les Français et les Espagnols d’Arcelor, on nous a dit qu’on était trop cher pour être compétitif. Aujourd’hui, les prix ont beaucoup baissé et ce sont les Espagnols qui sont les plus touchés, car ils produisent des articles à moindre valeur ajoutée et sont donc très concurrencés par la Chine et l’Inde. Tandis que nous, nous nous sommes concentrés sur des produits de niche. On a commencé à développer le leadership dans le domaine des palplanches au début des années 1990. Ça a pris environ 5 ans pour s'imposer et pour pousser la production de 100.000 tonnes à plus de 300.000 tonnes.

Le Luxembourg propose-t-il un bon environnement pour les industriels?

«Pour nous, oui. L’unité de production est à trois kilomètres du département de recherche et de celui du marketing et vente. Cela nous permet d’avoir des contacts directs et c’est un facteur important pour prendre rapidement des décisions, surtout quand il s’agit de la mise en place d’une nouvelle technologie.

Sinon, il faut reconnaître que l’État joue le jeu et protège notre know-how. Nous avons aussi des rapports très positifs avec l’université et il est simple d’avoir des aides pour financer un doctorat sur un sujet qui nous intéresse. Encore faut-il trouver des étudiants prêts à se lancer.

L’économie circulaire est-elle une démarche compatible avec vos activités?

«L’acier est l’un des rares matériaux qui peut être totalement recyclé. Depuis 1995, nous utilisons exclusivement de la mitraille (feraille, ndlr) et plus de minerais. Mais nous restons un gros consommateur d'énergie.»